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Tribune polémique: les influenceurs font-ils trop confiance à leurs agents?

Les influenceurs accompagnés par des agences ne représentent qu'une minorité dans la profession, selon l'Umicc

Les influenceurs accompagnés par des agences ne représentent qu'une minorité dans la profession, selon l'Umicc - Pexels

Certains influenceurs ont avoué avoir signé, sans la lire, une tribune parue dans le "Journal du dimanche". Le youtubeur Squeezie a par exemple déclaré qu'il l'avait fait par "confiance" envers son agent, qui lui a soumis le texte. Quelles sont les relations entre influenceurs et agents et comment les responsabilités sont-elles partagées?

Comment peut-on se retrouver à signer une tribune que l'on n'a pas lue? La question agite les réseaux sociaux depuis plusieurs jours, après la publication, dans le Journal du dimanche, d'une tribune sur la régulation du monde de l'influence, de laquelle de nombreux signataires se sont ensuite désolidarisés. Les raisons invoquées sont diverses. Certains disent ne jamais avoir donné leur accord pour que leur nom y figure et d'autres, comme Squeezie, avouent avoir donné leur accord sans l'avoir lue.

Le premier youtubeur de France a expliqué dans un TikTok publié mardi ce qu'il s'était passé pour lui: "comment j'ai pu m'associer à ce truc sans même l'ouvrir, ou le consulter? Eh bien, parce que c'est mon agent qui me l'a envoyé et je lui fais confiance".

Il explique que son agent fait partie de l'Umicc, une fédération d'agences et d'influenceurs à l'initiative du texte publié dans le JDD. L'Umicc a participé ces derniers mois aux consultations menées par le ministère de l'Économie et des députés sur l'encadrement du secteur de l'influence.

"Vous avez raison, en tant que numéro 1, je n'aurai jamais dû m'associer à un truc sans le lire", ajoute Squeezie. "Je n'aurais pas dû me contenter de faire confiance, j'aurais dû me renseigner, m'impliquer, bref, j'aurais dû être responsable"

Mise en relation et conseil

Cette confiance est au cœur des relations entre les influenceurs et leurs agents. Les premières agences dédiées à l'influence commerciale ont émergé entre le milieu et la fin des années 2010.

L'agent d'influenceur est notamment chargé de mettre en relation des marques avec des créateurs et de dessiner les contours des partenariats. Il peut aussi avoir un rôle de conseil auprès du créateur sur la stratégie commerciale à adopter.

Les agents prennent, comme c'est le cas dans le cinéma par exemple, une commission sur les contrats signés par des influenceurs. Il faut donc avoir un minimum de succès pour qu'il soit rentable de faire appel à un agent. Les agences peuvent également collaborer ponctuellement avec des créateurs pour les mettre en relation avec des marques. Aujourd'hui, "seule une minorité" de créateurs est "accompagnée par des agences", souligne l'Umicc dans un communiqué de vendredi.

Un agent pour "s'extraire" de certaines contraintes

Au sein du collectif Paye ton influence, Amélie Deloche sensibilise sur Instagram les influenceurs aux questions ayant trait au réchauffement climatique et à l'influence "responsable", qui comprend à son sens autant les enjeux juridiques que les enjeux écologiques.

Elle souligne auprès de BFMTV.com que "le fait d'avoir un agent permet normalement aux influenceurs de pouvoir s'extraire de ces contraintes et de déléguer l'aspect juridique par exemple". Avec son entreprise Post influence, elle accompagne les agences dans le développement de pratiques éthiques et écologique.

Elle constate que "la majorité" des agences d'influenceurs "ne font pas assez de recherches sur les briefs des marques qui sont envoyés" en vue de nouer un partenariat rémunéré avec un créateur.

Amélie Deloche estime aussi que les influenceurs "ne se renseignent par assez" de leur côté sur les aspects écologiques et de protection du consommateur, notamment avant d'accepter un partenariat. Elle cite l'exemple récent d'une influenceuse ayant effectué des stories sponsorisées pour l'entreprise Bayer à l'occasion du salon de l'agriculture, début mars. Interrogée par le média Vakita, elle avait assuré regretter ce partenariat et ne pas s'être renseignée en amont sur qui était Bayer, géant de l'agrochimie et fabricant de pesticides.

Sur le plan de leurs obligations légales, le sociologue spécialiste de la "mise au travail" des influenceurs Joseph Godefroy relève aussi une "méconnaissance importante" de leur part du cadre juridique qui s'applique à eux.

Un métier présenté comme une passion

Comment expliquer que des personnes qui peuvent toucher a minima des milliers de personnes se renseignent aussi peu avant d'effectuer une publicité ou, dans le cas le plus récent, de signer une tribune dans un hebdomadaire très scruté par l'univers politico-médiatique? Pour Joseph Godefroy, la réponse est à chercher du côté de la manière dont ils se représentent leur activité.

Il a observé lors de ses travaux que souvent, lorsque les influenceurs mentionnent leurs réalisations sur les réseaux sociaux, ils évoquent "les loisirs, la passion". Il s'agit d'un discours répandu dans le secteur de l'influence, qui ne dépend pas du nombre d'abonnés et qui n'aide pas à la professionnalisation du secteur, selon le chercheur de l'université de Nantes.

"Si certains gagnent particulièrement bien leur vie, c'est surtout un complément de revenus pour beaucoup d'entre nous. Pour nous tous, c'est une passion", insistait par exemple la tribune publiée dans le JDD le 25 mars.

Une proposition de loi pour professionnaliser le secteur

Amélie Deloche explique ainsi que "le manque d'encadrement global fait qu'il n'y a pas eu de pratiques claires pour professionnaliser le secteur" et que "l'auto-régulation ne suffit pas". Selon cette observatrice du monde de l'influence, la proposition de loi examinée cette semaine à l'Assemblée nationale, qui a pour but de réguler plus strictement le secteur, devrait changer les choses.

Pour les créateurs qui, eux, ne sont pas représentés par un agent, "il est difficile de s'emparer de ces connaissances juridiques inégalement distribuées socialement", note Joseph Godefroy auprès de BFMTV.com: "tout le monde n'a pas un juriste dans son entourage".

Afin de les aiguiller, le ministère de l'Économie a d'ailleurs mis en ligne un "guide de bonne conduite" destiné aux "influenceurs et créateurs de contenu". Il veut aussi définir, via la proposition de loi examinée cette semaine, une "co-responsabilité" des agences lorsqu'elles "conduisent l’influenceur à porter atteinte à un tiers dans l’exécution du contrat qu’elles lui ont proposé", selon le dossier de presse mis en ligne vendredi.

Sophie Cazaux