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Infiltration, adresse IP: comment les autorités traquent les prédateurs sexuels sur le Web

Les enquêteurs disposent de plusieurs techniques pour remonter les traces des pédocriminels sur internet. Parmi elles, les identifier grâce à leur adresse IP, ou infiltrer directement les plateformes qu'ils utilisent.

Les prédateurs sexuels sont dans le viseur des autorités. "Je veux dire à ceux qui se livrent à ce type de comportements criminels qu’ils peuvent être retrouvés et condamnés", avertit Jean-Noël Barrot, le ministre délégué au Numérique, face à l'indignation autour du site Rencontre Ados, une application de rencontres pour les 13-25 ans utilisée par des prédateurs sexuels pour faire des avances à des mineurs.

Le ministre délégué a annoncé avoir saisi la procureure de la République suite à certains signalements, saisine qui pourrait donner lieu à l'ouverture d'une enquête. Mais comment la police et la gendarmerie font-elles pour retrouver les prédateurs sexuels sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux où semble régner l'anonymat?

Tracer l'adresse IP de l'utilisateur

En réalité, et contrairement à une idée répandue, l'anonymat sur les réseaux sociaux n'existe pas. Les enquêteurs ont plusieurs moyens techniques et juridiques pour percer à jour l'identité des prédateurs en ligne.

Cette mission incombe notamment au groupe central des mineurs victimes (GCMV). Ce groupe de 18 agents de police appartient à l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), et s'occupe également des affaires de "tourisme sexuel".

Parmi les techniques dont dispose ce groupe, "beaucoup relèvent d'un travail d'enquête assez classique en matière de police, on procéderait de la même manière dans les stups", explique à Tech&Co le commissaire Frédéric Courtot, adjoint au chef de l'OCRVP.

La technique la plus basique, c'est examiner l'adresse IP. Lorsqu'un internaute se connecte à un réseau social, la plateforme enregistre différentes données de connexion, dont son adresse IP. Cet identifiant est indissociable de sa box internet, et donc du contrat passé à son nom avec un fournisseur d'accès.

Pour identifier une personne cachée derrière un pseudonyme, les autorités peuvent donc envoyer une réquisition judiciaire à une plateforme afin d'obtenir l'adresse IP du compte ciblé par l'enquête. Elles peuvent ensuite se tourner vers les fournisseurs d'accès, pour savoir à quel abonné correspond cette adresse IP.

Une technique qui a déjà permis d'identifier et condamner plusieurs cyberharceleurs, qui avaient par exemple ciblé des artistes comme Eddy de Pretto ou Hoshi. "C'est un réflexe, comme identifier le propriétaire d'un téléphone", résume Frédéric Courtot pour Tech&Co.

Aucune obligation de répondre

Plateformes, fournisseurs d'accès... On voit que la coopération avec les différents acteurs d'internet est indispensable.

"Pour lutter efficacement contre cette communauté internationale de cyberpédocriminels, il faut aussi fonctionner de manière communautaire", martèle Frédéric Courtot.

Cette communauté inclut aussi les services de police étrangers, les Brigades de protection de la famille (ex-Brigades de protection des mineurs) au niveau régional, ainsi que des partenaires privés comme les associations, qui peuvent transmettre informations et signalements.

Mais cette méthode n'est pas infaillible, et ce pour une raison simple: la plupart des grandes plateformes (TikTok, Snapchat, Twitter, Facebook…) sont établies à l'étranger, en général en Irlande ou à Londres pour les utilisateurs européens. Même si ces acteurs proposent leurs services en France, les autorités françaises ne peuvent les forcer à obéir à une réquisition judiciaire.

Autre problème, plusieurs personnes peuvent partager une même box ou connexion internet – donc la même adresse IP. Et si la personne utilise un VPN, c'est l'adresse IP commune à tous les utilisateurs du VPN qui sera enregistrée par les plateformes, qu'il sera donc difficile de relier à un internaute précis.

Heureusement, les enquêteurs disposent aussi de moyens plus poussés – mais pas question d'entrer dans le détail. "On a d'autres outils en interne, mais je ne peux pas vous dévoiler nos recettes", interrompt Frédéric Courtot. "Les cyberpédocriminels s'échangent aussi des informations, tentent de masquer leurs activités... Quel que soit le domaine criminel, il y a une sorte de course technique."

Infiltrer les plateformes

Les autorités peuvent aussi identifier les prédateurs sexuels grâce à une méthode d'enquête plus traditionnelle: l'infiltration. Des enquêteurs peuvent par exemple se faire passer pour des mineurs, des acheteurs ou des vendeurs d'images pédopornographiques, afin d'attirer les pédocriminels qui leur révèlent ensuite des informations personnelles.

Ces enquêtes sous pseudonymes ne concernent pas seulement les forums les plus sombres du net: "On va sur l'ensemble des vecteurs sur lequel des mineurs peuvent être présents, et vers lesquels les pédocriminels vont donc se diriger", résume Frédéric Courtot à Tech&Co. "Les sites comme Rencontre Ados bien sûr, mais aussi d'autres vecteurs comme les jeux en ligne."

Un travail parfois difficile techniquement – en particulier sur le dark web où les adresses et les communautés évoluent constamment –, mais aussi psychologiquement. Auprès du Monde, un policier du GCMV déclarait en 2020, à propos des images pédopornographiques impliquées dans ses enquêtes: "On a beau regarder, on ne s’y fait pas".

Cette lutte contre les prédateurs en ligne devrait bientôt monter en puissance: le GCMV va devenir "très prochainement" un office à part entière dédié à la lutte contre les violences faites aux mineurs avec des recrutements conséquents, précise Frédéric Courtot.

Les enquêteurs disent aussi compter sur un projet de directive européenne actuellement en discussion, pour "combattre les abus sexuels sur les enfants en ligne", qui pourrait imposer de nouvelles obligations aux plateformes en matière de modération si elle était adoptée. Un projet controversé, certains y voyant une atteinte disproportionnée à la vie privée et au secret des échanges, mais qui selon ses défenseurs permettrait de mieux prévenir les crimes pédopornographiques.

Une prévention jugée indispensable par les enquêteurs. "Si le combat n'était que judiciaire, on interviendrait toujours après les faits", rappelle Frédéric Courtot. "Le travail doit aussi être fait en amont, avec une modération plus active des plateformes, de la prévention auprès des jeunes, des parents, dans les institutions… Plus ce sera fait, moins les cas seront nombreux."

Luc Chagnon