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"Un petit côté Sarkozy pour saturer l'espace": pourquoi Macron va continuer de labourer le terrain

Emmanuel Macron en visite à Sélestat, le 19 avril 2023.

Emmanuel Macron en visite à Sélestat, le 19 avril 2023. - Frederick FLORIN / AFP

Le chef de l'État s'est démultiplié depuis la promulgation de la réforme des retraites avec pas moins de six déplacements de terrain en moins d'un mois, et se rend ce vendredi à Dunkerque. Si les fidèles du Président salue sa volonté de "dialogue" avec les Français, d'autres s'inquiètent du "tournis" et de l'absence de réponse sur la réforme des retraites.

Un agenda qui a pris une toute autre tournure. Après une relative discrétion médiatique entre l'annonce de la réforme des retraites en janvier et la promulgation express du texte fin mars, Emmanuel Macron renoue tous azimuts avec le terrain. Direction Dunkerque ce vendredi. Mais si la stratégie vise à sortir de l'ornière, elle peut aussi s'avérer explosive.

"Il y a un petit côté Nicolas Sarkozy avec l'idée de saturer l'espace médiatique", décrypte un ancien collaborateur du chef de l'État auprès de BFMTV.com.

"Assez inédit en dehors d'une présidentielle"

Avant d'ajouter: "Un déplacement de terrain du Président bien orchestré, c'est le premier sujet par lequel commencent les journaux télévisés du soir, un papier dans toute la presse quotidienne régionale, plusieurs heures sur les chaînes d'info. C'est un outil extrêmement puissant".

En moins de quatre semaines et depuis son allocution qui fixait l'objectif de "100 jours d'apaisement", Emmanuel Macron a ainsi fait pas moins de six déplacements. Une gageure dans un agenda international particulièrement chargé.

"On a changé de temporalité. Pendant les débats au Parlement, le Président ne voulait pas que sa parole puisse être instrumentalisée. Il a maintenant la volonté de revenir aux côtés des Français. C'est assez inédit de faire ça en dehors d'une campagne présidentielle", décrypte un habitué de l'Élysée.

"Pas assez présent"

Entre janvier et mars, en pleine contestation sociale et alors que les députés débattent de la retraite à 64 ans, Emmanuel Macron n'était ainsi descendu dans l'arène qu'à quatre reprises, dont deux fois au milieu des badauds à Rungis puis au Salon de l'Agriculture.

Les deux autres déplacements étaient, eux, extrêmement cadrés, de l'annonce du vaccin contre le col de l'utérus pour tous les collégiens en Charente au dévoilement du plan eau dans les Hautes-Alpes.

Il y avait d'ailleurs urgence à changer de fusil d'épaule. Les dernières enquêtes d'opinion ont de quoi inquiéter la macronie. 77% des Français trouvent que le chef de l'État est "autoritaire" et 73% le trouvent "arrogant", d'après un sondage Elabe pour BFMTV. Le Président lui-même en nourrit des regrets.

"Peut-être que l’erreur a été de ne pas être assez présent pour donner une constance et porter cette réforme moi-même", assène le dirigeant dans les colonnes du Parisien fin avril, regrettant de ne pas s'être "mouillé" davantage.

"Un côté catalogue de mesures"

La leçon est manifestement retenue. Conditions de travail dans le Bas-Rhin pour son retour sur le terrain le 19 avril, climat éducatif dans l'Hérault, réforme du lycée professionnel en Charente-Maritime, batteries électriques à Dunkerque ce vendredi... Le chef de l'État met à nouveau les mains dans le cambouis et veut s'atteler au sujet de la vie quotidienne avec souvent des annonces à la clé: hausse des salaires des professeurs, stages rémunérés en CAP...

"Un président ne peut pas se déplacer sans annoncer quelque chose. Donc forcément, ça peut donner un côté catalogue de mesures qui perdent un peu les Français", avance Franck Louvrier, l'ancien conseiller presse de Nicolas Sarkozy.

"Il doit être le Président de tous les Français, pas celui des mesures catégorielles ni un chef d'État attrape-tout qui donne le tournis", poursuit le désormais maire de La Baule.

