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"J’ai été choqué par le montant de la facture d'électricité": ces Français exclus du bouclier tarifaire

Face à la flambée des prix de l'énergie, certains fournisseurs alternatifs ont décidé de désindexer leurs offres des tarifs réglementés pour les calquer sur les prix des marchés de gros. Résultat: les factures de certains abonnés explosent.

Gel des tarifs réglementés du gaz, limitation de la hausse des prix de l’électricité à 4%... Déployé en octobre dernier face à la flambée de l’énergie, le bouclier tarifaire a permis de préserver le pouvoir d’achat de millions de Français. Tous n’ont pourtant pas pu en bénéficier. À commencer par certains clients de fournisseurs alternatifs qui ont vu leur contrat être modifié malgré eux. Avec pour conséquence une explosion des factures.

Romain fait partie ceux-là. En 2019, cet Ardéchois souscrit un contrat d’électricité avec le fournisseur d’énergie verte Planète OUI. Pendant deux ans, "tout se passait plutôt bien", raconte-t-il à BFM Business. Au point qu’il décide lors de son déménagement en novembre 2021 de souscrire un nouveau contrat "gaz et électricité" avec le même opérateur pour 120 euros par mois.

Mais en janvier dernier, Planète OUI, confronté à l’envolée des prix sur les marchés de gros, est placé en redressement judiciaire. Quelques semaines plus tard, Romain reçoit une facture de clôture du fournisseur. Somme réclamée: 1887,14 euros pour la période novembre-février. "J’ai été choqué par le montant de cette facture. Ça fait un mois de salaire", souligne-t-il, expliquant avoir "rejeté le prélèvement" et s’être renseigné pour "changer de fournisseur".

+483%

Si le contrat de Romain était indexé aux tarifs réglementés (TRV), Planète OUI semble avoir décidé de son propre chef de désindexer son offre pour la calquer sur les prix nettement plus élevés des marchés de gros. "Personne ne nous a prévenus. S’ils l’avaient fait, j’aurais tout de suite changé de fournisseur. Ils ont refusé le bouclier tarifaire", déplore Romain.

Ce dernier n'était pas au bout de ses surprises. En mars, le fournisseur Mint Energies basé à Montpellier reprend le portefeuille de clients de Planète OUI, soit 120.000 contrats. Cette fois, les nouvelles mensualités de Romain sont estimées à 700 euros par mois à partir du 1er mai, soit 483% de hausse. Comme lui, d’autres clients sont informés d'une augmentation brutale de leurs échéances par mail, l’entreprise invoquant "le conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine et l’impact de ce contexte dramatique sur les tarifs de l’électricité et du gaz".

L'email reçu par les clients de Mint
L'email reçu par les clients de Mint © BFM

S’il peut paraitre discutable, ce procédé visant à désindexer les contrats des tarifs réglementés n’a rien d’illégal à condition que les clients aient été informés de cette modification au moins un mois avant son application. Ce qui semble être le cas avec Mint Energies. Toujours est-il que le fournisseur montpelliérain s’est attiré les foudres de ses clients dont les témoignages se sont multipliés sur les réseaux sociaux.

Sollicité de toutes parts, Mint Energies a fini par reconnaître que certaines hausses étaient sans doute liées à des "erreurs". Lors de la reprise des contrats de Planète OUI, "une partie de la migration s’est fait dans la douleur. Des erreurs ont été commises. Pour certains, la consommation de référence n’était pas la bonne. Les personnes ont été contactées pour procéder à des remboursements ou des compensations", indique le fournisseur auprès de La Dépêche du Midi.

Des clients abonnés chez Mint avant même la faillite de Planète OUI sont aussi concernés: "Pour certains contrats, un recalcul des consommations a été effectué et il est possible que des erreurs aient été commises. Nous avons mis à jour les échéances le 5 avril. Les fortes hausses de tarifs peuvent s’expliquer ici. Nous sommes en train d’étudier tout ça, mais toutes les personnes lésées seront remboursées", assure encore l’opérateur.

