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"Qui Veut Être Mon Associé?": comment est déterminée la valeur d'une start-up

Sur M6, "Qui Veut Être Mon Associé?" fait rencontrer des jeunes entreprises et des investisseurs. Mais quel est le "bon prix" pour investir dans une entreprise?

C'est un débat qui anime régulièrement les jurés de l'émission "Qui veut être mon associé?" sur M6: combien suis-je prêt à investir dans la start-up qui m'est présentée?

Dans le troisième épisode diffusé mercredi 24 janvier, le fondateur de Meetic, Marc Simoncini, et l'ancien basketteur reconverti en investisseur, Tony Parker, ont sorti leurs carnets de chèque pour Urgentime. Ils ont accepté d'investir 375.000 euros chacun en échange de 30% du capital de la jeune pousse lyonnaise qui offre des services d'appels en visioconférence aux entreprises et au SAMU.

Mais comment Marc Simonci et Tony Parker ont-ils évalué que mettre 375.000 euros chacun contre 30% du capital était le 'bon prix'?" Comment ont-ils décidé que cette entreprise "valait" donc 2.5 millions d'euros?

Pour déterminer la valeur d'une entreprise, on peut s'appuyer sur des résultats financiers, les projeter dans le futur ou encore les comparer avec d'autres entreprises existantes. Or les start-up présentent plusieurs difficultés. Elles n'ont souvent pas un historique financier important et ne dégagent même parfois aucun revenu.

"Il est par ailleurs extrêmement difficile de comparer une start-up avec ses pairs surtout si celle-ci est très innovante et disruptive", explique le cabinet Retout & Associés.

La compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) a consacré en janvier 2023 un guide complet sur le sujet. Nous n'allons pas entrer autant dans les détails que ce document, mais expliquer les 5 lignes directrices des principales méthodes de valorisation.

1. Comparer les revenus ou les bénéfices

C'est une approche assez simple, fréquemment utilisée par les analystes financiers pour les sociétés cotées en Bourse: déterminer la valeur d'une entreprise en s'appuyant sur des groupes qui leur ressemblent le plus. La start-up peut d'ailleurs posséder un concurrent coté en Bourse.

L'activité d'Urgentime, par exemple, rappelle celle de la société de relation client externalisée Teleperformance, un groupe du CAC 40 (un des fondateurs d'Urgentime a même cité explicitement le nom de cette entreprise lors de la dernière émission).

Une fois cette entreprise identifiée, l'investisseur va s'appuyer sur les projections financières (son "business plan") de la start-up et retenir un ou plusieurs chiffres clef.

Cela peut être le chiffre d'affairesle bénéfice, mais aussi des indicateurs moins connus comme le résultat opérationnel (le résultat avant impôts et charges d'intérêts) ou l'Ebitda (le bénéfice avant amortissements, dépréciations comptables, charges d'intérêts et impôts).

L'investisseur va ensuite regarder le même indicateur chez les concurrents pour déterminer un multiple de valorisation pour chacun d'entre eux.

Exemple simplifié:

Si une entreprise comparable a une valeur d'entreprise de 2 millions d'euros et un chiffre d'affaires de 1 million d'euros, il retient un multiple de deux fois le chiffre d'affaires.

Une moyenne sur plusieurs entreprises est ensuite calculée pour arriver à un multiple moyen puis l'appliquer à la start-up et donc, finalement, déterminer sa valeur d'entreprise.

2. La méthode "des flux de trésorerie actualisés"

On augmente un peu la difficulté. L'évaluation d'une société par la méthode des flux de trésorerie actualisés (ou "discounted free cash-flow", DCF) se base sur les prévisions futures de génération de cash de cette même société. Autrement dit, son flux de trésorerie libre. Plus simplement, on regarde l'argent que l'entreprise a prévu de générer (l'argent qui rentre dans les caisses moins l'argent qui sort) au cours des prochaines années. Attention d'ailleurs à ne pas confondre cette notion avec les bénéfices, qui ne sont pas du tout calculés de la même manière.

Pour grossir le trait, l'idée générale est de considérer que la valeur actuelle d'une entreprise représente la richesse qu'elle créera à l'avenir via sa capacité à générer du cash.

Dans cette méthode, l'analyste ou l'investisseur va se baser les prévisions futures de flux de trésorerie libre sur plusieurs années (quatre à dix ans par exemple) et les "actualiser". Il s'agit de leur donner une valeur à instant t (aujourd'hui).

Car l'argent perd de sa valeur au fur et à mesure dans le temps (du fait de l'inflation, mais aussi du fait que plus on s'éloigne dans le temps et plus il y a un risque que les prévisions ne soient pas bonnes). Pour simplifier, un euro payé aujourd'hui vaut davantage qu'un euro payé dans 10 ans.

