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Présidentielle

Perturbée par l'Ukraine, plombée par McKinsey... La drôle de campagne d'Emmanuel Macron

La stratégie d'Emmanuel Macron depuis l'annonce de sa candidature a laissé dubitatif jusque dans son entourage. Alors que le candidat semble parfois en service minimum, ses zigzags programmatiques et la polémique sur McKinsey le mettent en difficulté: si les sondages le donnent toujours en tête au premier tour, l'écart se réduit avec Marine Le Pen au second.

Il faut remonter au mois de février pour trouver les prémices d'une atmosphère plus fébrile sur les bancs de la République en marche. La campagne présidentielle s'accélère, les candidats se démultiplient sur le terrain mais le parti, lui, se voit obliger de jouer en défensif. À longueur d'interviews, les cadres macronistes sont contraints d'expliquer pourquoi Emmanuel Macron tarde à rentrer dans l'arène, même si sa candidature ne fait aucun doute.

"Les Français ne comprendraient pas", assure le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal sur France info début février.

Le secrétaire d'État argue d'un contexte particulier pour le président entre rendez-vous avec Vladimir Poutine - nous sommes à ce moment-là à quelques semaines du début du conflit en Ukraine - et travail de l'exécutif pour préparer la fin du port du masque en intérieur.

"Ça a donné un sentiment d'évitement"

C'est qu'Emmanuel Macron compte alors bien garder sa posture de président le plus longtemps possible, comme ont pu le faire certains de ses prédécesseurs entrés en campagne très tard comme Charles de Gaulle et François Mitterrand. Mais la stratégie a ses limites: le président se déclare finalement le 2 mars, la veille de la date-butoir, soit 38 jours avant le premier tour.

"Ça a donné un sentiment d'évitement aux Français au lieu de parler de notre bon bilan. On s'est laissé enfermer dans une image du président qui n'a pas vraiment envie", regrette un député Modem auprès de BFMTV.com.

Le sujet est pourtant crucial, de l'avis-même d'anciens locataires de l'Elysée. Après sa défaite, Nicolas Sarkozy a fait savoir par son entourage qu'il considère qu'il lui "a manqué 15 jours" pour gagner. Valéry Giscard d'Estaing, qui s'est déclaré 55 jours avant le premier tour en 1981, a reconnu sur Europe 1 en 2011 que "quand on pense qu'on va être réélu, on ne travaille pas beaucoup sa campagne".

Service minimum

Seconde déception pour la macronie: le classicisme choisi par le candidat pour annoncer sa candidature alors que l'entourage d'Emmanuel Macron avait promis un "opéra punk".

Le président se fend finalement d'une "Lettre aux Français" comme avaient pu le faire François Mitterrand et Nicolas Sarkozy puis d'une vidéo pour inaugurer une mini-série de campagne, qui n'a pas passionné les internautes: si le premier épisode comptabilise plus de 378.000 vues sur Youtube, les audiences sont déclinantes, avec moins de 50.000 pour le dernier en date.

Emmanuel Macron se déploie ensuite dans des dispositifs extrêmement cadrés: une réunion publique devant des habitants de Poissy (Yvelines) triés sur le volet, une émission sur TF1, sans débat avec ses concurrents, une présentation de son programme suivi d'un échange policé le lendemain avec des lecteurs de la presse locale à Pau (Pyrénées-Atlantiques).

Il faut attendre début avril avec sa visite à Dijon (Côte-d'Or) pour voir le candidat se confronter au ressenti des Français, interpellé par un homme qui peine à boucler son budget.

Une campagne "difficile à démarrer"

De quoi alimenter le sentiment d'une campagne Potemkine, du nom du ministre russe qui aurait fait construire des décors de carton-pâte pour masquer la réalité.

"La campagne a été très difficile à démarrer. Et c'est certain qu'on a mis un certain temps à se déployer sur le terrain", reconnaît d'ailleurs le député LaREM Pierre Person.

Du côté du parti, on assume cette campagne au dispositif léger, arguant d'un agenda très contraint. La faute à la guerre en Ukraine bien sûr mais également à la présidence tournante de l'Union européenne que dirige Emmanuel Macron depuis le 1er janvier.

"Il faut prendre les choses dans l'autre sens. Imaginons que le président ait passé ses journées à faire campagne en plein conflit aux portes de l'Europe. Qu'est-ce que n'auraient pas dit ses adversaires?", assume un cadre de la campagne auprès de BFMTV.com.

Un programme jugé déséquilibré

Le président n'a pas non plus convaincu sur la présentation de son programme le 17 mars. Pendant près de 4 heures, le candidat explique son projet en cas de réélection et annonce la couleur. Allongement de l'âge de départ à la retraite, versement du RSA conditionné à 15 ou 20 heures d'activité, réforme du droit d'asile... Emmanuel macron présente un programme aux accents de droite et l'assume.

