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Un tracteur laboure un champ. Photo d'illustration.

Pixabay- CC

"Il faut être accroché": se lancer dans l'agriculture malgré les difficultés, ces personnes l'ont fait

En ce jour d'ouverture du Salon de l'Agriculture 2024, les professionnels du secteur continuent d'alerter sur les difficultés de leur métier. Des difficultés qui n'ont pas découragé certains jeunes ou futurs entrants dans la profession. Ils nous livrent leurs motivations.

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"Je sais à quoi m'attendre. On va en baver, mais on fera avec". Nina Thuny, 19 ans, s'est lancée depuis deux ans dans un BTS productions animales qu'elle suit au centre de formation de Meurthe-et-Moselle, à Malzeville.

Fille d'une professeure des écoles et d'un chef-magasinier dans une entreprise de chaudière, elle n'était pas vouée à se lancer dans l'agriculture. Un métier dont les difficultés ont été intensément mises en lumière par le mouvement de colère qui se poursuit en ce jour d'ouverture du Salon de l'agriculture ce samedi 24 février.

Les jeunes sont de plus en plus rares à vouloir se lancer dans le métier. En 2019, l'Insee notait que 55% des agriculteurs avaient 50 ans ou plus, soit une hausse de 7 points depuis 1982. De même, seul 1% des agriculteurs avaient moins de 25 ans contre 8% pour l'ensemble des personnes en emploi.

À l'origine, la jeune femme voulait faire des études de droit. Mais le confinement dû à la pandémie de Covid-19 est passé par là.

"Je me suis rendue compte que je ne pouvais pas rester assise dans un bureau toute la journée", explique-t-elle à BFMTV.com.

De là, les souvenirs d'enfance sont remontés: les journées passées dans la ferme des parents de sa meilleure amie, sa passion pour l'équitation qu'elle pratique depuis ses 4 ans. Elle décide alors de se tourner vers l'élevage.

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"Je devais avoir une alternance dans un centre d'insémination de chevaux mais à une semaine de commencer, la gérante a rompu mon contrat", raconte-t-elle. "J'ai donc pris ma voiture, je suis allée dans toutes les fermes du coin. Un éleveur de vaches laitières a accepté de me prendre". Un métier dont elle aime la "complexité".

"Peser sur le changement"

Devenir agriculteur est aussi un moyen pour certains d'améliorer le système de l'intérieur.

"Je ne voyais pas d'autres moyens de peser sur le changement que de devenir moi-même agriculteur.

"C'est facile de dire aux autres de faire, mais j'ai envie de pouvoir dire 'c'est possible'", explique Kévin Porée, 32 ans, actuellement en reconversion professionnelle.

Prônant le circuit court et l'autonomie agricole, Kévin -fils d'une mère commerciale à la Française des jeux et d'un père restaurateur-, a fait germer ce projet dans son esprit depuis de nombreuses années. Plus exactement, depuis le début de sa carrière professionnelle. Une carrière passée aux côtés des agriculteurs en tant que chargé d'étude en méthanisation ou encore en tant qu'ingénieur en autonomie énergétique pour la communauté de commune du Mené dans les Côtes-d'Armor.

Marguerite Bonzoms, chef d'exploitation agricole française, marche dans son champ de pistachiers, à Calce, dans le sud-ouest de la France, le 8 février 2024.
Marguerite Bonzoms, chef d'exploitation agricole française, marche dans son champ de pistachiers, à Calce, dans le sud-ouest de la France, le 8 février 2024. © Valentine CHAPUIS / AFP

Lui qui menait des missions "beaucoup trop théoriques" a eu envie de "terrain, de choses concrètes, d'être dans l'application". Rentré dans le métier "par le prisme de la gestion des ressources", toujours très importante pour lui, le trentenaire se dit également motivé par "le plaisir de travailler dehors, de produire soi-même. "C'est gratifiant je pense", conclut-il.

La connexion avec la nature, c'est précisément ce que cherche Anne Audrain, une Morbihannaise de 38 ans. Professeure des écoles depuis une quinzaine d'années, elle a ressenti ce besoin de travailler en extérieur, à la campagne, avec les animaux. Comme un "besoin de retour aux sources", explicite-t-elle, ses grands-parents étant eux-mêmes agriculteurs.

Elle a décidé de sauter le pas en entamant une formation, "une grosse prise de risque en tant que fonctionnaire", pour échapper à ses actuelles conditions de travail. "Je travaille à 2h30 de chez moi, je n'arrive pas à obtenir une mutation et je suis maman depuis un peu plus d'un an. Je ne peux plus me permettre de travailler si loin", développe-t-elle.

La chambre d'agriculture lui a conseillé de se lancer sans attendre: après 40 ans, il n'est plus possible de percevoir la dotation Jeunes Agriculteurs. Une aide à l'installation également conditionnée à l'obtention d'un diplôme délivrant une capacité professionnelle agricole.

"Être son propre patron"

Si Anne n'a pas mis le doigt sur son attrait pour le monde agricole dès son plus jeune âge, pour d'autres c'est une vocation. Comme pour Julien Genay, 25 ans, qui gère son exploitation de viandes et de céréales à Goviller (Meurthe-et-Moselle) depuis septembre 2022.

Petit-fils d'agriculteurs -aucun proche n'ayant pris la suite- il affirme avoir toujours été passionné "par les animaux, les tracteurs, les grosses machines". Dès 2010, à 12 ans, "c'était même peut-être avant", il a su qu'il allait en faire son métier.

