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Meuf, Les Martines... Le boom des réseaux sociaux dédiés aux femmes

Ces dernières années, de plus en plus de réseaux sociaux entièrement consacrés aux femmes ont vu le jour. Avec toujours la même promesse: offrir des espaces d'échange bienveillants et sécurisés.

"À partir du moment où tu as la force d’un gamin de 11 ans, que fait une femme dehors après 22 heures?", s'interrogeait l’influenceur masculiniste français Alex Hitchens dans une vidéo Tiktok publiée mi-février.

Quelques jours plus tard, c'est le compte "Abrège frère" qui a déchaîné la toile. L'influenceur, connu pour résumer en quelques secondes des vidéos, est accusé par plusieurs tiktokeuses de "silencier la parole des femmes". Plus récemment, la star Kylie Jenner a posté une photo d'elle en maillot de bain. Dans les commentaires, des dizaines de messages désobligeants sur son physique.

Bref, entre le sexisme, la sexualisation des corps et le cyberharcèlement, les femmes doivent redoubler de vigilance sur les plateformes. Il suffit de voir les chiffres: 84 % des victimes de cyberviolences sont des femmes selon une étude Ipsos de novembre 2023. Et, d'après le Haut Conseil de l'Egalité (HCE), "le monde numérique amplifie les biais du sexisme". Le rapport alerte notamment sur la "sous-représentation" des femmes sur les réseaux sociaux, qui sont "invisibilisées, caricaturées ou agressées".

Face à ce constat, certaines internautes s'organisent et créent des applications 100% dédiées aux femmes. C'est le cas de Claire Suco, à la tête du compte Instagram meufparis. "Quand j'ai avorté en 2017, j'ai compris qu'il n'y avait pas de plateformes pour discuter librement avec d'autres femmes", se souvient la trentenaire suivie par 218.000 abonnés.

Redonner la parole aux femmes

"Beaucoup de femmes n'osent pas s'exprimer sur les réseaux sociaux", rappelle Claire Suco. "Avant de lancer l'application, je recevais tous les jours des messages d'utilisatrices qui avaient besoin de conseils, mais qui n'osaient pas poster sur Instagram, de peur de recevoir des commentaires désagréables ou d'être jugée."

Lors de son passage dans l'émission "Qui veut être mon associé?", l'entrepreneuse a ainsi dévoilé Meuf, un réseau social uniquement dédié aux femmes. Le principe est simple: les utilisatrices peuvent discuter librement autour de plusieurs thématiques, comme les règles, la ménopause ou encore la sexualité et le travail. Autre particularité: il n'y a pas de filtres ni de likes. Pour le reste, Meuf fonctionne comme un réseau social, tout ce qu'il y a de plus classique. Les internautes disposent d'un profil pour poster photos, vidéos ou message.

Claire Suco est loin d'être la seule à se lancer sur ce créneau. Ces dernières années, de plus en plus de réseaux sociaux entièrement consacrés aux femmes ont vu le jour. Avec toujours la même promesse: offrir des espaces d'échange bienveillants et sécurisés, loin du cyberharcèlement dont sont victimes les femmes sur les plateformes.

Ainsi, WeMoms rassemble plus de 360.000 jeunes mamans via une application mobile et TheSorority s'est spécialisée dans les situations de violence et d'insécurité. De son côté, l'application Les Martines a décidé de rester généraliste. "J'avais un compte Instagram de 30.000 personnes. Je recevais beaucoup de questions chaque jour alors, j'ai créé un Discord pour qu'elles s'entraident. C'est ce qui m'a donné l'idée de lancer l'application", relate Marine Defaux, fondatrice du réseau social Les Martines.

Un succès immédiat

Ici aussi, les sujets sont organisés par thématique grâce à des tags "relation amoureuse", "santé" ou encore "voyage". "Les utilisatrices peuvent filtrer les catégories qui les intéressent ou non. Par exemple, si une internaute vient de rompre, elle peut choisir de cacher les publications des couples", ajoute l'entrepreneuse.

