BFM Business
Economie

Pourquoi la France a l'inflation la moins élevée des grands pays de la zone euro?

Grâce au nucléaire, aux boucliers tarifaires et à une moindre réactivité sur les salaires, la France est après Malte le pays le moins touché par l'inflation en Europe.

L'inflation confirme son grand retour en Europe et aux Etats-Unis. Mois après mois, les instituts économiques nationaux des grands pays de part et d'autre de l'Atlantique confirment une hausse inédite des prix depuis plusieurs décennies.

En mars les prix américains ont progressé de 6,6% sur un an selon l'indice d'inflation PCE, le plus haut niveau enregistré depuis 40 ans. En Europe, la flambée est encore plus importante. Le taux d'inflation annuel de la zone euro est estimé à 7,5% en avril, contre 7,4% en mars selon une estimation rapide publiée par Eurostat, l'office statistique de l'Union européenne.

Si la France n'est pas épargnée, elle est depuis un an beaucoup moins touchée que l'ensemble des grandes économies occidentales. Avec une inflation mesurée à 4,8% par l'Insee en avril, mais estimée à 5,4% par Eurostat selon l'indice harmonisé des prix, le pays a le 18ème taux le plus bas des 19 pays de la zone euro. Loin derrière l'Estonie (19%), les Pays-Bas (11,2%), l'Espagne (8,3%), l'Allemagne (7,8%) ou encore l'Italie (6,6%).

L'inflation en zone euro en avril 2022 sur un an.
L'inflation en zone euro en avril 2022 sur un an. © IESEG

Une situation plutôt avantageuse que le pays doit notamment à son mix énergétique favorable. Le nucléaire représente environ 70% de la production électrique hexagonale et 40% de notre consommation globale d'énergie primaire (en incluant les transports). L'Allemagne par exemple est bien plus dépendante du gaz naturel (près de 27% de la consommation globale allemande en 2021) et du charbon (18%) dont les prix flambent avec la guerre en Ukraine. Un gaz que l'Allemagne achetait à 55% en Russie avant le conflit ukrainien (40% aujourd'hui) contre seulement 17% pour la France.

52 euros de gain par ménage

Une moindre exposition aux marchés internationaux de l'énergie qui permet de limiter la flambée des factures que connaissent nos voisins. Car c'est en moyenne les prix de l'énergie qui ont le plus augmenté en avril. +38% selon Eurostat, loin devant l'alimentation/tabac (6,4%), les biens industriels (3,8%) et les services (3,3%).

Une situation favorable de la France qui s'est encore accentuée ces derniers mois. Si en septembre dernier, l'Hexagone pouvait se prévaloir d'un taux d'inflation qui était 0,7 point plus bas qu'en zone euro, l'écart est désormais de 2,1 points.

Car depuis six mois un certain nombre de mesures ont été mises en place par le gouvernement pour limiter la hausse. D'abord le bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité mis en place en fin d'année dernière et qui a été prolongé pour l'heure jusqu'en juin. Mais aussi la prime de 18 centimes sur le carburant qui a contribué à la baisse des prix à la pompe.

Des mesures de soutien au pouvoir d'achat que le cabinet d'analyse Asterès* a tenté de mesurer. L'ensemble combiné de ces mesures aurait permis de limiter de 1,6 point en avril le taux d'inflation que connait le pays. L'insee estimait de son côté en février ce gain de 1,5 point dans une note.

"Le bouclier tarifaire a limité l’inflation de 0,9 point en avril en ce qui concerne l’électricité, et de 0,4 point en ce qui concerne le gaz, précise Asterès dans son analyse. La prime de 18 centimes par litre sur les carburants a quant à elle permis d’abaisser l’inflation de 0,3 point. Ainsi, l’inflation totale sur le mois d’avril, qui a atteint 4,8 %, aurait été supérieure de 1,6 point (6,4 %) sans ces mesures de lutte contre l’inflation."

Le cabinet estime que cette moindre inflation a représenté un gain de 52 euros par ménage sur le mois d'avril.

Des factures qui explosent

"Le gain de pouvoir d’achat est environ deux fois plus élevé pour les 10% des ménages les plus aisés (68 euros) que pour les 10% les plus modestes (38 euros) car plus les ménages sont aisés, plus ils consomment ces produits, précise le cabinet. Environ les deux tiers des gains de pouvoir d’achat s’expliquent par le plafonnement du prix de l’électricité."

Les clients de certains fournisseurs d'électricité alternatifs qui ont cessé de pratiquer les tarifs règlementés ont d'ailleurs pu constater une explosion de leurs factures avec des hausses jusqu'à parfois près de 500%.

Si l'Etat a promis qu'il n'y aurait pas de rattrapage des prix en 2023, ce bouclier tarifaire est toutefois supporté d'une part par les entreprises du secteur de l'énergie mises à contribution et d'autre part par les finances publiques.

Un dernier élément pour expliquer cette moindre inflation française c'est la hausse plus mesurée des salaires.

"Il y a moins de hausses de salaires et donc moins de transmissions sur les prix", a indiqué, sur Franceinfo, Mathieu Plane, directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Les entreprises françaises seraient moins promptes à accorder des augmentations générales que chez nos voisins. En France elles seraient de 2,5% en moyenne quand elles dépassent les 3% au Royaume-Uni par exemple. Certains pays comme l'Italie font davantage pression sur les entreprises pour qu'elles augmentent leurs salariés. Le ministre du Travail italien a menacé de supprimer les aides aux entreprises qui ne procèderaient pas à des augmentations substantielles.

*Méthodologie: Asterès s’est basé sur la note conjoncturelle de l’Insee du 16 mars (La croissance et l’inflation à l’épreuve des incertitudes géopolitiques) pour estimer l’impact sur l’inflation du bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité. Cette note estimait l’effet du bouclier tarifaire sur l’inflation pour les mois de novembre, décembre (2021), janvier et février (2022). À partir de données de RTE et du site « fournisseurs électricité.com », Asterès a estimé quel aurait été le prix du gaz et de l’électricité en avril sans bouclier tarifaire et en a déduit l’impact total sur l’inflation d’après les estimations de l’Insee. Les données de Carbu.com ont permis d’obtenir le prix des carburants. En ajoutant la prime de 18 centimes et en considérant le poids des carburants dans l’indice des prix à la consommation, Asterès a estimé l’impact de cette mesure sur l’inflation totale.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco