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TOUT COMPRENDRE - Comment une tribune d'influenceurs sur la régulation du secteur a tourné au fiasco

Texte publié sans être relu, confusion et volte-faces publiques: retour sur la cacophonie de la tribune des influenceurs publiée ce weekend en réaction à une future loi visant à encadrer leurs pratiques.

"J'ai fait l'erreur de donner mon accord pour que mon nom apparaisse dans une tribune très maladroite, que je n'ai même pas lue avant publication." Dans un tweet dimanche 26 mars, le YouTubeur Squeezie se désolidarisait d’un texte qu’il avait signé, publié quelques heures plus tôt dans le JDD, comme plusieurs autres signataires.

Le nom du vidéaste le plus suivi de France était apposé aux côtés de ceux de 150 influenceurs au bas d’une tribune critique de la loi de régulation de l’influence débattue ce 28 mars à l’Assemblée nationale. Depuis, plusieurs d’entre eux sont revenus sur leur adhésion à ce texte, et ont exprimé leur désaccord sur plusieurs aspects.

• Pourquoi cette tribune?

Cette tribune intervient alors qu’une proposition de loi pour "lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux" sera débattue mardi à l’Assemblée, portée par les députés Stéphane Vojetta (Renaissance) et Arthur Delaporte (Socialiste - Nupes). Elle vise à réguler davantage le secteur, suite à une série de polémiques où des influenceurs ont été accusés de faire la promotion d’arnaques ou de produits dangereux.

Cette loi vise à uniformiser les impératifs en matière de promotion de produits en ligne, en soumettant les quelque 150.000 influenceurs français aux mêmes règles que celles de la publicité traditionnelle. Dans sa version actuelle, le texte interdit par exemple la promotion de la chirurgie esthétique et encadre les publicités ayant trait à des produits et services financiers et les partenariats sur l'alcool, en appliquant les règles prévues par la loi Evin aux influenceurs.

Elle rappelle l'obligation de mentionner clairement les partenariats rémunérés, et impose la signature d’un contrat. Des mesures de protection des mineurs de moins de 16 ans sont également prévues, ceux-ci devant obtenir un agrément préalable pour être employé d’une entreprise spécialisée dans l’influence commerciale.

• Que contient cette tribune?

"Ne cassez pas le modèle vertueux que nous construisons aux quatre coins de la France avec et pour les Français. Comprenez-le, protégez-le, faites-le grandir".

C’était le message principal de cette tribune, qui indiquait paradoxalement être favorable à un meilleur "encadrement du secteur".

"Arnaques, contrefaçons, pratiques commerciales douteuses, certains ont fait croire ces derniers mois qu'ils étaient représentatifs de notre secteur alors qu'ils ne représentent qu'une minorité. Ce sont leurs dérives que nous souhaitons d'abord dénoncer", poursuit le texte.

Des YouTubeurs stars McFly et Carlito et Natoo, les vidéastes beauté Enjoy Phoenix et Sananas, ou encore l'ancienne Miss France Camille Cerf: les signataires regroupent pourtant des influenceurs de tous les types.

• Pourquoi fait-elle polémique?

Une liste fourre-tout qui porte à confusion, et pour cause: depuis sa publication, certaines célébrités du web craignent d’être assimilées à des personnalités accusées de pratiques douteuses, qui pourraient craindre de voir leurs activités mieux encadrées.

"On m’a présenté cette tribune comme un moyen de nous défendre devant des lois trop extrêmes, qui auraient pu pénaliser à tort les honnêtes créateurs de contenu" écrit ainsi Squeezie sur Twitter. "En réalité, cette tribune ne fait aucune distinction entre les créateurs de contenu et les influenceurs, et semble juste essayer de limiter la casse sur les influenceurs malintentionnés."

Sur le fond, ce n’est d’ailleurs pas la loi en cours d’élaboration qui lui pose problème.

"Je n'ai rien à perdre avec cette réforme qui est destinée à réglementer des placements de produits immoraux", conclut ainsi Squeezie.

Il rejoint le Youtubeur Dr Nozman, dont la signature figure également sur la tribune, qui assure dans un Tweet qu’après avoir lu la proposition de loi, il juge finalement que les mesures prévues sont "pour la plupart nécessaires pour avancer dans la bonne direction et qu'elles ciblent justement de réels problèmes et dangers".

• Qui en est à l’origine?

A l’initiative du texte, on retrouve la première fédération professionnelle du secteur, lancée en janvier, l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu (Umicc). "Nous regrettons que la tribune signée par des créateurs de contenu dans le JDD ait été mal perçue", s’est défendue l’organisation dans une réaction partagée avec la rédaction de Tech&Co. Affirmant soutenir cette loi, l’Umicc avance que ce texte avait simplement pour objectif "de faire de la pédagogie autour du métier de créateur".

Plusieurs influenceurs ont depuis expliqué avoir donné leur accord de principe, sans avoir la possibilité de relire le texte, comme l’indique le Youtubeur Linca sur son compte Twitter. Certains affirment l’avoir mal lu, comme le blogueur de voyage Bruno Maltor, voire ne pas s’y être penché.

"On a tous signé un truc avec deux trois échanges WhatsApp, a déploré le YouTubeur Seb La Frite au micro de France Inter ce matin. "On passe un peu tous pour des cons! Ce qui est un peu le cas parce qu’on est vraiment cons d’avoir agi comme ça".

Ce 27 mars à 14 heures, le JDD a mis à jour sa tribune, en supprimant les noms d'influenceurs ne souhaitant plus y être associés.

Lucie Lequier