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Tunisie : "le parti islamiste n'a pas dit son dernier mot"

Des manifestants à Tunis, mercredi.

Des manifestants à Tunis, mercredi. - -

Depuis l'assassinat mercredi du leader d'extrême gauche Chokri Belaïd, la Tunisie fait face à une nouvelle crise politique et sociale majeure. Décryptage avec Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques.

Mercredi matin, Chokri Belaïd, figure de l'opposition tunisienne et chef du parti de gauche des Patriotes démocrates, est assassiné par balles devant son domicile, à Tunis. Une exécution politique qui a embrasé soudainement une partie du peuple tunisien, rempli d'espoirs déçus depuis la chute de Ben Ali en janvier 2011.

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Le parti islamiste Ennahda, installé au pouvoir en octobre 2011 après des élections, se retrouve depuis confronté à une crise politique majeure : le Premier ministre a proposé la dissolution du gouvernement, répondant à la demande des manifestants, mais jeudi, les cadres de son parti s'y sont fermement opposés. Décryptage de ce véritable nœud politique avec Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Pouvait-on s'attendre à une réaction si vive du peuple tunisien ?

Cela montre l'état des tensions dans lequel vit la Tunisie depuis deux ans maintenant. Pour une bonne partie de la population, les espoirs nés après le départ de Ben Ali se sont transformés en frustration et en déception. Il y a certes une instabilité politique et de grosses turbulences, mais il y a surtout une dégradation de la situation économique et sociale, déjà très abîmée avant la chute de Ben Ali. Cet assassinat est venu attiser une situation protestataire qui était déjà là. Même si la situation se calme dans les prochaines semaines, elle pourra de nouveau subitement s'embraser.

Est-ce étonnant que le Premier ministre propose si vite une dissolution du gouvernement ?

Oui, j'ai trouvé sa réponse extrêmement rapide. Le Premier ministre a tout de suite saisi que s'il n'apportait pas de réponse immédiate, la situation pourrait dégénérer très rapidement. S'il propose d'organiser de nouvelles élections législatives, ce n'est pas par altruisme, mais dans la perspective de les gagner avec Ennahda, et de conserver le pouvoir : démissionner pour mieux rebondir. Ennahda cristallise de nombreuses critiques mais reste le parti politique le plus structuré en Tunisie à ce jour. Il n'a pas dit son dernier mot. En revanche, si le parti lui-même refuse la décision du Premier ministre de dissoudre le gouvernement, la situation deviendra dangereuse, puisque cela indiquera qu'il y a une incapacité à gérer le pays.

Vers quoi se dirige la Tunisie selon vous ?

Difficile de prévoir l'avenir. La seule façon pour la Tunisie de sortir par le haut serait que chacune des composantes politiques du pays puisse s'exprimer, et que les Tunisiens puissent voter librement en toute connaissance de cause. Mais si Ennahda refuse de nouvelles élections et cède à la tentation de restriction des libertés démocratiques, on rentrerait dans une situation inquiétante, induisant un manque de légitimité préoccupant.

Y-a-t-il un risque de dictature islamiste ?

Je n'y crois pas une seule seconde. La société tunisienne est suffisamment mobilisée pour ne pas laisser s'installer un glissement autoritaire. Par ailleurs, Ennahda reste un parti qui fait de la politique, et prend en compte les rapports de force avec les autres partis. Je ne crois pas qu'il soit à l'origine de l'assassinat de Chokri Belaïd, je crains fort que ce ne soient plutôt des groupes extrémistes radicaux, qu'on range aujourd'hui dans la catégorie "salafiste", et qui sont plus dans une logique d'affrontements et d'élimination des opposants.

Alexandra Gonzalez