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TOUT COMPRENDRE – Faut-il s'inquiéter de l'inflation en France?

L'inflation en France a connu un pic au mois d'août à 1,9% (par rapport au mois d'août 2020), un score jamais atteint depuis 3 ans. Mais cette accélération pourrait n'être que temporaire.

Les pâtes, l'essence, l'électricité… Les prix flambent déjà ou promettent d'exploser dans les mois qui viennent pour les Français. Une inquiétude qu'il faut, pour le moment, relativiser.

• Qu'est-ce que l'inflation?

En économie, l'inflation fait référence à la hausse des prix à la consommation. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) est chargé d'évaluer chaque mois la hausse (inflation) ou la baisse (déflation, même si ce terme s'utilise lors que la baisse est durable) des indices des prix à la consommation (IPC) en France, y compris les départements d’outre-mer (hors Mayotte).

Cela permet donc de constater très concrètement l'évolution du coût de la vie en France (mais sans prendre en compte l'immobilier). Le taux d'inflation donne un aperçu des prix de l'alimentation, de l'énergie, du tabac ou des services.

En août 2021, les prix ont augmenté de 1,9% par rapport à août 2020. Ils ont surtout augmenté de 0,6% sur un mois, par rapport à juillet 2021 alors qu'ils n'avaient augmenté que de 0,1% entre juin et juillet dernier.

• Pourquoi observe-t-on cette accélération de l'inflation?

Cette accélération de l'inflation "résulterait [ce n'est encore qu'une projection qui doit être confirmée par la suite, ndlr] notamment du rebond des prix des produits manufacturés en lien avec la fin des soldes d'été" indique l'Insee. En effet, la fin des promotions entraîne mécaniquement une hausse des prix affichés. De la même façon, "la hausse des prix du tabac se poursuivrait, sur un an, au même rythme que le mois précédent" (+5,1% sur un an).

On observe surtout une nette accélération des prix des produits frais (+6,3% sur un an) et de l'énergie comme le gaz, le carburant ou l'électricité (+12,7%). Les prix des services affichent une hausse moindre (+0,7%).

• La France est-elle le seul pays concerné?

Non, l'inflation est actuellement bien plus forte aux Etats-Unis. En juillet, les prix avaient augmenté de 5,4% sur un an (même taux que le mois précédent) avec une hausse de 41,8% des prix de l'essence pour les consommateurs américains.

Les pays européens n'échappent pas non plus à la hausse des prix, même si elle reste moins importante que de l'autre côté de l'Atlantique. Selon Eurostat, le taux d'inflation annuel en zone euro a ainsi bondi en août à 3% après avoir affiché une augmentation en juillet de 2,2% et de 1,9% en juin.

Attention, entre l'Insee, le ministère du Travail américain et Eurostat, les méthodes de calculs diffèrent et les chiffres ne sont pas complètement comparables. Ils indiquent néanmoins une tendance claire: la hausse des prix a bien accéléré.

Certains indicateurs, comme le prix à la pompe, affichent d'ailleurs clairement la couleur depuis plusieurs mois.

• Comment explique-t-on une telle hausse des prix?

Les raisons sont multiples et diffèrent en fonction des produits concernés. En premier lieu, la relance de l'économie mondiale a provoqué un goulot d'étranglement général. Après avoir été paralysées, les entreprises ont repris leurs activités et la demande a explosé dans de nombreux secteurs principalement les matières premières et le pétrole. Une demande trop forte pour l'offre entraine ainsi une hausse des prix, d’où une répercussion pour les consommateurs.

Le hausse du carburant se voit clairement mais ce n'est encore le cas pour les produits transformés.

"Oui, il y a de la tension. Oui, il y a beaucoup de discussions en ce moment avec nos fournisseurs sur un certain nombre de produits mais ça ne se traduit pas encore dans les magasins et on va évidemment tout faire pour jouer notre rôle d'amortisseur" assurait encore ce jeudi Dominique Schelcher, le patron de Système U, sur RMC.

Pour les produits frais, la météo n'a pas non plus aidé. Les épisodes de gel du printemps ou le temps maussade de l'été ont réduit le volume de la production des fruits et légumes, et ont fait grimper les prix.