Interrogé par les journalistes sur les propos de Valérie Pécresse qui dénonce "une pâle copie" du projet des LR, le président est droit dans ses bottes.

"Je m'en fiche, royalement, totalement, présidentielle ou non. Ce qui compte, c'est ce qui fonctionne pour le pays, le rend plus fort, ce qui permet aux Françaises et aux Français de vivre mieux", avance-t-il.

Au grand dam de certains sur les bancs de LaREM qui espéraient un changement de ton après la crise sanitaire et l'avènement du "quoi qu'il en coûte".

"Oui, il faut prendre des choses à droite quand ça marche bien sûr mais dire que les professeurs ne font pas assez d'efforts, aller à nouveau sur l'immigration, aller encore plus loin sur l'assurance chômage... J'ai été vraiment déçu", juge un député de l'aile gauche.

Coup de barre à gauche?

15 jours plus tard, changement de cap - au risque d'alimenter le sentiment d'un zigzag. Emmanuel Macron lance de nombreux clins d'œil lors de son unique meeting de campagne de premier tour samedi 2 avril à La Défense Arena. À la tribune, le président cite François Mitterrand et sa "force tranquille" et se paie même le luxe de reprendre le slogan du NPA "Nos vies, leurs vies valent plus que tous les profits" lorsqu'il évoque le scandale des maisons de retraite Orpea.

De quoi donner le sentiment d'un rééquilibrage de discours pour aller convaincre les électeurs de centre gauche, à une période où les sondages pour le second tour commence à resserrer en cas de second tour avec Marine Le Pen.

"On ne rééquilibre rien. On rappelle juste que notre programme est riche et va bien au-delà de ce qui a été retenu lors de la présentation du programme", répond François Patriat, le patron des sénateurs LaREM.

Le sparadrap McKinsey

Enfin, la révélation par le Sénat le 17 mars dernier du poids pris par les cabinets de consultant ces dernières années, et notamment McKinsey qui n'a payé aucun impôt sur les sociétés depuis 10 ans, a empoisonné la fin de campagne d'Emmanuel Macron. Les ordres de grandeur choquent. La commission d'enquête sénatoriale révèle que les sommes dépensées par les ministères ont augmenté de 136% en 4 ans pour un montant proche d'un milliard d'euros l'an dernier.

En déplacement à Fouras-les-Bains pour parler écologie le 31 mars, le président est à peine descendu de voiture qu'un badaud lui lance "McKinsey Gate, démission!". C'est que le sujet lui colle aux basques au pire moment. L'heure est désormais à l'égalité du temps de parole et Emmanuel Macron ne peut pas se lancer dans de grandes explications.

La conférence de presse des ministres Olivier Dussopt et d'Amélie de Montchalin pour éteindre l'incendie ne convaint pas non plus. Cette affaire remet également au cœur du jeu politique les accusations de "président des riches" qui a pollué le début du quinquennat.

Un président très agacé

Autre problème: plusieurs proches du président travaillent ou ont travaillé pour McKinsey comme Paul Midy, désormais directeur général du parti, ou Karim Tadjeddine, responsable du pôle secteur public dans l'entreprise - il fait aujourd'hui l’objet d’un signalement du Sénat au parquet de Paris pour "faux témoignage" devant les parlementaires.

Emmanuel Macron ne cache d'ailleurs pas son agacement, quitte à remettre une pièce dans la machine.

"On a l'impression qu'il y a des combines, c'est faux .(...) S'il y a des preuves, que ça aille au pénal", lance-t-il sur France 3 le 27 mars dans une formule proche de celle qu'il avait utilisé lors de l'affaire Benalla, appelant les sénateurs "à venir (le ) chercher".

Le Parquet national financier a depuis ouvert une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale visant McKinsey - "La justice ne se saisit pas de l'usage de cabinets de conseil mais d'une fraude fiscale", a commenté le chef de l'Etat, saluant cependant l'ouverture de l'enquête.

"Scandale Macron"

Entre temps, le sujet a pris dans l'opinion: 28 % des personnes ont évoqué la polémique avec leurs proches, selon un sondage Ifop. Et ses adversaires ont multiplié les attaques, de Valérie Pécresse à Anne Hidalgo en passant par Yannick Jadot et Eric Zemmour. C'est ce dernier qui tape le plus fort en relayant une pétition sur le "scandale Macron" qui "a renvoyé l’ascenseur à ses copains de McKinsey sur le dos des Français".

"Tout cela est un très mauvais procès. Que les extrêmes tordent ces informations et les manipulent, ce n'est pas très surprenant. Mais que les partis de gouvernement s'en emparent, c'est de l'irresponsabilité pure", s'agace un poids lourd de la majorité.

Si la besace des déceptions à quelques jours du premier tour est bien pleine parmi les fidèles du président, il continue toujours de faire la course en tête. Le président récolte 28% des intentions de vote dans le dernier sondage Elabe réalisé pour BFMTV et L'Express avec notre partenaire SFR.

Marie-Pierre Bourgeois