Si Romain devrait retrouver ses mensualités de 120 euros avec Mint lors de sa prochaine facture de clôture, sa réclamation auprès de Planète OUI risque de prendre plus de temps avant d’être satisfaite. Et pour cause, avant d’engager une action de groupe en justice avec les associations de consommateurs, "il faut attendre le retour du mandataire judiciaire".

En attendant, Romain a monté un collectif regroupant à ce stade près de 150 ex-clients de Planète OUI. A défaut de pouvoir attaquer en justice l’entreprise en faillite, "on souhaiterait se retourner contre BCM Energy", sa holding lyonnaise, indique-t-il. Et d’ajouter: "On ne se bat pas seulement contre l’augmentation des tarifs mais aussi pour sauver des personnes en situation financière difficile, en situation de précarité énergétique".

Pas de bouclier tarifaire pour les abonnés d'Électricité de Strasbourg

A Strasbourg, les clients d’Électricité de Strasbourg (ÉS) qui ont souscrit un contrat de fourniture de gaz sont eux aussi en colère. Selon France Bleu, le fournisseur dit ne pas pouvoir appliquer le bouclier tarifaire du gouvernement. En conséquence, ses contrats sont indexés sur les prix des marchés de gros et les abonnés peuvent difficilement se tourner vers un autre opérateur, ÉS disposant d’un monopole dans la capitale alsacienne.

Résultat, les factures augmentent fortement. Une situation qui a poussé la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, et la présidente de l’Eurométropole, Pia Imbs, à alerter le Premier ministre Jean Castex ainsi que directeur d’ÉS Energies pour demander à ce dernier de "traduire dans un effort commercial les mesures annoncées par Matignon à l’ensemble de ses offres en matière de fourniture de gaz".

"Nous sollicitons votre engagement à honorer votre promesse faite à l'adresse de l'ensemble des ménages se chauffant au gaz naturel en proposant une solution équivalente au bouclier tarifaire, permettant aux consommateurs ayant souscrit une offre hors TRVg, de bénéficier de la même protection que celle dont profite la majorité des Français. C'est une question d'équité et de justice sociale", écrivent encore les deux élues dans une lettre adressée au Premier ministre et relayée par France Bleu.

"Procédés particulièrement préjudiciables"

Association de défense des consommateurs, la CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) a décidé de déposer plainte dès le mois de novembre contre quatre fournisseurs, dont Mint, pour dénoncer les "procédés particulièrement préjudiciables pour leurs clients". D’une manière générale, la CLCV pointe les pratiques d’une dizaine de "petits opérateurs" qui étaient "très discounts" avant la crise et pèsent environ "10% du marché", explique François Carlier, directeur général de la CLCV.

Depuis la flambée des prix, ces derniers ont procédé soit à des augmentations classiques de "l’ordre de 25-30%" soit à des "indexations sur les prix de marchés de gros", détaille-t-il. Le plus souvent en prévenant les clients par mail, au moins un mois avant comme l’exige la loi. Un procédé pas vraiment au goût de François Carlier. D’abord parce que le mail peut passer inaperçu dans le flot de messages envoyés sur les boîtes de réception. Ensuite parce que "le titre du mail est souvent peu explicite. Par exemple, ‘Votre offre évolue’ pour annoncer une hausse de 25%. Moralité: si vous choisissez un de ces opérateurs, le conseil pratique c’est d’ouvrir ses mails", ajoute le directeur général de la CLCV.

Surtout, l’association qui a reçu plus de 400 plaintes de clients de Mint veut défendre en justice le fait que désindexer une offre du TRV n’est pas une simple modification de contrat et qu’un mail ne saurait suffire pour l’annoncer: "On estime que quand on passe à une offre indexée sur le TRV à une offre indexée sur les prix des marchés de gros, ce n’est pas un changement de contrat, mais un nouveau contrat", selon François Carlier.

Dans cette période de flambée des prix de l’énergie, il conseille aux clients de revenir au tarif règlementé pour l’électricité afin d'avoir "la sécurité contractuelle", voire de se tourner vers "les grands opérateurs". Pour le gaz, les clients ne peuvent plus revenir au tarif réglementé qui disparaîtra en juillet 2023. Les offres des grands opérateurs restent en revanche là aussi les plus sûres, selon François Carlier.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco