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Gouvernement

"Pas de solution miracle": comment les ministres essaient d'adapter leurs déplacements aux casseroles

Les conseillers ministériels tentent de contourner les comités d'accueil des opposants à la réforme des retraites. Programme transmis tardivement, changement de lieu... Les entourages des ministres essaient de jouer la carte de l'inventivité pour éviter de parasiter leur visite.

Des casseroles, des huées, des banderoles, des interpellations... Pour tous les ministres qui ont été sur le terrain ces derniers jours, il est désormais devenu quasi-mission impossible de se déplacer sans comité d'accueil. Le gouvernement tente désormais de ruser pour continuer à se déplacer.

"Il n'y a pas de solution miracle. On n'a jamais envie d'annuler et, en même temps, le but n'est pas d'avoir que de mauvais images des ministres. C'est un peu dur en ce moment", soupire un conseiller ministériel auprès de BFMTV.com.

Des comités d'accueil pour des "ministres méconnus qui n'ont jamais parlé retraite"

Il faut dire que les images sont catastrophiques pour le gouvernement, du ministre de l'Éducation Pap Nidaye exfiltré de son TGV à la Gare de Lyon, au ministre de la Santé François Braun, bloqué devant l'entrée de la CAF de Montreuil, en passant par la secrétaire d'État Béréngère Abba, contrainte d'annuler une partie de son déplacement en Charente pour des "raisons de sécurité".

"Ce qui me frappe, c'est que les comités d'accueil qui ont existé sont en général pour des ministres identifiés sur des sujets précis. Là, ça concerne des gens franchement méconnus et qui n'ont jamais parlé des retraites", s'étonne un ancien conseiller de l'Élysée.

Avec un exemple en tête: le mariage pour tous. En 2013, Christiane Taubira, alors garde des Sceaux et Najat Vallaud-Belkacem, secrétaire d'État à la famille avaient été vivement interpellées par la Manif pour tous. Les autres membres du gouvernement n'avaient pas eu à affronter des quolibets.

Prévenir tardivement la presse

Mais entre une réforme des retraites largement rejetée par les Français, une promulgation express et un président en délicatesse dans les sondages, le cocktail est explosif.

Pour faire face au mécontentement tout en continuant de labourer le terrain, les cabinets des ministres tentent de contourner l'obstacle. Première astuce: prévenir le plus tardivement possible les journalistes pour éviter qu'une visite ministérielle ne tourne au vinaigre.

"C'est sûr que si vous envoyez l'info quelques heures avant, ça limite les chances des syndicalistes de lire dans le journal du coin qu'un secrétaire d'État vient inaugurer un gymnase", grince un familier des ministères.

Si la technique peut fonctionner, elle a un gros inconvénient: celle d'une moindre couverture dans la presse locale, avec le risque de fâcher. La République des Pyrénées n'a guère apprécié découvrir sur son compte Twitter la visite de Gabriel Attal, regrettant un "programme sans transparence vis-à-vis des médias".

Changer le programme

Le lendemain, le ministre au Budget s'est déplacé dans l'Hérault aux côtés de Stanislas Guérini, chargé de la Fonction publique, en gardant le déroulé précis de la journée très discret, permettant de s'adapter.

Attendus à Castelnau-le-Lez, comme le rapporte Midi Libre, la venue de militants de la CGT les ont poussés à changer de parcours. À la place, direction Lunel puis La Grande-Motte où les échanges ont été relativement cordiaux.

Le ministre a cependant revendiqué sa volonté de "continuer à se déplacer. "L'important, c'est qu'on aille au contact des Français", a fait savoir Gabriel Attal sur RTL.

Ne pas informer les élus locaux

Seconde technique: demander aux préfectures qui gèrent la sécurité des déplacements de ne pas prévenir en amont les élus locaux qui sont généralement présents lors de déplacements ministériels.

"Si vous avez un député LFI dans le coin, vous pouvez être sûr que ça va se savoir et que vous aurez le droit à un accueil pas très sympathique", grince un conseiller ministériel.

"Bon, ça, c'est pour les ministres très politiques. Il faut que le cabinet appelle lui-même les maires, les députés, les sénateurs pour expliquer que la visite doit rester un peu discrète. Ça demande du doigté politique quand même", décrypte une ancienne conseillère parlementaire. Comprendre: la manœuvre n'est pas forcément évidente pour des secrétaires d'État peu expérimentés.

Des arrêtés préfectoraux pour dissuader les manifestants

Dernière possibilité: des arrêtés préfectoraux pour circonscrire les rassemblements voire même les interdire avec parfois des motifs baroques. En préparation du déplacement d'Emmanuel Macron dans le Doubs jeudi, le préfet a interdit "les rassemblements festifs à caractère musical". Quitte à risquer une éventuelle suspension par la justice de cette disposition, comme cela a été le cas à Vendôme pour la visite du président ce mercredi.

La semaine dernière, lors de la visite de Macron à Ganges, le préfet avait de son côté interdit "les dispositifs sonores portatifs", ouvrant la porte à l'interprétation et la saisie de plusieurs casseroles, agaçant ensuite le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin qui avait réfuté toute consigne.

"Soyons honnêtes: il n'y a que des mauvaises solutions. Soit on annule tout et on laisse les démagogues gagnés. Soit, on serre les dents mais personne ne parle de nos dossiers qu'on essaie quand même de faire avancer", s'agace un membre de cabinet ministériel.

Avec une crainte: que la feuille de route dévoilée par Élisabeth Borne ce mercredi après-midi ne permette guère de tourner la page des retraites et que les déplacements en forme de casse-tête continuent dans la durée.

Marie-Pierre Bourgeois