Des visites très cadrées pour "ne pas abîmer la fonction"

Mais le risque de perdre les Français à trop multiplier les messages n'est pas ce qui cristallise les inquiétudes de son entourage. Ce sont plutôt les concerts de casseroles qui ont suivi Emmanuel Macron lors de la reprise de ses déplacements qui ont donné des sueurs froides à ses équipes. Si officiellement le Président veut continuer d'aller au contact, le format a changé.

Après un bain de foule très houleux dans le Bas-Rhin, entre huées, slogans "Macron démission" et sifflets, l'Élysée a revu le format des déambulations. Halte aux bains de foule préparés en amont, bonjour les déplacements "improvisés".

Ainsi, après la visite très cadrée d'un collège à Ganges (Hérault), où un comité d'accueil l'attendait, le chef de l'État s'est arrêté à Pérols, la commune de sa secrétaire d'État Patricia Mirallès, pour prendre une bière et des tapas avant de se balader dans les rues.

Dix jours plus tard, avant sa visite au Château de Joulx (Doubs), Emmanuel Macron s'est arrêté de façon surprise sur un marché à Dôle (Jura). De quoi éviter les casserolades et les banderoles contre la réforme des retraites.

"Le Président cherche les moments d'échange mais si les gens ne veulent pas discuter, débattre, ça n'a aucun intérêt, en plus de potentiellement abîmer la fonction présidentielle qui ne doit pas être dégradée", fait savoir l'un de ses proches.

"Village Potemkine"

Les préfectures de police ont également multiplié les arrêtés interdisant tout rassemblement dans le périmètre des visites présidentielles. S'ils ont été à plusieurs reprises validés par la justice administrative, un arrêté a bien été suspendu: celui pris autour du déplacement d'Emmanuel Macron à Vendôme.

Les manifestants pouvaient donc désormais s'approcher de la maison de santé dans laquelle le Président échangeait avec des soignants. Emmanuel Macron est alors parti rapidement à la sortie des échanges et n'a discuté brièvement qu'avec quelques badauds qui attendaient au bord de la route, avant qu'il ne rentre en hélicoptère à Paris. Au risque de sembler éviter la confrontation?

"Que la sécurité du chef de l'État soit une priorité, c'est bien normal. Mais attention à ne pas tomber dans le village Potemkine où vous ne rencontrez que des Français contents", met en garde Gaspard Gantzer, l'ancien communicant de François Hollande à l'Élysée.

"C'est dur"

L'ancien proche du prédécesseur d'Emmanuel Macron s'étonne également des thématiques des déplacements. "Les Français ont envie qu'on leur parle retraites et pouvoir d'achat. Et ça, il ne veut pas le faire", regrette Gaspard Gantzer.

Le diagnostic n'est pas partagé par les proches du chef de l'État, qui mettent en avant "le retour de la bande passante pour d'autres sujets" après des semaines de réforme des retraites sur la scène politique. "On arrive aussi à des dossiers matures après un an de travail. Donc on les porte, on les défend", avance ainsi un lieutenant du quadragénaire. Certains macronistes s'inquiètent pourtant.

"Il nous reste quatre ans de mandat et on a l'impression que le président ne peut déjà plus sortir sans susciter un levée de boucliers. S'il reste à l'Élysée, on dit qu'il se bunkérise et quand il sort, il peut s'en prendre plein la tronche. C'est dur", soupire un cadre de la majorité.

"Pas d'autre choix"

"Peut-être qu'on aurait dû lancer quelque chose sur le modèle de l'itinérance mémorielle avec cette fois-ci comme fil rouge le thème de l'inflation", regrette un député macroniste.

À l'automne 2018, Emmanuel Macron avait parcouru pendant six jours les lieux marquants de la Première Guerre mondiale dans les Hauts-de-France et le Grand Est. La comparaison peut cependant étonner: une semaine plus tard commençait la crise des gilets jaunes.

"Il faut purger les passions. Aller à la rencontre n'est pas une solution miracle mais vous montrez que vous considérez les gens, que vous avez envie de trouver des réponses à leurs problèmes. Bon, de toute façon, on n'a pas d'autre choix", grince un autre député.

Emmanuel Macron n'a pas prévu de lever le pied sur le terrain les prochaines semaines. Il a ainsi demandé à ses équipes de lui organiser deux déplacements par semaine jusqu'au début de l'été.

Marie-Pierre Bourgeois avec Théophile Magoria