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Emmanuel Macron à Vilnius lors du sommet de l'OTAN le 11 juillet 2023

Ludovic MARIN / AFP

Des retraites aux émeutes, les "100 jours d'apaisement" de Macron qui ont tourné au "tsunami"

Le président avait promis "100 jours d'apaisement" mi-avril. Mais cette annonce s'est fracassée sur la réalité, des concerts de casseroles contre la réforme des retraites aux nuits de violences liées à la mort de Nahel, après un tir de policier. "On a fait redescendre la pression", veut croire l'un de ses proches.

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"On a commencé en apnée sous les casserolades et les retraites et on finit presque sous les tirs de mortiers". C'est par cette sentence lapidaire qu'un député macroniste résume les "100 jours d'apaisement" promis par Emmanuel Macron. D'une crise à l'autre, BFMTV.com vous emmène dans les coulisses de ces derniers mois qui devaient se conclure par une prise de parole, finalement annulée.

17 avril 2023. Moins de 48 heures après la promulgation de la réforme des retraites qui a tourné au chemin de croix, entre l'usage du 49.3 par Élisabeth Borne, des manifestations à répétition, le chaudron de l'Assemblée nationale et des bourdes de ministres en cascade, le président est bien décidé à reprendre la main.

"Pas vraiment vu venir cette histoire"

"Peut-être que j'aurais dû plus me mouiller", reconnaît ainsi le chef de l'État auprès des lecteurs du Parisien. De quoi le pousser à afficher son volontarisme dans une allocution télévisée, promettant un "progrès pour mieux vivre" en donnant rendez-vous aux Français pour un "premier bilan" le 14-juillet, après "100 jours d'apaisement".

Sans véritable annonce, la manœuvre vise surtout à tourner la page de la réforme des retraites, au moins symboliquement.

Preuve que le chantier a des allures de rocher de Sisyphe dans une France qui reste massivement opposée au recul de l'âge de départ à 64 ans: le soir même, plusieurs concerts de casseroles se déroulent aux quatre coins de l'Hexagone. À Paris, une manifestation que la police peine à disperser jusqu'à tard dans la nuit, rassemble pas moins de 2000 personnes.

Le quadragénaire, lui, ne semble pas inquiet outre-mesure. Quelques heures à peine après avoir enregistré son discours, Emmanuel Macron déambule dans les rues parisiennes et se retrouve à entonner dans la rue des chants basques avec des jeunes sur l'appli controversée Canto.

"On n'a pas vraiment vu venir cette histoire de 100 jours qui renvoie quand même dans l'imaginaire collectif à Napoléon pour qui ça s'est plutôt mal fini. Mais pourquoi pas? Un délai met la pression", nous explique un conseiller ministériel.

Un retour au terrain face à "des gens là pour en découdre"

36 heures plus tard, le président qui n'a quasiment pas été sur le terrain depuis l'annonce de la réforme des retraites, près de trois mois plus tôt, reprend la route direction Sélestat en Alsace. Sur le papier, cette terre très macroniste est le rendez-vous rêvé pour reprendre contact avec les Français.

Emmanuel Macron à Sélestat (Bas-Rhin) le 19 avril 2023
Emmanuel Macron à Sélestat (Bas-Rhin) le 19 avril 2023 © Ludovic MARIN / POOL / AFP

Mais à son arrivée devant la mairie de cette petite commune alsacienne, le président se fait conspuer. "Macron démission", huées, sifflets... Après moins de 3 minutes montre en main, le président rebrousse chemin. La députée européenne Renaissance Fabienne Keller reconnaît:

"Il y a des gens qui sont vraiment là pour en découdre dans un endroit qui a l'habitude d'être paisible".

Présente aux côtés du président, celle qui est née à Sélestat se dit "blessée qu'on puisse mal accueillir le représentant de la nation".

"Cible dans le dos" et saisies de casseroles

C'est le début d'une longue litanie de ce qu'on appelle désormais "les casserolades". Du président lui-même à tous les ministres, des plus identifiés aux visages méconnus du grand public, chaque figure de l'exécutif doit affronter des concerts d'ustensiles à chacun de ces déplacements.

Le ministre de l'Éducation nationale est ainsi contraint à attendre de longues minutes dans un train à son arrivée gare de Lyon avant d'être exfiltré pour éviter un comité d'accueil musclé. Quelques heures plus tôt, des manifestants ont tenté de pénétrer dans le bâtiment lyonnais dans lequel Pap NDiaye était attendu.

De quoi passablement agacer le président qui joue la carte de l'ironie. "Les œufs et les casseroles, c'est pour faire la cuisine", se moque Emmanuel Macron. Les préfectures, elles, n'hésitent pas à dégainer des arrêtés à l'intitulé parfois ubuesque, comme l'interdiction de "dispositifs sonores portatifs" et la saisie de casseroles de manifestants.

Des manifestants font face à un barrage policier lors d'une visite d'Emmanuel Macron à Ganges (Hérault) le 20 avril 2023
Des manifestants font face à un barrage policier lors d'une visite d'Emmanuel Macron à Ganges (Hérault) le 20 avril 2023 © Sylvain THOMAS / AFP

Conscient de la maladresse du symbole, Gérald Darmanin explique que les ordres ont été "mal compris". Consigne est cependant donnée aux ministres de limiter leurs déplacements au maximum.

