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Pédophilie, prostitution: pourquoi il faut se méfier de l'application "Rencontre Ados"

Des internautes alertent sur les dangers de l'appli "Rencontre Ados", qui propose aux jeunes de faire des rencontres, au risque de tomber sur des personnes mal intentionnées, et bien en dehors de l'âge requis.

"Accédez à de nombreux profils d'ados célibataires de votre pays ou région pour trouver l'amour ou des amis": la promesse a de quoi séduire les plus jeunes mais surtout inquiéter les parents. C'est en tout cas celle de "Rencontre Ados", un site créé en 2006 et dérivé en application en 2022 (uniquement sur Android), qui propose à des jeunes entre 13 et 25 ans de discuter en privé en fonction des personnes les plus proches de chez soi.

Totalement gratuit car financé par la publicité, le site de rencontres requiert uniquement le nom, l'âge et quelques photos de l'internaute. Une facilité d'accès qui a de quoi attirer les plus jeunes, mais qui les expose aussi à de nombreux dangers.

"150€ négociables"

Comme pointé du doigt par de nombreux internautes, le site héberge de nombreuses personnes aux intentions sans équivoque et totalement illégales. "Une copine me parle d'une application dont elle a entendu parler avec son enfant. Je vais jeter un œil. J'ai un profil de 13 ans sans photo. 8 demandes d'amis. 5 messages privés dans la demi-heure", explique par exemple cette internaute, photo à l'appui montrant des profils de contacts d'hommes "mûrs". L'un d'entre eux se présente comme "un homme, un vrai, avec des moyens financiers qui permettront de faire plaisir".

D'autres internautes font quant à eux part d'incitation ouverte à la prostitution, avec par exemple des hommes avouant avoir plus de 35 ans ou encore prêts à payer plusieurs centaines d'euros pour des faveurs sexuelles.

"Je paie s'il faut. 150 euros négociables mais discrétion totale demandée, merci", stipule par exemple la biographie d'un utilisateur.

Catégorie "Pour adultes" sur le Play Store

Dans les commentaires sur le Play Store, plusieurs personnes ayant téléchargé l'application font part des mêmes problèmes, en plus des bugs techniques. L'application est d'ailleurs associée à la signalétique PEGI-18, ce qui signifie qu'elle appartient à la catégorie "Pour Adultes", bien qu'elle soit normalement réservée aux adolescents dès 13 ans.

"Le classement dans la catégorie "Pour Adultes" est appliqué lorsque le niveau de violence représenté est intense et/ou contient des éléments spécifiques de violence. Cela peut aussi inclure un contenu à caractère sexuel évident, de la discrimination ou l'apologie de la consommation de stupéfiants", précise Google dans ses règles sur la classification.

L'entreprise ne précise d'ailleurs pas si cette classification empêche ou non le téléchargement de l'application par une certaine catégorie de personnes, notamment les moins de 18 ans, et n'a pour le moment pas répondu à Tech&Co sur le sujet.

Du côté de Rencontre Ados, le point de vue est clair: "Il est strictement interdit de remplir son profil avec de fausses informations" et surtout, "les mineurs de plus de 13 ans doivent demander l'autorisation à leurs parents", précisent les règles présentes sur le site. Une règle pas forcément respectée car pas contrôlée. Le gérant du site, un belge prénommé Thomas Mester, avouait même à Libération en 2019 que cette directive était "plus pour [se] protéger".

3 modérateurs pour 287.000 utilisateurs

Mais quid de la modération en 2023? Auprès de Tech&Co, Rencontre Ados indique compter 3 modérateurs dans ses rangs, et estime "qu'il en faudrait 10" pour réguler les "287.084" utilisateurs revendiqués.

Sur le site, une petite annonce a d'ailleurs été déposée pour recruter des modérateurs, qui doivent obligatoirement faire partie de la communauté de membres vérifiés de la plateforme.

"Comme il s'agit d'un travail bénévole, il est difficile de trouver des personnes compétentes", avoue Rencontre Ados.