"L'objectif, c'est de redonner la parole aux femmes sur les plateformes en ligne", insiste Marine Defaux. Sur Les Martines, les internautes s'échangent conseils, encouragements et petits moments de la vie quotidienne. "J'ai commencé un nouveau travail et depuis, je n'ai plus le temps d'aller à la salle de sport", raconte Chloé, 27 ans, une des bêtatesteuses des Martines. "J'avais besoin de conseils pour déculpabiliser et savoir comment faisaient les autres filles pour cumuler les deux. Alors, j'ai posté sur l'application", détaille-t-elle timidement.

Pour favoriser les échanges, l'application met l'accent sur les textes, plutôt que les photos. La preuve: il n'y pas de limites de caractères, et les publications de plus de 1000 caractères prolifèrent sur la plateforme.

"Contrairement à Tiktok ou Instagram, on ne voit pas de publications idéalisées ou des conseils miracles d'influenceurs qui sont en réalité des placements de produit", poursuit Chloé. "C'est surtout des retours d'expérience et des personnes qui se confient."

"Une modération drastique"

Le succès des Martines a été immédiat. "En deux jours, plus de 600 utilisatrices se sont inscrites", s'enthousiasme Marine Defaux. Depuis son lancement, le 8 avril, l'application cumule déjà plus de 1.000 internautes. "Sous les publications, il y a beaucoup de messages 'Moi aussi, j'ai vécu cette situation'. Ca fait du bien de se sentir soutenue", confirme Marie, une des utilisatrices de la plateforme.

Constat similaire pour Meuf. "Plus de 30.000 personnes se sont préinscrites sur l'application. On a dû restreindre l'accès pour pouvoir gérer les inscriptions", chiffre Claire Suco.

Car pour garantir un espace sécurisé, l'équipe de Meufs vérifie manuellement chaque nouveau profil avec une photo et une carte d'identité. "La modération est assez drastique", prévient Claire Suco.

"Tout le monde peut signaler un post ou un commentaire. La publication est ensuite grisée et analysée par l'équipe. Si un compte reçoit trop d'avertissements, il sera banni de la plateforme", promet l'entrepreneuse qui assure n'avoir reçu "aucun cas depuis le lancement de l'application".

De son côté, Les Martines bloque les captures d'écran du réseau social et interdit le copier-coller ou les liens. L'application offre également la possibilité de poster en anonyme. "C'est super pratique", glisse Marie. "Par exemple, si j'ai un problème avec une de mes amies et qu'elle est super la plateforme, je peux quand même être aidée", sourit la trentenaire.

Un financement incertain

A terme, les applications devraient développer de nouvelles fonctionnalités. Meufs envisage de développer une messagerie privée, et une carte interactive qui recense les lieux utiles. Parmi ces derniers, les endroits ou trouver des tampons ou des entreprises à proximité tenues par des femmes. Marine Defaux ambitionne de proposer un journal intime ainsi qu'une carte avec des recommandations de podcasts ou d'influenceuses à suivre.

Autant de nouvelles fonctionnalités qui devrait permettre à l'entrepreneuse de gagner un maximum d'abonnés et donc, de monétiser sa plateforme. Car si toutes ces applications sont pour le moment gratuites, leur modèle économique n'est pas encore arrêté. Les Martines envisage de tester un abonnement à 4,90 euros par mois. "Nous allons aussi tester une version avec un peu de publicité pour promouvoir des entreprises tenues par des femmes", précise Marine Defaux, qui a financé le développement de sa plateforme via une campagne de financement participatif.

Meuf devrait de son côté rester gratuite. "A terme, nous allons organiser des événements et développer une marketplace", liste Claire Suco. "Pour chaque vente, nous percevrons une commission." L'application a pour le moment été financée via une levée de fonds de 500.000 euros. Un deuxième tour de table est déjà dans les tuyaux.

Salomé Ferraris