"C'est très dur de sentir qu'on a une cible dans le dos", s'émeut le collaborateur ministériel d'une secrétaire d'État, chahutée par des militants.

"On a un grand sentiment d'injustice alors qu'on essaie simplement d'être au service des Français."

"Tellement facile de le siffler"

Le chef de l'État continue pourtant d'afficher sa sérénité. Pour éviter les comités d'accueil, l'Élysée affectionne les "visites improvisées" qui empêchent les oppositions et les syndicats de s'organiser.

"Les réformes sont trop longues", lui lance ainsi une commerçante sur un marché de Dôle, très loin de la grogne des retraites. "Et bah putain, je vous le fais pas dire", lui répond tout sourire Emmanuel Macron, satisfait de cette démonstration en creux.

Emmanuel Macron sur un marché à Dôle (Jura) le 27 avril 2023
Emmanuel Macron sur un marché à Dôle (Jura) le 27 avril 2023 © Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP

Mais il n'est pas toujours possible de ruser. En prévision de sa visite au Stade de France lors de la finale de la Coupe de France, l'intersyndicale de Seine-Saint-Denis annonce vouloir distribuer des cartons rouges et des sifflets.

Un cauchemar pour l'exécutif qui a déjà des sueurs froides en imaginant le président se faire siffler par des dizaines de milliers de supporters sous l'œil des caméras. "Ce ne sont pas les jeux du cirque", s'agace vertement Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement.

Le locataire de l'Élysée remet finalement lui-même la coupe dans les vestiaires. C'est la première fois depuis 2017 que le chef de l'État ne vient pas saluer les joueurs sur la pelouse. Un camouflet pour ce très grand amateur de foot.

"C'est tellement facile de le siffler au milieu d'une foule, c'est même assez lâche. Et en même temps, Hollande et Sarkozy aussi se sont déjà fait siffler dans des matchs", relativise le patron des sénateurs macronistes François Patriat.

Borne "carrément carbonisée"

Pourtant, cahin-caha, la constestation de la réforme des retraites s'éloigne. Lors du 1er-Mai, la mobilisation est, certes, bien plus suivie que les années précédentes mais reste loin du "raz-de-marée" espéré par les syndicats.

Si la tension reste importante - entre drones qui filment les manifestants, parapluie de certains participants pour les éviter et 406 policiers blessés dont un grièvement brûlé - la macronie juge la page des grèves définitivement tournée.

Politiquement, la situation peine toutefois à se décanter. Faute de majorité absolue à l'Assemblée nationale, Élisabeth Borne est contrainte de renoncer à des réformes d'ampleur - à commencer par la loi immigration - au profit de mesures du quotidien comme la tentative de diviser par deux les délais d'obtention d'une carte d'identité ou la fin du retrait des points pour les "petits" excès de vitesse. De quoi alimenter des rumeurs persistantes d'un remaniement pour l'exfiltrer.

"On est loin d'un grand récit national qui réenchante, qui montre qu'on va apporter des solutions. Élisabeth Borne ne démérite pas mais rien n'est enthousiasmant ni apaisant", avance le député Renaissance Patrick Vignal.

Plus direct, un député macroniste issu des rangs de la droite, la juge "carrément carbonisée":

"C'est mou, c'est techno... On ne va pas se relancer comme ça".

"Un côté Sarkozy" pour labourer tous azimuts

Même des événements jugés très consensuels comme les commémorations du 8-Mai prennent une drôle d'allure. Pour la première fois depuis la Libération, le président descend sans public les Champs-Élysées, sans jamais cesser son offensive médiatique.

Élisabeth Borne et Emmanuel Macron le 8 mai sur les Champs-Élysées (Paris) lors des cérémonies du 8 mai 2023
Élisabeth Borne et Emmanuel Macron le 8 mai sur les Champs-Élysées (Paris) lors des cérémonies du 8 mai 2023 © MOHAMMED BADRA / POOL / AFP

En pas moins de trois jours, Emmanuel Macron donne ainsi quatre interviews et persiste et signe quant à son comportement régulièrement qualifié de "méprisant" par ses adversaires". "Le vrai mépris, c'est de mentir aux gens", répond le président, assurant "toujours dire aux Français la vérité".

"Il y a un petit côté Nicolas Sarkozy avec l'idée de saturer l'espace médiatique", reconnaît même un ancien collaborateur du chef de l'État.

"On tient toujours"

C'est qu'avec la reprise des déplacements, le dirigeant renoue avec ses petites phrases - comme à Dunkerque avec "là, il suffit de faire un mètre", ironisant sur son "traverser la rue pour trouver du travail". Sa frénésie de terrain est également l'occasion d'envoyer des messages plus ou moins à distance à ses ministres, à commencer par la première d'entre elles, quitte à souffler le froid puis le chaud.

