BFMTV
Présidentielle

Clins d'œil à gauche, dramatisation... Comment Macron veut rassembler face à Le Pen au second tour

Emmanuel Macron en visite sur un marché de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 8 avril 2022.

Emmanuel Macron en visite sur un marché de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 8 avril 2022. - Ludovic MARIN / AFP

Malgré une certaine avance au premier tour, le président doit désormais convaincre au-delà de son camp pour parvenir à être réélu. Au menu des prochains jours: renvoyer Marine Le Pen à son programme et mobiliser les électeurs de gauche.

Ne surtout pas refaire l'erreur de La Rotonde. Lors de l'élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait semblé enjamber son duel avec Marine Le Pen, en organisant dès le soir du premier tour une grande soirée dans ce restaurant parisien. L'actuel locataire de l'Élysée devrait cette fois-ci adopter une posture plus offensive jusqu'au 24 avril, avec une stratégie en plusieurs axes pour tenter de battre la candidate du Rassemblement national.

• Expliquer que la victoire de Marine Le Pen est possible

Il faut dire que la macronie craint une démobilisation au second tour, après une abstention très importante dimanche soir (26,5%).

"Rien n'est joué et le débat que nous aurons dans les quinze jours à venir est décisif pour notre pays et pour l'Europe", a lancé Emmanuel Macron devant ses partisans ce dimanche soir.

"L'entre-deux tours sera beaucoup plus compliqué qu'il n'y a 5 ans", assurait d'ailleurs un conseiller de l'Élysée avant même le premier tour. "Ça va être un duel difficile car il n'y aura pas de front républicain. Son entreprise de dédiabolisation a bien fonctionné", avançait encore un cadre de la majorité.

Dans ce registre de la dramatisation, Édouard Philippe a été l'un des premiers à donner le ton. "Oui, bien sûr, Marine Le Pen peut gagner", avance l'ancien Premier ministre dans les colonnes du Parisien fin mars. La candidate d'extrême droite était créditée de 49% des voix au second tour, contre 51% pour Emmanuel Macron, selon notre dernier sondage Elabe réalisé pour BFMTV et L'Express avec notre partenaire SFR, publié vendredi.

En coulisses, beaucoup de macronistes ne croient pas vraiment à la victoire du RN au second tour, à l'instar de François Patriat: le patron des sénateurs LaREM juge que la macronie "joue à se faire peur", comme il l'a confié à BFMTV.com. Mais l'objectif est bien de convaincre les électeurs de cette probablité.

Pas question cependant d'avoir recours à des arguments moralisateurs, promet son équipe de campagne.

"On ne va pas aller sur ce terrain-là qui n'a jamais vraiment fonctionné et qui est même un peu condescendant mais on va bien rappeler que le 21 avril 2002 a eu lieu alors que personne n'imaginait ça possible", nous explique de son côté le député Sacha Houlié.

• Insister sur le programme de Marine Le Pen

Le président va également concentrer ses efforts sur la décrédibilisation du programme de Marine Le Pen.

"Je veux convaincre dans les jours à venir que notre projet répond bien plus solidement que celui de l’extrême droite aux peurs et aux défis du temps (...). Une France qui empêche les musulmans ou les juifs de manger comme le prescrit leur religion, ce n’est pas nous", a-t-il avancé ce dimanche soir à l'issue du premier tour devant ses sympathisants.

Pour ce faire, le parti devrait imprimer plusieurs centaines de milliers de tracts pour insister sur les différences de projet entre La République en marche et le RN, d'après les informations de BFMTV.com. "On sera dans une vraie confrontation, sujet par sujet", assure un poids lourd de la majorité.

"Elle a gommé ses irritants", estime un conseiller de l'exécutif. "Donc il faut attaquer son programme, sa future gouvernance (avec qui elle va diriger le pays), pas elle!"

Parmi les principaux axes d'attaque, la question du pouvoir d'achat sur laquelle n'a cessé d'insister la députée du Pas-de-Calais pendant sa campagne de premier tour. "Elle fait des promesses qui ne sont jamais financées ou qui existent déjà comme la baisse de TVA pour les taxis (les taxis ne la paient pas sur les carburants, NDLR)", affirme un cadre de la majorité.

"Son programme est bourré d'erreurs. On va lui rappeler tous les jours", poursuit cette même source. "On va sortir la machine à baffes", ose même Ambroise Méjean, le président des jeunes avec Macron.

Un macroniste historique enfonce le clou: "Marine Le Pen, elle ment sur qui elle est et sur ce qu'elle fera pour les Français. Il faut construire une ligne qui montre le mensonge."

• Evoquer la présidente qu'aurait été Marine Le Pen

Emmanuel Macron et son entourage vont concentrer leurs efforts pour démonter que la France a été bien mieux gérée ces 5 dernières années que si Marine Le Pen avait été élue en 2017. "Notre enjeu, c'est une mise à nue de ce que Le Pen aurait été si elle avait été présidente", résume un cadre de la majorité. "Elle se serait trompée sur tout."

L'idée est de rappeller "que, même si on peut ne pas aimer Emmanuel Macron, il est un candidat très sérieux dont on a vu le travail pendant 5 ans", assure le député Pierre Pierson. "On peut avoir des griefs mais il faut raison garder."

Le président s'y est déjà en partie employé lors de son déplacement à Fouras-les-Bains début avril (Charente-Maritime).

"Si l'extrême droite avait gagné il y a 5 ans, (...) vous auriez été vacciné en décembre et dévacciné en janvier", a-t-il lancé lors de ses échanges avec des passants.

