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Assassinat de Chokri Belaïd : un tournant dans la vie politique tunisienne

L'assassinat de Chokri Belaïd, figure de la gauche, a ému une immense partie de la population tunisienne.

L'assassinat de Chokri Belaïd, figure de la gauche, a ému une immense partie de la population tunisienne. - -

Chokri Belaïd, une des figures de l’opposition tunisienne, a été assassiné ce mercredi, à la sortie de son domicile. Ce crime a provoqué la colère des Tunisiens, descendus dans les rues par milliers pour manifester et accuser le parti islamiste au pouvoir. Dans la soirée, le gouvernement a annoncé sa dissolution.

Deux ans après la révolution, la Tunisie est de nouveau confrontée à son destin politique. Le pays s’est embrasé, ce mercredi, après l’annonce de l’assassinat par balles, tôt dans la matinée, d’un des leaders de l’opposition du pays, Chokri Belaïd.

Aussitôt pointé du doigt par la population, Ennahda, le parti islamiste au pouvoir, s’est dédouané de la responsabilité de ce crime politique, en le condamnant. Mais la foule rassemblée devant le ministère de l’Intérieur, à Tunis, a réclamé la "chute du régime".

La Tunisie est-elle en train de vivre un nouveau tournant de sa vie politique ? Eléments de décryptage.

> Qui était Chokri Belaïd ?

Gauche laïque. A la tête du Mouvement des patriotes démocrates, un parti d’extrême-gauche légalisé en mars 2011, après la révolution, Chokri Belaïd était une figure de l’opposition laïque tunisienne.

Âgé de 48 ans, ce farouche opposant aux islamistes d’Ennahda, le parti au pouvoir, était devenu une personnalité politique très médiatisée. Il représentait notamment le Front populaire tunisien, coalition de groupuscules d’extrême gauche, qu’il avait constituée en octobre 2012.

Avocat. Chokri Belaïd était également un ténor du barreau de Tunis. Avant la chute du régime, début 2011, cet avocat défenseur des droits de l’Homme a souvent plaidé dans les procès politiques et a connu la prison, sous les ères Ben Ali et Bourguiba.

> Etait-il menacé ?

Menaces non signées. Depuis quelques temps, Chokri Belaïd se sentait menacé, à en croire les témoignages de son entourage.

Un de ses voisins, Morad, a expliqué à Europe 1, ce mercredi matin, que le leader de l’opposition s’était entouré d’un garde du corps, "il y a trois ou quatre mois", après avoir "reçu des menaces". "Elles n'étaient pas signées, mais des connotations indiquent qu'il s'agit d'islamistes radicaux", a précisé Morad.

Le président tunisien savait. Des médias tunisiens ont rapporté, dans l’après-midi, que Moncef Marzouki était au courant des menaces qui pesaient sur le leader d’extrême-gauche, sans toutefois signifier de quel bord elles provenaient. D’après Mohamed Jmour, un des dirigeants du parti Démocratique national unifié, le président tunisien avait même prévenu Belaïd des intentions d’assassinat qui le visaient.

Dénonciations. Ce qui ne l’empêchait pas de continuer à critiquer le pouvoir en place. Ces derniers jours, Belaïd s’en était pris à deux reprises à Ennahda.

Le 2 février, il avait en effet accusé des "mercenaires" du parti d’avoir attaqué un rassemblement de ses partisans. Le 5 février au soir, la veille de son assassinat, il avait dénoncé à la télévision des "tentatives de démantèlement de l’Etat" et "la création de milices pour terroriser les citoyens".

> Qui se cache derrière cet assassinat ?

"Crime prévisible". Si les récentes critiques formulées par Chokri Belaïd à l’égard d’Ennahda peuvent laisser imaginer un désir d'élimination, aucune preuve ne permet, pour l’heure, de certifier que le parti au pouvoir est à l’origine de ce crime.

Pas de protection. Pour l’ancien Premier ministre et chef du parti d’opposition de centre-droit Nida Tounes, Beji Caïd Essebsi, interrogé par L’Express, cet assassinat était "prévisible". Selon lui, plusieurs responsables de l’opposition ont reçu des menaces de mort, depuis quelques mois. Et d’expliquer : "En ce qui me concerne, à la suite de ces menaces, le ministère de l'Intérieur a dépêché une brigade motorisée chargée d'assurer ma protection. Mais Chokri Belaïd, lui, ne disposait d'aucun dispositif comparable. Ses prises de position radicales le plaçaient pourtant tout en haut de la liste".

Ennahda accusé par la population. Les manifestants descendus dans les rues tunisiennes ce mercredi, se sont violemment attaqués aux locaux d’Ennahda. Le parti islamiste s’était empressé, peu après l’annonce de la mort de Chokri Belaïd, de s’en dédouaner.

Selon Mokthar Trifi, président d’honneur de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, ces vandalismes traduisent un raz-le-bol général face aux méthodes anti-démocratiques du pouvoir et s’expliquent par le fait qu’Ennahda a "couvert tous les actes de violences qui ont été commis auparavant contre les opposants politiques".

> Quel avenir pour la Tunisie ?

Dissolution. Crainte d'un "hiver arabe" ou abdication face à des mois de crise politique ? Le Premier ministre, Hamadi Jebali, est intervenu à la télévision, ce mercredi soir, pour annoncer la dissolution du gouvernement en place et la tenue d'élections "dans les plus bref délais", après une unique journée de manifestations et de slogans anti-régime.

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Responsabilité du gouvernement. Invité de BFMTV, l'ambassadeur de Tunisie à Paris, Adel Fekih, avait rappelé, quelques instants avant cette annonce du Premier ministre, que la mort de Belaïd a constitué le premier assassinat politique depuis la chute de Ben Ali.

"Je pense qu'il y a une part de responsabilité du gouvernement", a-t-il dit. Et de conclure : "Nous avons vu une escalade de la violence ces derniers mois. Il y a des choix politiques qui auraient dû être pris avant".

Adrienne Sigel