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Tunisie

La Tunisie face à une situation politique explosive

Des Tunisiens défilent sous haute sécurité pour les funérailles de Chokri Belaïd, vendredi.

Des Tunisiens défilent sous haute sécurité pour les funérailles de Chokri Belaïd, vendredi. - -

La Tunisie continue de s'enfoncer dans une impasse dangereuse pour la stabilité du pays. Explications sur une situation politique intérieure très complexe.

La vague de colère en Tunisie après l'assassinat mercredi de l'opposant politique Chokri Belaïd continue de s'amplifier dans le pays, tandis que la coalition politique au pouvoir tente de trouver une solution, mais doit faire face à de profondes divisions internes.

BFMTV.com fait le point sur la situation politique du pays avec Béligh Nabli, directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques.

> Qu'est-ce que l'Assemblée constituante en Tunisie ?

C'est une institution composée de 217 membres, élue le 23 octobre 2011 par les électeurs tunisiens lors d'un scrutin proportionnel après le soulèvement du peuple à travers la Révolution de Jasmin. Elle avait notamment pour objectif de rédiger en un an la nouvelle Constitution de Tunisie, après la chute du dictateur Ben Ali.

Objectif raté, puisqu'un an et demi après, il n'y a toujours pas de Constitution, notamment à cause d'un rapport de forces entre les différents partis politiques. Un dispositif juridique de transition pallie à son absence.

> Quelles sont les principales forces politiques en place ?

Trois partis exercent le pouvoir à travers l'Assemblée constituante et forment ce qu'on appelle la Troïka. Le premier parti est Ennahda, conservateur sur le plan sociétal et libéral sur le plan économique. Comme il n'a pas obtenu de majorité absolue lors des élections, Ennarhda s'est vu imposer une alliance avec deux partis de centre-gauche : le Congrès pour la République (CPR), et Ettakatol.

Le parti islamiste Ennahda est divisé entre deux courants qui s'affrontent. "D'un côté, des salafistes qui souhaitent l'application rigoureuse de l'Islam et une reconnaissance politique de la Charia. De l'autre, un courant plus moderne, dont les cadres sont au pouvoir dans le pays", explique le chercheur Béligh Nabli. "Eux sont des pragmatiques, qui tiennent compte des réalités de l'exercice politique, et de moins en moins des idéologues, ce qui déplaît à la frange radicale du parti."

Les deux autres partis sont eux aussi soumis à des divisions internes, et ne forment pas "une alternative politique solide au parti islamiste", selon le chercheur. Leur électorat d'origine leur reproche de s'être entêtés dans une alliance avec Ennahda, où les arbitrages politiques ont souvent été rendus en leur défaveur.

> Quelle alternative politique existe-il à la coalition au pouvoir ?

Deux pôles semblent se structurer. D'abord, un pôle centre droit avec le parti centriste Nidaa Tounes, présidé par Béji Caïd Essebsi. Il a assuré la transition politique en occupant le poste de Premier ministre jusqu'à l'élection de l'Assemblée constituante en 2011, et jouit d'une grande aura. "La seule faiblesse de ce parti, qui refuse la transcription des règles religieuses en politique, est de compter dans ses rangs d'anciens proches de Ben Ali", estime Béligh Nabli.

L'autre pôle qui semble émerger rassemble de nombreux partis de gauche, dont le Mouvement des patriotes démocrates, dirigé par Chokri Belaïd jusqu'à son assassinat mercredi.

> Qui sont les principaux protagonistes de la crise en Tunisie ?

Il y a d'abord le chef de l'Etat, Moncef Marzouki, laïc, militant des droits de l'Homme et fondateur de l'un des trois partis de la Troïka, le CPR. Ami de longue date de Chokri Belaïd, le leader d'extrême-gauche assassiné mercredi, le président lui a rendu un vibrant hommage devant le Parlement européen, dans lequel il a dénoncé "la menace extrémiste islamiste armée, que nous appelons le salafisme jihadiste, qui pourrait retrouver une nouvelle vigueur à l'occasion de la poussée de fièvre que connaît cette région du monde."

Il y a ensuite le Premier ministre, Hamadi Jebali, secrétaire général d'Ennahda et membre du courant modéré du parti islamiste. Il a pris tout le monde de court mercredi soir en offrant au peuple en colère la démission de son gouvernement. Une décision et un aveu d'échec immédiatement refusés par son parti, ce qui le place dans une posture politique très compliquée.

Autre personnage-clé, Béji Caïd Essebsi, ex-Premier ministre de transition et leader du parti d'opposition Nidaa Tounes. Fermement opposé à Ennahda, qu'il accuse d'avoir échoué dans ses promesses d'après-révolution, l'homme a plusieurs fois fait part de ses intentions de se présenter aux prochaines élections présidentielles.

Il y a enfin Rached Ghannouchi, leader islamiste d'Ennahda. L'homme est une figure doctrinale et idéologique qui représente la frange plus religieuse du parti. Il est accusé par les manifestants d'être en partie responsable de la mort de Chokri Belaïd, parce qu'il protège les ligues de protection de la révolution, des milices islamistes accusées de servir de bras armé au parti et d'entretenir un climat de violence politique dans le pays.

Alexandra Gonzalez