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Paris-Lyon: Y a-t-il une place pour Trenitalia face au TGV de la SNCF?

L'opérateur italien lance ce samedi sa flèche rouge à la conquête du marché français. Plus avec l'ambition de faire grossir le gâteau du train en France que de faire trembler la SNCF.

Moment historique pour le ferroviaire en France. Pour la première fois ce samedi, un concurrent du TGV de la SNCF circulera sur le très fréquenté et rentable axe Paris-Lyon et poursuivra ensuite sa route jusqu'à Milan. Trenitalia et son train à grande vitesse baptisé Flèche Rouge est donc le premier à attaquer le monopole historique de la SNCF suite à l'ouverture à la concurrence du marché fin 2020.

Trenitalia arrive avec une offre différenciante grâce notamment à plusieurs classes de confort qui permettent de viser plusieurs cibles (du touriste à l'homme d'affaires) et des prix agressifs pour contrer le très puissant Ouigo de la SNCF.

Interrogé par BFM Business, Roberto Rinaudo, le patron de la filiale française de Trenitalia affiche excitation et satisfaction: "Les premiers trains sont presque pleins, ça marche très bien, nous sommes ravis de l'évolution des ventes, notre proosition rencontre son public. Nous entendons proposer une offre riche qui réponde à toutes les exigences", nous expliquait-il ce jeudi alors que la SNCF devait se débattre avec de multiples appels à la grève désormais levés.

Trenitalia a-t-il profité de cette séquence de confusion à la SNCF à quelques jours des premiers départs pour les vacances de Noël? Le responsable n'appuie pas où ça fait mal: "Une grève, c'est dommageable pour tous les acteurs. Nous, on espère que ce conflit social se réglera, c'est dommage".

Humilité

L'opérateur italien joue la carte de l'humilité. Il ne s'agit pas, en tout cas pour le moment, de chercher à tailler des croupières à la vénérable société nationale des chemins de fer français qui a largement anticipé la concurrence. "Nous ne pouvons pas faire de mal à la SNCF, nous sommes tout petits", concède dans un sourire le responsable.

De fait, Trenitalia débarque sur le marché français de la grande vitesse de manière progressive. Son principal handicap face au TGV? Sa faible fréquence: 2 rotations pour le moment contre pas moins de 24 pour la SNCF. Entre les tarifs de Ouigo et la fréquence des TGV, l'espace concurrentiel de Trenitalia est encore réduit, certains observateurs parlant même de marché de niche.

"Nous renforcerons l'offre dans les prochains mois avec 3 rotations quotidiennes uniquement vers et depuis Lyon", souligne le responsable sans donner de date pour le moment.

Trenitalia entend surtout profiter de l'occupation forte du TGV, à savoir attirer les clients qui ne trouvent pas le bon train à la SNCF. Car l'ouverture à la concurrence, ce n'est pas se battre pour le même gâteau et grappiller des parts à son concurrent, mais bien faire grossir ce gâteau avec plus d'offre. Traduction, augmenter la part modale du train.

En Italie, la concurrence a fait bondir la part modale du train

"Faire grandir notre activité en France, c'est faire grandir le marché en lui même", avance Roberto Rinaudo. "Un choix plus riche entraîne plus de volumes, cela génère des bénéfices pour tous les acteurs".

Un constat qui s'appuie sur l'exemple italien où Trenitalia (qui est l'opérateur historique dans le pays) est concurrencé sur la grande vitesse par Italo de l'opérateur privé NTV (Nuovo Trasporto Viaggiatori), qui a déboulé sur les rails transalpins en 2012.

"Sur l'axe Rome-Milan, après quelques années de concurrence, le nombre global de passagers a doublé", précise-t-il.

En effet, selon une étude du Cesip (Centre de recherche en économie et régulation des services, de l'industrie et du secteur public), après le lancement d’Italo et l’ouverture à la concurrence en Italie, la part modale du train a augmenté de 36% en 2008 à 75% en 2017. Aujourd’hui, le train a 75% de parts de marché entre les plus grosses villes d’Italie.

Un constat partagé par Christopher Michau, Directeur des relations opérateurs pour Trainline: "Ce qui est important, c'est le choix supplémentaire qu'offre Trenitalia qui va adresser différents besoins, le consommateur y gagne. C'est une offre complémentaire qui va faire grossir le gâteau. A chaque fois qu'il y a concurrence, les acteurs ne se volent pas des parts de marché, ce qu'on observe, c'est l'augmentation de la part modale du train même s'il y a des nuances en fonction des marchés. On démocratise l'accès au train".

Une émulation qui profite à la qualité de service

Pour autant, l'ouverture à la concurrence n'est pas systématiquement synonyme de hausse des volumes et de la qualité. L'exemple anglais en est la parfaite illustration. L'ouverture du marché en 1990 a été organisée en franchises débouchant sur des surcoûts, retards, problèmes techniques. Le gouvernement a dû ces dernières années renationaliser des lignes et entend désormais revoir complètement le modèle de privatisation.

"Les règles ne sont vraiment pas comparables, rétorque Roberto Rinaudo. Le modèle italien d'ouverture à la concurrence est très proche de ce qui se passe en France au niveau réglementaire".

Autre bénéfice, la qualité de service a globalement a été améliorée grâce à l'émulation entre les acteurs. Une émulation que l'on commence à voir en France. Certes, la puissance et l'empreinte de la SNCF permettent à l'opérateur de rester serein, ce qui ne l'a pas empêché de déployer une nouvelle classe Business Première dans ses TGV pour s'aligner sur les deux classes affaires de Trenitalia: Business et Executive où seulement 10 fauteuils en cuir à large assise de 74 cm de large sont offerts.

Car la cible professionnelle est stratégique, surtout sur cette liaison, autant pour Trenitalia que pour la SNCF. Rappelons que les pros génèrent au global 40% du chiffre d'affaires de la SNCF.

D'autres lignes?

Confiant en son modèle, Trenitalia entend monter en puissance progressivement: "on veut développer nos ventes, faire grandir notre activité, améliorer et optimiser si nécessaire dans le cadre d'une stratégie à long terme", nous explique Roberto Rinaudo.

Faut-il comprendre que l'opérateur songe à attaquer d'autres lignes à grande vitesse? "C'est encore trop tôt pour l'envisager, c'est déjà très ambitieux de se lancer sur Paris-Lyon", souligne le responsable.

En tout cas, la SNCF et Trenitalia devront composer avec un autre compétiteur sur Paris-Lyon. L'espagnol Renfe a affiché ses ambitions. "Avec la libéralisation du transport ferroviaire de voyageurs, Renfe mène des actions en France pour le lancement de services à grande vitesse et la fourniture de services publics", peut-on lire dans un communiqué. Reste à savoir si le gâteau continuera à grossir...

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business