Pour les missions, le principe est le même "que sur tous les autres sites communautaires", avec des modérateurs agréés à supprimer des commentaires ou photos. La plateforme indique à Tech&Co bannir une centaine de personnes par jour. Le site précise d'ailleurs qu'un système de pénalité a même été mis en place, avec des degrés différents selon la gravité de l'infraction.

"Une insulte est sanctionnée à hauteur de 10 %. Un plan cul ou une demande de "cam" est sanctionné à 100%. A 100%, votre compte est supprimé, votre email sauvegardé pour que vous ne vous réinscriviez pas et votre IP bannie pour une durée déterminée", indique Rencontre Ados.

Toutefois bien conscient que tout utilisateur peut simplement recréer une adresse mail ou utiliser un VPN, Rencontre Ados souhaiterait mettre en place un système de validation par SMS.

Mais cette fonctionnalité est jugée trop coûteuse pour l'entreprise, basée en Belgique, avec un service d'envoi de SMS estimé entre "0,08 euro et 0,1 euro par SMS envoyé". "Notre site est gratuit et nous survivons grâce à la publicité, et chaque membre est évalué à plus ou moins 0,02 €, de sorte qu'il est impossible d'effectuer une vérification par SMS", ajoute la plateforme.

Certains profils jugés suspicieux par les employés du site peuvent également recevoir la bannière "Fake potentiel" sur leur profil afin de notifier les autres utilisateurs du risque d'échanger avec l'individu. Sur le forum du site, des utilisateurs ouvrent régulièrement des espaces de discussion afin d'alerter sur la présence de prédateurs sexuels. Des espaces rapidement fermés par l'entreprise.

Aucune enquête à ce jour

Les services de police se disent eux très attentifs au sujet et à ce type d'applications, dont Rencontre Ados est loin d'être le seul exemple. Aucune enquête sur des faits relatifs à cette application n'a toutefois été ouverte, selon les informations de Tech&Co.

Comme l'explique une source policière, cela s'explique en grande partie par le manque de modération et de contrôle évoqués plus tôt au sein des applications, dont la collaboration avec les autorités relève pour le moment de l'inexistence.

De son côté, le gouvernement assure que la sécurité des plus jeunes sur internet est une priorité. Invitée de Franceinfo ce 22 août, la secrétaire d'État en charge de l'Enfance, Charlotte Caubel, a indiqué que "l'objectif n'est pas d'interdire certains sites mais de réglementer, limiter et responsabiliser les plateformes", puisqu'une interdiction entraînerait simplement une migration vers d'autres sites.

"Nous travaillons sur des dispositifs pour mieux contrôler l'âge. Ce contrôle, des enfants mais aussi des adultes, est essentiel. C'est une priorité", promet Charlotte Caubel.

La secrétaire d'Etat a par ailleurs indiqué que la plateforme Pharos avait les moyens de retirer les contenus et de poursuivre les opérateurs et les prédateurs sexuels, même en Belgique. De son côté, Rencontre Ados indique à Tech&Co ne pas "pouvoir porter plainte à la place d'une personne" et remet à demi-mot la faute sur les jeunes utilisatrices.

"Imaginez une fille de 14 ans qui reçoit une proposition sur Rencontre Ados ou TiKTok, elle devra aller à la police d’elle-même ou bien en parler à ses parents au risque de se faire gronder et de perdre son accès à l’application ou même carrément son téléphone", clame le site, qui souhaite ne plus que l'on cible Rencontre Ados comme "LE problème".

La plateforme précise surtout attendre une régulation plus forte de la part du gouvernement belge. Une application d'identité mobile, "Itsme", lancée en 2017, permet notamment aux citoyens belges de se connecter à certaines plateformes, liées en grande partie au secteur bancaire.

En France, la loi du 7 juillet 2023 impose seulement pour le moment une majorité en ligne de 15 ans, qui régule en théorie l'utilisation des réseaux sociaux pour les plus jeunes. Un dispositif qui n'est pour l'heure pas appliqué. Un contrôle parental sera lui installé par défaut sur tous les équipements à partir de juillet 2024.

Pour les sites pornographiques, la justice a quant à elle décidé de ne pas encore les bloquer dans l'Hexagone, mais ils restent toutefois mis en demeure pour ne pas avoir mis en place un système efficace de vérification d'âge.

Julie Ragot