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Aéronautique

"J’ai pris conscience de l’ampleur de la catastrophe climatique": quand un pilote de ligne démissionne pour raisons écologiques

Sur LinkedIn, ce pilote de la compagnie aérienne Swiss explique ne plus vouloir "être partie prenante d'une industrie contribuant de manière significative au problème".

C'est une prise de position très rare dans le monde de l'aérien. Yann Woodcock est pilote de ligne, il travaille pour la compagnie Swiss depuis 2011. Mais face au déréglement climatique, ce professionnel a décidé de démissionner, estimant que l'avion fait partie du problème.

Dans une publication sur LinkedIn qui a fait réagir près de 10.000 personnes, il explique: "Je quitte le monde captivant de l’aéronautique qui, depuis 2011, m’a permis de vivre de ma passion. La passion demeure mais moi je pars".

"Je pars car j’ai pris conscience de l’ampleur de la catastrophe climatique et de l’effondrement du vivant. Alors que beaucoup croient en la possibilité d'éviter le naufrage par des ajustements superficiels, les faits scientifiques réclament des changements drastiques dans nos modes de vie. Ainsi, je ne souhaite plus être partie prenante d'une industrie contribuant de manière significative au problème", poursuit-il.

Yann Woodcock n'entend pas culpabiliser qui que ce soit: "Loin de moi l’idée de pointer du doigt qui que ce soit travaillant dans une industrie climaticide (...) Ainsi, même si elle pourrait en avoir l’apparence, ma décision ne doit pas être interprétée comme un appel à la responsabilité individuelle".

"La réduction des vols doit être massive"

Pour autant, il estime que les efforts du secteur pour réduire son empreinte carbone (3 à 5% des émissions mondiales selon les études) sont vains.

"Je suis convaincu que la lutte contre la catastrophe climatique sera collective ou ne sera pas. En effet, il a été démontré que, même en adoptant un mode de vie irréprochable, une personne n’arriverait que difficilement à faire baisser son empreinte carbone de plus de 20 à 30%. C’est notre système économique basé sur la surconsommation (dont les trajets en avion font partie), sur la croissance infinie et sur la maximisation des profits qui doit être repensé entièrement".

La seule solution pour lui, comme pour certains scientifiques est de tout simplement réduire le poids de l'aviation commerciale: "nous aurons toujours besoin de l’aviation, mais la réduction des vols doit être massive", écrit-il.

Selon lui, cette réduction ne changerait pas la face du monde. "Il est souvent avancé que sans l’aviation, les sociétés se replieraient sur elles-mêmes. Certes, la possibilité de se déplacer aisément à l’échelle mondiale a parfois permis à une minorité globe-trotteuse de s’ouvrir au monde et d’apprendre à connaître d’autres cultures, mais je pense qu’il est faux de prétendre que le déplacement à l’autre bout du monde en avion équivaut forcément au voyage".

Et d'attaquer l'industrie du tourisme, alimentée par l'usage massif des réseaux sociaux "dans la création artificielle d’un nouveau besoin de déplacements aériens qui n’existait pas encore il y a quelques années /décennies".

Point de non-retour

Sa proposition: "ne vaut-il pas mieux réellement voyager quatre fois dans sa vie plutôt que de se déplacer chaque année?", rejoingnant celle "volontairement provocatrice" mais "lucide" de Jean-Marc Jancovici.

Quant aux solutions technologiques mises en avant par la filière pour réduire son empreinte: carburants dits propres, hydrogène, elles "ne seront pas prêtes à large échelle avant que l’on n’atteigne les points de non-retour en matière de réchauffement" et nécessitent "une quantité astronomique d’énergie pour leur production".

Yann Woodcock, conscient "d'appartenir à la catégorie des privilégiés qui peuvent se permettre la réduction du temps de travail pour suivre une formation en parallèle" souhaite se reconvertir dans le droit.

"Par la suite, je compte utiliser mes compétences pour continuer mon combat pour un monde plus juste et pour la défense de causes pour lesquelles il est, dans ce monde si inégalitaire, vital de se battre", écrit-il.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business