3. La venture capital method

Cette méthode est utilisée par les fonds spécialisés dans les entreprises qui ne sont pas cotées en Bourse (des fonds de "capital-investissement").

L'investisseur va déterminer la valeur de la start-up "en fonction de sa connaissance du secteur et de ses objectifs de rendement", explique le CNCC. Il va là encore s'appuyer sur le "business plan" de l'entreprise et sur des multiples observés dans d'autres entreprises.

À partir des multiples des sociétés comparables et des prévisions de la société (le chiffre d'affaires attendu dans cinq ans, par exemple), l'investisseur sort sa calculette. Il détermine une valorisation de l'entreprise dans cinq ans avant de décider ce qu'elle vaut actuellement en tenant compte de l'objectif de rentabilité de l'investisseur (le fonds de "capital-investissement").

Exemple simplifié:

Imaginons un investisseur. Il est prêt à mettre 1 million d'euros dans une start-up. Cette dernière évolue sur un secteur où les entreprises plus matures valent 2 fois leur chiffre d'affaires. Le chiffre d'affaires de notre start-up est attendu à 10 millions d'euros dans cinq ans. Supposons aussi que l'investisseur exige une rentabilité de 35% pour son investissement.

Dans les calculs de l'investisseur, la start-up vaudra donc 20 millions d'euros dans cinq ans (le multiple de 2 fois le chiffre d'affaires multiplié par le chiffre d'affaires attendu dans cinq ans). L'investisseur actualise ensuite ce montant avec le rendement exigé (35%) sur cinq années pour déterminer non pas la valeur future de la société, mais sa valeur actuelle. Le calcul donne 4,46 millions d'euros. Il suffit de retrancher la mise qu'il souhaite investir -soit 1 million d'euros - pour arriver à la valeur de la start-up avant son investissement.

Là encore des limites existent: le business plan de la start-up doit être jugé crédible par l'investisseur et ce dernier doit être capable d'évaluer son exigence de rentabilité.

4. Une approche par la "dilution"

Cette approche relève plus du marchandage de ce qu'est prêt à céder le fondateur (et de ses besoins en argent frais) que d'un véritable calcul de valorisation.

Lorsqu'une entreprise lève de l'argent sans s'endetter, ses propriétaires acceptent que les parts qu'ils détiennent dans cette société diminuent (c'est ce qu'on appelle la dilution). Logique: les nouveaux entrants ne mettent au pot qu'en échange d'une partie de la "richesse" de cette société, et donc de son capital.

Via cette approche, la valorisation de la start-up correspondra alors à l'argent levé rapporté au taux de dilution de ses actionnaires/fondateurs.

Exemple simplifié:

Le guide de la CNCC donne l'exemple d'une start-up qui a besoin de lever 360.000 euros. Ses actionnaires ne peuvent investir davantage, mais veulent bien céder un tiers des actions de l'entreprise. La valeur de 100% du capital, une fois la levée de fonds effectuée, correspondra ainsi à 1,08 million d'euros (360.000 euros divisés par 33,33%). Sa valeur avant cette levée de fonds s'établit donc à 720.000 euros. Il convient ensuite d'ajouter la valeur de la dette (si elle existe) pour obtenir la valeur de l'entreprise.

La CNCC explique toutefois que cette méthode est spécifique aux start-up innovantes, qui se trouvent ainsi dans une situation où elles ne peuvent mener à bien leur projet sans la levée de fonds.

5. Les approches qualitatives

Là on change de registre en ne prenant plus vraiment des chiffres, mais des appréciations plus subjectives. En revanche, cette méthode repose toujours sur l'idée générale de comparer l'entreprise avec d'autres sociétés qui lui ressemblent.

"Cette méthode repose sur l’identification d’une start-up similaire à celle à évaluer, dont l’investisseur connaît la valeur. Il compare alors les critères clés de l’entreprise de référence par rapport à celle à évaluer", explique le CNCC.

L'investisseur détermine si la start-up est susceptible de cocher "les bonnes cases".

Par exemple en se reposant sur 5 facteurs clés de succès:

  1. La société a-t-elle une bonne idée?
  2. Un prototype existe-t-il?
  3. La qualité de la direction est-elle bonne?
  4. Quels sont les partenariats existants/possibles?
  5. Comment le déploiement du produit peut-il être effectué?

Exemple simplifié:

Dans cette méthode chacun de ces 5 points vaut 400.000 euros dans la start-up de référence, pour une valeur totale de 2 millions d'euros. L'investisseur va attribuer ensuite entre 0 et 400.000 euros à la start-up qu'il évalue sur chaque critère, selon qu'elle se rapproche ou non de la start-up de référence.

Concluons en soulignant que les investisseurs n'hésitent parfois pas à combiner les différentes méthodes évoquées.

Julien Marion