Tech&Co
Réseaux sociaux

Régulation des influenceurs: en quoi consiste la proposition de loi examinée cette semaine?

Une proposition de loi examinée cette semaine à l'Assemblée nationale vise à réguler le milieu de l'influence commerciale. Encadrement des publicités d'alcool, de produits et services financiers, lutte contre les arnaques... On vous explique ce que peut changer ce texte.

Ce week-end, 150 créateurs de contenus ont appelé les députés français à ne pas les "considérer comme un objet de combat": "ne cassez pas le modèle vertueux que nous construisons aux quatre coins de la France avec et pour les Français", ont-ils imploré dans le Journal du dimanche. Certains ont ensuite dit ne pas avoir lu cette tribune avant de la signer et d'autres ont regretté d'y avoir apposé leur nom. Cette tribune intervient dans un contexte particulier: le secteur de l'influence fait l'objet d'un texte qui pourrait changer la manière dont certains exercent leur métier.

À partir de ce mardi, l'Assemblée nationale examine une proposition de loi visant à "lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux", portée par les députés Stéphane Vojetta et Arthur Delaporte, respectivement Renaissance et Socialiste - Nupes. Les travaux sur ce texte ont débuté il y a plusieurs mois, dans un contexte de critique de ce secteur et de polémiques sur des influenceurs accusés de faire la promotion d'arnaques, entre autres. Ils ont été complétés par les consultations menées par le ministère de l'Économie depuis décembre.

Avec ce texte, Arthur Delaporte veut "protéger le consommateur, sa santé et son porte-monnaie" mais aussi "clarifier les droits et devoirs des influenceurs et restaurer un lien de confiance". "

"Avec l'influence non régulée, certains ont abusé de façon éhontée, ce qui a donné l'image d'un monde sans éthique alors que la plupart des influenceurs font leur travail comme ils peuvent avec le plus grand professionnalisme", explique-t-il à Tech&Co.

Une définition du métier d'influenceur

Certaines dispositions de cette proposition de loi existaient déjà: elle rappelle par exemple que les influenceurs ont l'obligation de mentionner clairement les partenariats rémunérés qu'ils effectuent et qu'ils ne peuvent pas faire la publicité de contrefaçons.

Elle crée aussi une définition de l'influenceur: dans la version du texte avant son passage dans l'hémicycle, il s'agit des personnes "qui mobilisent leur notoriété pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature".

Le texte "a le mérite de clarifier le régime qui doit s'appliquer aux influenceurs mais aussi à leurs agents et aux annonceurs qui font appel à eux", estime auprès de Tech&Co l'avocat Raphaël Molina.

"Jusque-là, on n'avait pas cette définition et on était parfois obligés de rattacher leurs activités à d'autres régimes existants comme le mannequinat", développe l'avocat du cabinet Influxio, qui accompagne des influenceurs.

La créatrice de contenus humoristiques Fatou Guinea abonde: "la loi ajoute de la crédibilité à notre métier, ça montre que c'est un vrai travail, qu'il y a beaucoup de gens derrière nous".

La publicité pour la chirurgie esthétique interdite

Le texte crée l'interdiction, pour un influenceur, de faire la promotion de la chirurgie esthétique. Il encadre strictement les publicités ayant trait à des produits et services financiers et les partenariats dans le secteur de l'alcool, en précisant que la réglementation prévue par la loi Evin s'applique aux influenceurs.

Les influenceurs qui sont établis hors Union européenne devront nommer un représentant légal qui sera "soumis au droit français pour tout ce qui relève des activités d’influence commerciale" à destination de la population française, une manière "efficace de les contraindre au droit français", approuve Raphaël Molina.

La proposition de loi définit des obligations pour les plateformes, comme le fait de mettre en œuvre des moyens nécessaires pour retirer les contenus signalés par les autorités et de traiter en priorité les alertes de "signaleurs de confiance", les associations de consommateurs ou de victimes de l'influence, selon Bercy.

L'État aussi aura sa part de responsabilité: selon les termes actuels de la proposition de loi, il devra mener dans les écoles des opérations de sensibilisation aux dérives des influenceurs et remettre dans les six mois à partir de la promulgation de la loi un rapport sur les moyens de la DGCCRF pour lutter contre les arnaques promues par des influenceurs.

Bruno Le Maire semble avoir pris les devants sur ce point: il a annoncé vendredi que 15 agents de la DGCCRF y formeront "dans les prochaines semaines" une "brigade de l'influence commerciale" pour contrôler et éventuellement sanctionner des créateurs. Il s'agira de 15 nouveaux postes, qui s'ajouteront aux effectifs déjà existants de ce service du ministère de l'Économie chargé de la répression des fraudes, précise le ministère à Tech&Co.

Un "bon début"

Tous les acteurs du secteur interrogés par Tech&Co saluent les évolutions proposées par les députés et le ministère. L'Umicc, une fédération d'influenceurs et d'agences, estime qu'elles "montrent une réelle écoute" du milieu et peuvent "protéger les consommateurs tout en permettant le développement du secteur". Raphaël Molina y voit "un bon début" et une "loi intéressante".

"C'est très positif", abonde Audrey Chippaux, qui tient le compte Instagram d'alerte sur les dérives de candidats de télé-réalité Vos stars en réalité. Elle juge que certaines dispositions sont "très précises et vont dans le sens de la protection du consommateur".

Fatou Guinea trouve également qu'il était "essentiel" de réguler ce secteur. Elle a toutefois signé la tribune publiée dans le JDD et explique à Tech&Co avoir eu "du mal à admettre qu'on nous confonde avec ce qui a été baptisé des 'influvoleurs'", alors qu'elle dit faire attention à "ne pas promouvoir d'alcool ou de chirurgie esthétique".

Une loi pas assez intemporelle?

Plusieurs points restent toutefois en suspens: la proposition de loi prévoit une mention "images retouchées" pour tous les contenus rémunérés d'influenceurs ayant fait l'objet d'un "traitement d'image". Une définition "trop large" qui risquerait de "rajouter des règles aux règles" et de rendre le tout "inaudible", selon l'Umicc. Cette fédération d'influenceurs se dit plus favorable à ce qui a été évoqué par Bruno Le Maire vendredi: la mention des retouches ou des filtres dans le cas de placements de "produits esthétiques".

De son côté, l'avocat Raphaël Molina regrette qu'il "manque des dispositions en matière de propriété intellectuelle: il y a un vrai flou sur ce qui appartient ou non à un influenceur". Il dit être confronté à des cas de "vol de contenu", où "des marques reprennent des contenus d'influenceurs sans demander leur accord pour de la publicité".

Me Molina juge aussi que cette proposition de loi n'est pas assez intemporelle: "les interdictions de certains produits sont intéressantes aujourd'hui, mais on ne sait pas quelle sera la nouvelle escroquerie à la mode demain", souligne-t-il.

Un problème qui "dépasse" les influenceurs

Audrey Chippaux estime de son côté qu'il manque un volet sur la prévention: elle trouverait par exemple utile que des comptes sur les réseaux sociaux comme le sien, qui alertent sur certaines dérives et arnaques, soient mis en avant par les plateformes pour informer leurs utilisateurs.

Elle affirme également que le problème "dépasse largement les influenceurs". "L'influenceur n'est qu'un vecteur de communication qui a mis en lumière tous nos dysfonctionnements dans le e-commerce sur lesquels il va falloir se pencher sérieusement", explique-t-elle à Tech&Co. Et d'ajouter malicieusement: "merci aux influenceurs de nous montrer tout cela finalement".

Sophie Cazaux