"Il faut montrer qu'on est capable de faire ce que l'on dit, montrer que nous, on est crédibles", note un parlementaire. Stratégie appuyée par un grand élu qui soutient Emmanuel Macron: "Compte tenu de l'état du pays, il faut des gens performants et compétents. Et lui, c'est le meilleur."

Dans la besace du président, on devrait notamment trouver des attaques sur la politique internationale qu'aurait eu la France ces 5 dernières années sous Marine Le Pen. Et notamment sur son rapport à Vladimir Poutine - elle avait confié en 2011 son "admiration" pour le chef d'État russe. Ou encore ses revirements autour de l'Union européenne et la sortie de l'euro, option défendue en 2017 et abandonnée aujourd'hui. "C'est le genre d'argument qui incite au vote utile", pointe un parlementaire.

• Assimiler Marine Le Pen à Eric Zemmour

Si Éric Zemmour a annoncé qu'il voterait pour Marine Le Pen au second tour, l'heure n'est pas à un accord entre les deux figures de l'extrême droite. On mise pourtant beaucoup sur un tel ralliement à La République en marche.

"Ce serait du pain béni, on pourrait passer nos journées à la renvoyer au programme de son nouveau camarade", se réjouit un sénateur LREM. L'argument a d'ailleurs été rodé par Emmanuel Macron qui a parlé du "tandem d'extrême droite" fin mars.

"La stratégie c'est de taper", résume un proche. "On lie les deux (Marine Le Pen et Eric Zemmour, NDLR) et on les qualifie d'extrême droite."

"On voit que le tandem Marine Le Pen-Eric Zemmour se constitue avant même le soir du premier tour", a ainsi lâché Gabriel Attal dans L'Obs, évoquant la remontée dans les sondages de la candidate du RN.

"Le ralliement, avant de se faire par les candidats, se fait par les électeurs, ce qui n'est pas vraiment une surprise. On assistait depuis des mois à une primaire de l'extrême droite et c'est aujourd'hui Marine Le Pen qui capte une large part du vote Zemmour", avance encore le porte-parole du gouvernement dans les colonnes de l'hebdomadaire.

• Parler aux électeurs de gauche

Après avoir fait le plein des voix à droite, Emmanuel Macron doit désormais convaincre les électeurs de gauche qui ont représenté 34, 3% au premier tour.

"Je remercie Anne Hidalgo, Valérie Pécresse, Yannick Jadot et Fabien Roussel qui m’ont dès ce soir apporté leur soutien (...) Certains le feront pour faire barrage à l’extrême droite et cela ne vaudra pas soutien, je le respecte. Je veux saluer leur clarté", a relevé le président devant ses militants ce dimanche soir.

Le soutien des sympathisants de gauche est pourtant loin d'être acquis: selon notre dernier sondage Elabe réalisé pour BFMTV et L'Express avec notre partenaire SFR juste avant le premier tour, seulement 34% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon envisageaient de voter Emmanuel Macron au second tour, contre 25% pour Marine Le Pen et 41% qui opteraient pour l'abstention.

"Un électeur de gauche peut se retrouver dans notre projet", estime un cadre de la majorité. Faut-il malgré tout donner un coup de barre à gauche? "Ce n'est pas comme ça qu'il faut raisonner", répond cette même source. "Il y aura l'affirmation du 'en même temps'."

Le président compte tout de même insister sur ses propositions sociales déjà développées lors de son meeting à La Défense. La méthode a l'avantage de rééquilibrer le débat après un début de campagne marqué à droite avec l'allongement de l'âge de départ à la retraite et le versement du RSA sous conditions d'activité.

"On va parler du versement social à la source, du droit opposable à la garde d'enfants pour les mères célibataires, du triplement de la prime Macron. On va montrer que nous sommes cohérents, équilibrés et qu'on ne laisse jamais les plus fragiles au bord de la route", insiste le député Jean-Charles Colas-Roy qui a planché sur le programme.

• Labourer le terrain "matin, midi et soir"

Après une campagne de premier tour dans laquelle il aura fallu attendre les deux dernières semaines pour voir Emmanuel Macron aller au contact de la rue, l'entourage du président assure qu'il sera "matin, midi et soir" sur le terrain, avec une "campagne de contact" dixit un cadre de la majorité. Il sera demain dans le Nord, a déjà annoncé son équipe.

"On ne va pas refaire la Rotonde et le flottement du dernier entre-deux-tours", confirme un conseiller. En 2017, le futur élu avait alors attendu plusieurs jours pour reprendre ses déplacements.

"On ne fera pas de gros rouge qui tâche sur les visites du président", assure cependant un pilier de la majorité.

Un grand meeting est dans les tuyaux, probablement lors du week-end de Pâques. Il pourrait avoir lieu à Marseille comme cela avait été un temps prévu pour le premier tour. Une option supplémentaire est également sur la table: celle d'un éventuel second meeting le jeudi 21 avril "au cas où le débat ne se passe pas bien", explique son entourage. Le candidat devrait participer par ailleurs à plusieurs réunions publiques, plus petites.

De façon très classique, les militants devraient également être appelés à intensifier leurs forces sur le terrain. "Ça n'a peut-être l'air de rien mais quand les gens nous voient tracter, alors qu'ils ne croisent jamais de militants RN, ça donne une certaine vision de notre engagement", lance Ambroise Méjean, le président des Jeunes avec Macron. Il reste 2 semaines au président pour que cette stratégie s'avère payante.

Elisa Bertholomey, Marie-Pierre Bourgeois, Mathieu Coache, Agathe Lambret et Thomas Soulié