Après avoir recadré Élisabeth Borne sur le Rassemblement national en plein Conseil des ministres, le président évoque ainsi "toute la confiance" qu'il a pour elle publiquement. De quoi continuer d'alimenter le scénario d'une éventuelle exfiltration.

En bon soldat, la cheffe du gouvernement continue de faire le travail. Très aidée par Yaël Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée nationale qui a déclaré irrecevable une partie de la proposition de loi sur l'abrogation de la réforme des retraites, Élisabeth Borne parvient à esquiver une nouvelle séquence parlementaire sur la retraite à 64 ans.

"On sait qu'on se crame définitivement si on remet une pièce dans la machine sur les retraites", se réjouit un député de la majorité présidentielle.

"Donc on est content de ne pas repartir là-dedans et cette énième motion de censure qui ne passe toujours pas... On tient toujours."

Un président qui "se ressource" à Marseille

Si la Première ministre a bien appelé, elle aussi, à "apaiser" le pays, elle sait jouer la carte du cash pour se maintenir à son poste. "Si on a résisté aux retraites, on peut résister à tout", lance-t-elle, bravache, devant les députés fin juin. Preuve que la stratégie fonctionne: en déplacement à Marseille, le président annonce un point d'étape de sa Première ministre "dans les quinze premiers jours de juillet".

Emmanuel Macron lors d'un discours au Fort Saint-Jean à Marseille le 27 juin 2023
Emmanuel Macron lors d'un discours au Fort Saint-Jean à Marseille le 27 juin 2023 © Ludovic MARIN / POOL / AFP

Dans la cité phocéenne, le président qui veut donner un coup d'accélérateur à son plan Marseille en grand en passant pas moins de trois jours sur place, apparaît très détendu, tout sourire, entre collégiens qui l'interrogent sur l'OM, son club préféré, et bains de foule.

Et de remettre une pièce dans la machine avec "une petite phrase", proposant à une dame dont le fils est au chômage de faire le tour du Vieux-Port et de trouver "dix offres d'emplois".

"Il est très heureux d'être là, je le sens à l'écoute, avec l'envie de se ressourcer, en partie content de ne pas être à Paris", décrypte Christophe Madrolle, conseiller régional, proche de la macronie.

Le soutien aux proches de Nahel, une sortie "malheureuse"

La mort de Nahel télécospe finalement son agenda phocéen. "Nous avons un adolescent qui a été tué. C'est inexcusable, inexplicable et je veux dire mon affection et la peine partagée avec sa famille et ses proches", avance le chef de l'État le dernier jour de sa visite marseillaise.

De quoi essayer de faire redescendre la tension après une nuit d'émeutes dans les villes aux alentours de Nanterre. Sans succès: malgré les appels présidentiels à la "responsabilité des parents", des dizaines de quartiers s'enflamment dans des villes de France pendant plusieurs nuits, des mairies sont brûlés, des boutiques pillées, le tout pour un montant de 650 millions d'euros. Très loin donc de l'apaisement présidentiel promis.

"Le président s'adapte. Il n'a pas vraiment le choix après que Kylian MBappé a salué 'un petit ange'", regrette le député (Renaissance) des Bouches-du-Rhône Jean-Marc Zulesi.

"Mais cette réponse est totalement malheureuse. C'est à la justice de se prononcer."

Un groupe de personnes regardent des pneus brûlés à Bordeaux lors d'une nuit d'émeutes le 29 juin 2023
Un groupe de personnes regardent des pneus brûlés à Bordeaux lors d'une nuit d'émeutes le 29 juin 2023 © Philippe LOPEZ / AFP

"À peine arrive-t-on à sortir un peu la tête de l'eau après les retraites qu'on se reprend un tsunami en pleine tête. Sur les banlieues, tout peut déraper très vite et on n'a que peu de leviers d'actions", se désole encore le conseiller d'un ministre.

Soucieux de se montrer aux manettes, Emmanuel Macron annule sa visite d'État en Allemagne, pourtant attendue des deux côtés du Rhin.

"On a fait redescendre la pression"

Le calme est depuis revenu. Mais pas question de risquer une prise de parole potentiellement suivie d'une reprise des émeutes, au risque pour l'Élysée d'apparaître sur la défensive, après une embellie sondagière qui n'a pas duré.

"J'entends qu'on n'apaise pas. Mais au lendemain de quatre jours d'émeutes, on ne parlait que de l'affaire Alain Delon", répond le sénateur macroniste François Patriat.

"On voit bien qu'on a tenu notre engagement de faire redescendre la pression".

Du côté de l'Élysée, on juge avoir rempli le contrat. "Souvenez-vous que le président a parlé de '100 jours d'apaisement et d'action'", avance l'un de ses proches. Comprendre: l'exécutif n'a jamais cessé d'être au travail dans un contexte très difficile. Élisabeth Borne a elle-même assuré avoir "délivré", en constatant auprès du Parisien que "la plupart des chantiers lancés sont au vert".

En déplacement à Vilnius pour un sommet de l'OTAN ce mercredi, le président a préféré de son côté entretenir le flou sur la suite, promettant "de prendre les bonnes décisions dans les mois qui viennent" sur la question des banlieues.

Marie-Pierre Bourgeois