Enfin, les pénuries mondiales (semi-conducteurs…) qui ralentissent la production des biens en tout genre, la persistance de foyers de Covid qui paralysent des pays asiatiques et l'engorgement des ports qui ont fait exploser le coût du fret maritime jouent aussi sur l'inflation générale.

• Cette inflation sera-t-elle durable?

C'est la grande question. Du côté des banques centrales, chargées de la politique monétaire, on assure que cette inflation est temporaire. Le président de la Fed, la banque centrale américaine, Jerome Powell l'a encore assuré vendredi dernier lors d'un discours très attendu. Lundi, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a aussi évoqué sur BFM Business des "poussées temporaires de l'inflation" cette année.

"Nous pensons (…) qu'il n'y a pas, pour la zone euro, de risques de dérapage durable de l'inflation."

D'ailleurs, l'Insee précise toujours dans ses résultats définitifs l'inflation "sous-jacente" qui exclut les produits les prix soumis à l'intervention de l'État (électricité, gaz, tabac...) et les produits à prix volatils (produits pétroliers, produits frais, produits laitiers, viandes, fleurs et plantes...) car ils ne donnent pas une indication durable: une bonne météo peut ainsi entraîner une baisse des prix des légumes par surproduction.

Quand seront publiés les résultats définitifs pour le mois d'août, il est fort à parier que l'inflation "sous-jacente" soit largement inférieure à celle affichée dans la première prévision.

• L'inflation est-elle un risque pour l'économie?

En réalité, la hausse des prix n'est forcément pas un danger pour l'économie. Le mandat des banques centrales est d'ailleurs de viser un certain taux d'inflation. Pour la zone euro, l'enjeu est de viser un taux proche, mais inférieur à 2%.

Pour quelles raisons? Tout d'abord, la déflation (c'est-à-dire la baisse durable des prix) est un risque bien plus inquiétant. Si elle semble plus favorable pour les consommateurs, elle entraine l'économie dans un cercle pervers car elle incite à reporter ses achats en attendant une nouvelle baisse des prix.

Résultat, la consommation est en berne et les entreprises peinent à écouler leurs stocks. Ces dernières limitent leurs coûts, n'investissent plus, n'embauchent plus… Empêtré dans cette déflation pendant 20 ans (entre 1990 et 2010), le Japon peine toujours à sortir de spirale avec des rechutes régulières qui pénalisent une économie déjà moribonde.

Viser une inflation de 2% est donc une façon d'éviter ce spectre d'autant qu'il est plus facile de faire baisser les prix, notamment en relevant les taux directeurs des banques centrales afin de limiter les liquidités.

• Comment peut-on limiter l'impact sur les Français?

Face à l'inflation, il faut augmenter les salaires. Le Smic est revalorisé chaque année en fonction de l'inflation (très faible ces dernières années en France). Et l'Insee a montré que la hausse du Smic a un effet d'entrainement sur les bas salaires qui avaient tendance à être revalorisés à leur tour. La pénurie actuelle de main d'œuvre dans de nombreux secteurs devrait d'ailleurs inciter à des augmentations de salaires pour attirer les candidats.

La hausse des salaires ces 30 dernières années ont largement endigué la hausse des prix, à quelques exceptions près.

Finalement, toute la question est de savoir si une forte inflation est durable ou non. Et surtout, si les salaires vont bien suivre dans ce cas...

• Et si on indexait les salaires sur l'inflation?

Depuis le milieu des années 1980, l'inflation ne montre pas de soubresauts importants, que ce soit avec le franc ou avec l'euro. La dernière poussée inflationniste a eu lieu au début des années 1980 (13,4 % en 1981), finalement terrassée par le tournant de la rigueur opérée par François Mitterrand en… freinant les salaires.

En effet, ces derniers étaient, jusqu'en 1982, indexés à l'inflation et rehaussés tous les trimestres. Forcément, les prix avaient tendance à augmenter préventivement puisque les salaires suivaient automatiquement. C'est en bloquant les salaires que l'inflation a finalement ralenti…

Thomas Leroy Journaliste BFM Business