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Pourquoi la France reste un peu moins touchée par l'inflation que les autres pays développés

L'inflation française s'est établie à 2,7% en septembre sur un an (IPCH)

L'inflation française s'est établie à 2,7% en septembre sur un an (IPCH) - AFP

Si aucun pays développé n'échappe à la hausse des prix dans un contexte de forte reprise économique mondiale, l'inflation est un peu plus modérée en France que chez nos principaux voisins.

Ce pourrait être l’élément perturbateur de la reprise économique post-Covid. D’une ampleur modérée début 2021, l’inflation a nettement accéléré ces derniers mois à travers le monde. En septembre, l’indice des prix à la consommation harmonisé* (IPCH, qui permet les comparaisons entre pays contrairement à l’IPC (indice des prix à la consommation)) a atteint son plus haut niveau depuis cinq ans dans les quatre principales économies de la zone euro (France, Allemagne, Italie, Espagne).

Aucun pays développé n'est épargné par le phénomène, mais certains paraissent visiblement moins touchés que d’autres. L’inflation américaine a par exemple atteint en juillet (dernier IPCH américain connu) 6,4% sur un an quand celle de la zone euro n’était "que" de 2,2%, d’après Eurostat. Depuis, l’indice des prix en Europe a poursuivi sa progression sans pour autant rejoindre les chiffres observés outre-Atlantique mais en s’établissant tout de même à des niveaux jamais vus depuis 10 ans (3,4% en zone euro en septembre).

Au sein même du Vieux continent, les chiffres divergent d’un pays à l’autre. L’Allemagne enregistrait en septembre une inflation de 4,1% sur un an, contre 4% en Espagne et 3% en Italie. La France s’en tirait globalement mieux que ses voisins avec un indice des prix harmonisé de 2,7%. Au Royaume-Uni, "les données d’IPCH ne sont plus disponibles depuis fin 2020", rappelle l’Insee. Mais l’indice des prix à la consommation (non harmonisé donc) y a tout de même crû de 3,2% sur un an en août et devrait atteindre +4% en fin d’année, selon la Banque d’Angleterre.

Indice de prix à la consommation harmonisé, en glissement annuel
Indice de prix à la consommation harmonisé, en glissement annuel © Insee

Effet de base plus ou moins important

La forte reprise de la demande mondiale que l’offre ne parvient plus à suivre explique en grande partie le retour de l’inflation. En découlent une flambée des prix des matières premières et des tensions dans les chaînes d’approvisionnement.

Mais pourquoi observe-t-on alors des écarts sensibles entre les différents pays développés? Parmi les explications avancées par l’Insee figure la chute des prix observée au début de la crise sanitaire, quand la demande était au plus bas. Au second semestre 2020, les prix étaient ainsi en deçà de leur niveau de 2019 dans certains pays (Allemagne, Espagne, Italie ou Etats-Unis).

Autrement dit, l’ampleur de l’inflation observée depuis quelques mois s’explique en partie par le niveau "anormalement" faible des prix de l’an passé. C’est ce que l’on appelle un "effet de base". Si l’on met de côté le caractère atypique de l’année 2020, l’indice des prix aux Etats-Unis "se trouvait en août 3,3% au-dessus de son niveau d’août 2019, en glissement sur deux ans annualisé, soit une hausse nettement moins forte qu’en glissement annuel sur un an (6,3%)", relève l’Insee.

Le même constat s’observe en Allemagne, en Italie ainsi qu’en Espagne où l’IPCH annualisée sur deux ans était de +1,7% entre septembre 2019 et 2021, contre +4% entre septembre 2020 et septembre 2021. De quoi relativiser l’ampleur de la hausse des prix, une partie de celle-ci n’étant que la conséquence logique de la baisse de l’année précédente. Cet effet de base est en revanche moins important en France ou au Royaume-Uni où les prix du second semestre 2020 étaient restés légèrement supérieurs à ceux de la même période en 2019.

Plan de relance américain, rétablissement du taux de TVA en Allemagne…

Au-delà d'une justification purement mathématique, les écarts de taux d’inflation entre les économies développées s’expliquent surtout par des facteurs propres à chacune d’entre elles. Aux Etats-Unis où les prix ont le plus fortement augmenté, le plan de relance astronomique déployé par Joe Biden a boosté la demande et favorisé la poussée inflationniste. En témoignent la ruée des ménages américains sur les voitures d’occasion alors que la production de voitures neuves est limitée par les pénuries de semi-conducteurs. Résultat: les prix des véhicules ont flambé de 31,9% en août, sur un an.

En Europe, si l’Allemagne affiche l’inflation la plus élevée des grandes économies, c’est notamment parce qu’elle a rétabli son taux "normal" de TVA en 2021, lequel avait été baissé de trois points en 2020 pour soutenir la consommation. Ajoutée à cela, la mise en place d’une taxe carbone qui a contribué à tirer les prix à la hausse.

Tandis que de l’autre côté de la Manche, l’accélération de l’inflation est sans doute à mettre en lien avec les pénuries de certains biens, nettement plus importantes qu’en France, en raison du manque de main-d’œuvre, lui-même lié à la pandémie de Covid-19 et au effets du Brexit.

La France mieux protégée face à la montée des prix de l’énergie?

Si l’inflation tricolore progresse moins vite que chez nos voisins, c’est aussi parce que l’Hexagone est, pour l’instant, légèrement moins exposé à la flambée des prix de l’énergie que certains pays particulièrement dépendants du gaz comme l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni.

Certes, il existe un marché unique européen de l’énergie, mais celui-ci "sert à établir les prix de gros, pour les transactions qui permettent de compléter la production nationale, parfois insuffisante", rappelle auprès du Figaro Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine et directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières. Dit autrement, "chaque pays va à la fois dépendre de ses propres moyens de production et du complément qu’il devra importer".

Or la France peut compter sur son parc nucléaire, le deuxième plus grand du monde, pour limiter sa dépendance au gaz. De plus, le dispositif Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) permet aux fournisseurs alternatifs d’acheter dans l’Hexagone jusqu’à 25% de l’électricité nucléaire produite par EDF à un prix fixe: 42 euros le MWh, contre près de 120 euros sur les marchés. Ce qui protège en partie le consommateur français, tout comme le principe des tarifs réglementés.

Quelle évolution dans les semaines à venir?

Cette situation de hausse des prix dans les pays développés sera-t-elle durable? Non, à en croire les services du FMI qui suggèrent que l’inflation mondiale "atteindra un pic" à 3,6% en moyenne "dans les derniers mois de 2021 et baissera à environ 2% d’ici la mi-2022".

En France, l’Insee table sur une inflation supérieure à 2% jusqu’à la fin de l’année avec un pic en octobre à 2,3%. L’indice des prix refluerait ensuite légèrement pour s’établir à 2,1% en décembre.

*Comme l’explique l’Insee, les indices de prix à la consommation (IPC) nationaux sont calculés à partir de paniers de produits différents, ce qui ne facilite pas la comparaison. Il est donc préférable d’utiliser l’indice des prix à la consommation harmonisée (IPCH), lequel est construit avec "des méthodes et un contenu assurant une meilleure comparabilité entre pays".

En France, "la différence entre l’IPC et l’IPCH porte principalement sur la comptabilisation des prestations de santé. D’un côté l’IPC comptabilise l’ensemble de la prestation de santé, y compris le montant à la charge de l’Assurance maladie. De l’autre côté, l’IPCH ne couvre que la dépense des ménages 'nette' des remboursements de l’Assurance maladie".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco