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La DGCCRF nous raconte comment elle enquête sur les mauvaises pratiques des influenceurs

Injonction de cesser des pratiques commerciales trompeuses de la DGCCRF envers l'influenceuse Mélanie Orl, le 10 août 2023

Injonction de cesser des pratiques commerciales trompeuses de la DGCCRF envers l'influenceuse Mélanie Orl, le 10 août 2023 - DGCCRF/X

Les services de l'État communiquent depuis quelques mois sur certaines sanctions qu'ils infligent à des influenceurs lorsque ces derniers ne respectent pas les règles qui entourent la publicité. Comment se déroulent les enquêtes qui mènent à ces décisions? Les sanctions sont-elles suffisantes? La DGCCRF répond à ces questions auprès de BFMTV.com.

L'administration monte en puissance sur les problématiques des influenceurs et veut le faire savoir. Ce jeudi, la DGCCRF, un service du ministère de l'Économie chargé de la répression des fraudes, a publié une nouvelle salve d'injonctions à cesser des pratiques commerciales trompeuses visant quatre influenceuses.

Sont concernées Mélanie Orl, Féliccia, Amandine Pellissard et Fanny SNL. Les quatre instagrammeuses ont commis différentes infractions, allant du fait de ne pas mentionner le caractère publicitaire d'une publication à la présentation d'injections d'acide hyaluronique par une personne qui n'avait pas les qualifications requises pour ce type d'intervention.

Avant cela, la DGCCRF avait émis des injonctions vis-à-vis d'autres influenceurs, comme Julien Bert, Simon Castaldi, Capucine Anav ou Rym Renom. Comment se déroulent les enquêtes qui aboutissent à ce type de sanctions? La DGCCRF explique à BFMTV.com comment elle inspecte les publications des influenceurs.

Une alerte des consommateurs, de la presse...

Tout commence par un signalement. Il peut venir de particuliers qui passent par la plateforme signal-conso, un service public gratuit pour permettre aux consommateurs de signaler les problèmes rencontrés avec les entreprises qui a un onglet dédié aux influenceurs. Ces alertes peuvent aussi venir de la presse, des autorités, ou bien de l'initiative des enquêteurs de la DGCCRF eux-mêmes.

Rémy Slove, porte-parole de cette administration, reconnaît que les comptes de lanceurs d'alerte, ces anonymes qui dénoncent les mauvaises pratiques des influenceurs sur leurs propres réseaux sociaux, "font partie des informations regardées" dans le cadre d'un contrôle. Certains, comme Vos stars en réalité, répertorient minutieusement les placements de produits douteux pour le grand public.

Ensuite commence un travail d'enquête: "Une fois qu'on se dit que le signalement doit faire l'objet d'une enquête, les enquêteurs vont sur les réseaux sociaux, ils extraient les bonnes informations", détaille Rémy Slove.

Des règles précises sur la publicité

Concrètement, les agents regardent si une publication ressemble à une publicité sans que la collaboration rémunérée soit clairement indiquée. Par exemple, parler d'un séjour qui a été offert par une agence de voyage sans expliquer qu'il s'agit d'un cadeau n'est pas légal. Ils vérifient également si les produits vendus sont autorisés en France (il est ainsi interdit de vendre de la contrefaçon).

Les agents s'assurent aussi que le placement de produit respecte les règles qui entourent la publicité pour le produit concerné. Par exemple, il n'est pas permis de mettre en avant le fait que des cosmétiques sont "non testés sur les animaux" car ces tests sont interdits par la réglementation européenne. Le fait de le mettre en avant laisse donc sous-entendre que d'autres marques vendues en France ont ces pratiques.

Un droit de réponse pour l'influenceur

L'une les influenceuses épinglées ce jeudi, Fanny Snl, a raconté sur YouTube comment ce contrôle s'était déroulé pour elle. "ll y a quelques semaines de ça, j'ai reçu chez moi un courrier en provenance de la DGCCRF, explique-t-elle dans sa vidéo. "Il s'agissait en fait d'un courrier me convoquant à une audition libre dans le cadre d'une enquête réalisée sur mon activité de marketing".

"Je me suis donc rendue à cette audition libre, qui a duré environ trois heures et pendant laquelle j'ai été interrogée par deux agents de la DGCCRF sur mon activité liée aux réseaux sociaux. Ils ont également épluché et scanné tous les documents relatifs à mon entreprise, que ce soit mes factures, mes déclarations fiscales, etc.", poursuit-elle.

Elle a ensuite reçu une "lettre de pré-injonction", ouvrant une période de contradictoire, qui a duré dix jours pour cette créatrice de contenus. "Il y a une étape d'échange avec l'influenceur parce qu'il a un droit de réponse. Il va justifier, éventuellement, ses pratiques. Puis, on décide des suites à donner au contrôle", relate Rémy Slove.

Avertissement, injonction, amende...

Plusieurs issues sont possibles. Si une infraction est détectée par l'administration, celle-ci peut envoyer un avertissement à l'influenceur. Elle peut aussi émettre ces fameuses injonctions de cesser toute pratique commerciale trompeuse, qui sont publiées par la DGCCRF mais parfois aussi par l'influenceur. Ses abonnés voient alors s'afficher sur ses réseaux sociaux un message blanc sur fond noir qui doit rester épinglé plusieurs jours (la durée est déterminée par les services de l'État).

Le profil Instagram de Simon Castaldi affiche trois publications de la DGCCRF.
Le profil Instagram de Simon Castaldi affiche trois publications de la DGCCRF. © Capture d'écran - Instagram

"Et bientôt, on pourra faire des injonctions sous astreinte", souligne Rémy Slove, un dispositif encore plus "dissuasif". Cette possibilité a été introduite par la loi sur l'influence commerciale, adoptée par le Parlement en juin. Elle permet d'infliger une amende journalière à des personnes qui ne respecteraient pas l'injonction, en ne la publiant pas sur leurs réseaux sociaux ou en continuant leurs pratiques frauduleuses par exemple. Cette amende peut aller jusqu'à 3000 euros par journée de non-respect de l'injonction.

"Pour les cas les plus sérieux, il y a transmission d'un procès-verbal à la justice", qui doit "décider des suites à donner" à l'affaire, explique le porte-parole de la DGCCRF, qui ajoute ne pas pouvoir donner de chiffre sur le nombre de dossiers transmis à la justice cette année - ils étaient au nombre de 16 au premier trimestre de 2023.

Enfin, la DGCCRF peut recourir à l'injonction numérique, qui permet d'ordonner à un réseau social d'afficher un avertissement sur le profil d'un influenceur, de le déréférencer ou même de le bloquer. Une mesure qui n'a pour l'instant jamais été utilisée par les services de l'État pour des influenceurs, selon Rémy Slove.

Des sanctions insuffisantes?

Quel bilan tirer de l'action publique contre les influenceurs qui commettent des fraudes? Certains la jugent encore trop molle. Le collectif de victimes d'influenceurs AVI a déploré jeudi sur X (ex-Twitter) que "malgré la mise en place de la loi influenceurs, aucune amende n'a encore été prononcée". La DGCCRF n'était pas en mesure de nous confirmer cette information dans l'immédiat.

"Les plateformes Snapchat, Meta (Instagram), TikTok et YouTube n'ont pas agi pour supprimer ces contenus illicites ni pour suspendre les comptes responsables", a également souligné le collectif AVI.

Le porte-parole de la DGCCRF Rémy Slove l'assure, les injonctions ont "un effet particulièrement dissuasif, les réactions montrent bien qu'il y a une prise de conscience et que ça a un effet pour les consommateurs et les influenceurs". Et en cas de réitération, "une amende tombe et le dossier peut passer au pénal", souligne-t-il, sans dire si cela est arrivé ces derniers mois. Car "il y a aussi tous les cas dont on ne parle pas parce qu'on n'y est pas autorisés", explique-t-il.

Par ailleurs, la DGCCRF met en avant une "nette" amélioration de la situation. Les consommateurs sont plus avertis, avec "une très forte croissance du nombre de signalements". "On ne la met pas sur le fait que le secteur a de moins en moins bonnes pratiques, mais sur une prise de conscience avec les discussions autour de la loi" sur les influenceurs.

Une prise de conscience des influenceurs

Cette prise de conscience concerne également les créateurs de contenus, estime Rémy Slove, qui souligne aussi qu'une "part non négligeable" d'entre eux "n'a pas de pratiques problématiques". Le principal problème repéré par les services de l'État: le manque d'indication qu'une publicité en est une. Au premier trimestre 2023, la DGCCRF a contrôlé 50 influenceurs et constaté des infractions pour 30 d'entre eux. Si certains en cumulaient plusieurs, la DGCCRF a repéré chez ces 30 personnes des partenariats rémunérés dont le caractère publicitaire n'était pas explicite.

Concrètement, cela peut être un placement de produit sans aucune mention de la publicité, ou avec seulement un hashtag #ad (publicité en anglais, un terme qui n'est pas compris par tout le monde). Cela peut aussi être un problème d'accessibilité. Fanny SNL explique dans sa vidéo qu'il lui a été reproché de mettre la mention "collaboration commerciale rémunérée" assez bas dans la barre d'information de ses vidéos, ce qui nécessitait de dérouler cette barre, une manipulation que tous les abonnés ne font pas.

"C'est un problème, parce que l'avis qui est donné sur le produit peut être biaisé et le consommateur doit savoir qu'il existe une relation commerciale", appuie Rémy Slove.

La DGCCRF devrait pouvoir s'appuyer à l'automne sur une nouvelle "brigade" de quinze agents, dédiée aux influenceurs, annoncée par Bruno Le Maire cette année. Une hausse des effectifs nécessaire, alors que l'unité de la CFTC au sein de l'administration déplore un manque de personnel couplé à des missions qui augmentent.

Sophie Cazaux