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"Ne pas dépendre de la pub": comment la plateforme Tipeee est devenue incontournable en dix ans

Malgré les polémiques, la plateforme de financement participatif Tipeee est devenu un pilier de l'économie de la création. Au total, près de 20.000 créateurs sont présents sur la plateforme.

10.000 euros collectés en une heure. Plus de 170.000 euros levés en un mois et demi. Le créateur de contenu Bruce Benamran, à l'origine de la chaîne de vulgarisation scientifique E-penser 2.0 a encore du mal à croire au succès fulgurant de sa campagne de financement participatif. "L'objectif à l'origine, c'était de financer un an de vidéo sans publicités. J'ai levé huit fois plus que les 20.000 euros demandés", s'enthousiasme le youtubeur au million d'abonnés.

Un record pour la plateforme de financement participatif Tipeee, qui vient de fêter ses dix ans. Fondée en 2013 par Michaël Goldman, l'entreprise française Tipeee permet aux internautes de verser mensuellement de l’argent à leurs vidéastes favoris afin de leur permettre de vivre de leur passion.

Un pilier dans l'économie de la création

Avec plus de 40 millions d'euros collectés sur la plateforme, Tipeee est leader sur son secteur en Europe. "C'est devenu un pilier de l’économie des créateurs de contenus", observe Alexis, co-fondateur du compte lesprit.critique. Et notamment des vidéastes qui cherchent à s'affranchir des revenus publicitaires de Youtube.

Chaque semaine, Alexis et son équipe proposent des vidéos de quelques minutes pour décrypter le discours politique et médiatique à leurs 500.000 abonnés sur Instagram.

"Dès le début, nous avons fait le choix de ne pas dépendre de la pub et des placements de produits. Mais même avec, il faut avoir plusieurs centaines de milliers d'abonnés pour pouvoir en vivre", rappelle Alexis.

Le créateur s'est donc tourné vers Tipeee. Avec succès. Il gagne plusieurs milliers d'euros par mois, rien que sur la plateforme.

Un constat partagé par Samuel Buisseret. "Avant Tipeee, je n'espérai même pas générer des revenus avec Youtube", plaisante le graphiste derrière la chaîne Mr. Sam (130.000 abonnés). Le vidéaste de 42 ans spécialisé dans les théories du complot s'est lancé sur la plateforme de crowdfunding dès les débuts de sa chaîne, en 2015. "Rapidement, le financement participatif est devenu mon revenu principal." En moyenne, le vidéaste reçoit chaque mois 1500 euros via les dons sur la plateforme.

Pendant huit ans, E-pensée a touché "plus d'un SMIC par mois en moyenne" via Tipeee. Une somme régulière, donc, bien loin d'un simple revenu d'appoint pour acheter un micro ou une lampe.

"Le site a permis à toute une série de personnes de se lancer dans l'aventure de la création de contenu", confirme Bruce Benamran.

Au total, près de 20.000 créateurs sont présents sur la plateforme. Ils touchent en moyenne près de 800 euros tous les mois.

Un accélérateur de projets

Une rampe de lancement pour les jeunes créateurs et un accélérateur de projets pour les vidéastes plus installés. En décembre 2022, l'équipe de L'esprit.critique a ainsi lancé une cagnotte Tipeee pour financer leur parcours pédagogique.

Il s'agit d'un contenu exclusif sous forme d'exercices en ligne pour former l'esprit critique. L'outil est payant, mais le montant de la participation est libre. "Aujourd'hui, le parcours nous permet de diversifier nos modes de financement", observe Alexis.

De son côté, Samuel Buisseret a arrêté de produire du contenu pendant quatre mois, pour réaliser un travail d'enquête autour de l'immortalité biologique. "J'ai pu passer du temps pour faire un montage de qualité, pour faire l'animation..."

Car Tipeee permet également aux créateurs de contenu de s'affranchir du rythme effréné de publication sur les plateformes.

"Récemment, j'ai fait une pause avec ma chaîne. Et pourtant, ma communauté a continué de me soutenir via ma campagne de financement", précise Bruce Benamran.

Une image écorchée par les polémiques

Petit caillou dans ce modèle économique, la plateforme a été critiquée pour héberger des personnalités proposant des contenus antisémites ou complotistes. Au cœur du débat, le documentaire Hold-up, réalisé par le journaliste Pierre Barnérias. Cette œuvre polémique, fortement lié à la mouvance complotiste, a diffusé de nombreuses fake news sur divers aspects de la pandémie de Covid-19.

Michael Goldman, l'un des fondateurs de Tipeee, avait ensuite expliqué soutenir des projets comme Hold-up. Les propos ont immédiatement fait réagir un grand nombre de créateurs de contenus sur internet, entraînant une vague de départ.

Interrogé à ce sujet, Samuel Buisseret précise "n'avoir aucun problème avec la ligne éditoriale de Tipeee". "Pourquoi être véhément avec Tipeee, qui est bien plus défendable que Youtube concernant la modération de contenu?", s'interroge le créateur de contenu.

"Tipeee a une position claire, celle du cadre de la loi", argumente Bruce Benamran, qui est entré au capital de la plateforme en 2016 à hauteur de 1%. "Ils considèrent qu'ils ne sont pas compétents pour déterminer si un compte à le droit d'exister ou non sur la plateforme, sauf si c'est de la promotion de contenu illicite."

Salomé Ferraris