"Mes parents étaient réticents au départ, mon père disait que ce n'était pas un métier pour quelqu'un qui se lance, il avait peur que je me tire une balle dans le pied", souligne-t-il.

Mais peu importe. À la fin de son bac pro conduite et gestion d'une exploitation agricole (Cgea), il rempile sur un BTS analyse, conduite et stratégie d'exploitation agricole, le tout en alternance. Après avoir passé trois en ans en tant que salarié, il décide de s'installer afin "d'être son propre patron, de faire ses propres choix".

"C'est satisfaisant de se dire qu'on sème du blé, qu'on va faire tout ce qu'il faut pour le récolter puis qu'on va aller acheter une baguette faite avec ce blé. Suivre la reproduction, la santé des bêtes, gérer toutes les étapes me plaît", énumère-t-il.

"Lorsque je n'étais pas à l'école, j'étais à la ferme"

Être fils d'agriculteurs, pour certains, c'est comme tomber dans la marmite étant petit. Julian Courtois, 25 ans, travaille depuis quatre ans avec son père dans la ferme familiale de lait et de céréales à Bagneux, au sud de Nancy.

"Je n'ai toujours fait que ça. Quand j'étais petit, lorsque je n'étais pas à l'école, j'étais à la ferme. C'est toujours moi qui ai été moteur là-dedans", affirme le détenteur d'un bac professionnel Cgea.

Faire autre chose "n'est pas non plus venu à l'idée" de Thomas Garnier, fils d'agriculteurs et actuellement en première année de BTS. "Avant la ferme était à mes grands-parents, maintenant mes parents gèrent l'exploitation. Quand je regarde comment elle a évolué, je n'ai pas envie de lâcher ce qui a été fait durant toutes ces années", abonde-t-il.

Une motivation inébranlable

Si tous ont conscience des difficultés inhérentes au métier, aucun n'en a vu sa motivation ébranlée. "Quand je vois mon père, les moments durs qu'il a pu avoir, et quand je vois comment la ferme se porte maintenant, cela me motive encore plus", s'exclame Thomas Garnier, qui dans le cadre de son BTS suit un apprentissage en dehors de la ferme familiale "pour voir autre chose".

Il ajoute: "Bien sûr que ça fait peur quand on voit dans quoi on s'embarque, mais on arrivera toujours à s'en sortir. On peut compter sur la solidarité entre agriculteurs aussi".

Se dégoter du temps libre? "C'est compliqué" mais la "passion prend le dessus". Dans le cadre son alternance, Nina Thuny dit déjà "ne pas compter les heures". "Je fais ça par passion, c'est mon caractère aussi, j'aime toujours bouger, apprendre de nouvelles choses, je ne vois pas mes journées passées", assure-t-elle.

Un homme nourrit des vaches. Photo d'illustration
Un homme nourrit des vaches. Photo d'illustration © Philippe Huguen - AFP

Julien Genay, également secrétaire général des Jeunes agriculteurs 54, essaye de "faire le minimum le dimanche, de ne travailler que seulement deux-trois heures", quand la période le permet.

Ils sont plusieurs à déplorer le temps passé "à faire de la paperasse, du temps supplémentaire pour ne rien gagner de plus". Un des fardeaux dénoncé par le mouvement des agriculteurs.

"Il faut être accroché"

Le revenu? "Il ne faut pas être trop gourmand", image Julian Courtois, quand Julien Genay dit gagner "700 à 800 euros par mois" et être "toujours sur le fil". Ce dernier compte sur le revenu de sa copine, auxiliaire de puériculture dans une crèche, pour "subvenir aux besoins".

Un des enjeux sur lequel Kévin Porée travaille dans sa formation. "On étudie comment réussir à avoir une masse de travail accessible tout en gagnant un revenu minimum. Le but étant de ne pas se reposer sur le salaire de ma copine", précise-t-il.

Avant de se lancer dans une exploitation, les agriculteurs se doivent d'étudier leur projet à la loupe. Car Julien Genay en peut témoigner: s'installer est "très compliqué".

"Il faut au moins un an avant de sortir la tête de l'eau. Un jeune qui ne sait pas pourquoi il est là, aux premières difficultés, il sera découragé. Il faut être accroché et avoir l'appui de ses proches", assure-t-il.

La mobilisation des agriculteurs, tous la soutiennent, quand ils n'y ont pas activement participé. En attendant des actions concrètes de la part du gouvernement, l'avenir "reste flou" pour ces agriculteurs ou futurs agriculteurs que nous avons interrogés.

"J'espère que c'est juste un moment difficile à passer, on va essayer de maintenir le système du mieux que l'on peut, sans faire de folie car tout change de jour en jour", commente Julian Courtois, syndiqué aux JA 54, qui se dit prêt à se mobiliser de nouveau. "Il est dur de se donner une vision. Dans dix ans, certains choses auront changées", abonde Thomas Garnier.

L'agriculture est loin de n'être qu'un passage pour ces jeunes entrants. Tous affirment vouloir y consacrer leur vie professionnelle. "L'objectif de vie" de Nina Thury? Voir sa propre exploitation être reprise par ses enfants. Quand Julien Genay confie: "J'espère continuer toute ma carrière, si demain, j'étais obligé d'arrêter, ce serait une grande déception".

Juliette Brossault