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Modération, algorithmes: pourquoi le DSA, censé réguler internet, comporte des limites de taille

Entré en vigueur ce 25 août, le DSA entend mettre un terme au "Far West" sur le web avec de nouvelles règles pour les grandes plateformes. Mais ces mesures peuvent-elles suffire à régler tous les travers d’internet?

Peut-on vraiment mieux réguler internet en 2023? Après des années de laisser-aller pour les grandes plateformes du numérique, le Digital Services Act (DSA), mais aussi le Digital Markets Act (DMA), ont pour objectif d’en finir avec les règles floues et à la carte pour chaque entreprise.

Depuis ce 25 août, le Digital Services Act fait donc office de code de conduite pour 19 grandes plateformes du web (d’autres suivront dans les prochains mois), demandant à celles-ci d’être plus transparentes sur leurs algorithmes mais aussi de lutter efficacement contre les contenus problématiques.

Mais comme le dit l’adage, "les règles sont faites pour être transgressées", et certaines entreprises ont bien compris que le texte restait encore souple, et comportait plusieurs limites.

Affichage chronologique... en théorie

Devenu monnaie courante depuis plusieurs années sur Facebook, Instagram, TikTok et plus récemment Twitter (désormais baptisé X), l’affichage algorithmique permet à l’utilisateur de découvrir du contenu non pas en fonction de qui il suit, mais de ce qu’il aime. Les contenus sont alors sélectionnés par la machine, dans le but de maximiser son temps d'attention.

Une sorte de traçage permanent pour offrir du contenu toujours plus attirant et rallonger le temps passé sur l’application, mais à laquelle le DSA veut mettre un terme, du moins si l'utilisateur le souhaite, en imposant aux réseaux sociaux de donner la possibilité aux internautes d'opter pour un affichage des contenus de manière chronologique.

Sauf qu'aujourd'hui, rien n'impose aux plateformes de mettre en avant cet affichage chronologique. Sur TikTok, le fil "Pour toi" est par exemple affiché en premier lors de l'ouverture de l'application, de même que les fils "Pour vous" sur Twitter ou Instagram. Pour réussir à utiliser le fil chronologique, il est ainsi nécessaire de faire une manipulation à chaque fois que l'on revient sur l'application. Un aspect contraignant mais logique selon l'avocate spécialisée du numérique Oriana Labruyère.

"Le texte ne peut pas anticiper toutes les hypothèses. Il devrait donc aller dans le futur vers plus de règlementations sectorielles. Pour les réseaux sociaux qui eux ont un fil chronologique, cela a un sens, mais pas pour les plateformes de vente. Un produit qui vient d'arriver n'a par exemple pas plus de légimité qu'un produit arrivé il y a plusieurs mois", juge l'avocate.

Modération pas toujours facile

Comme vu récemment avec la polémique sur le site Rencontre Ados et sa modération quasi inexistante, modérer une plateforme en ligne peut vite relever d'un casse-tête si des moyens réels ne sont pas mis en place.

Car l'un des points clés du DSA réside dans la capacité des plateformes à lutter contre les contenus inappropriés, en les retirant dès qu'un signalement est lancé. Sauf qu'il faut derrière avoir les employés nécessaires à ce maintien de l'ordre.

Alors que Thierry Breton annonçait par exemple que 1000 employés étaient dédiés à la mise en place du DSA chez Meta, des plateformes comme Twitter pourraient avoir plus de mal à se mettre en conformité.

Depuis l'arrivée d'Elon Musk à la tête du réseau social, les problèmes de modération font rage, notamment en raison de la vague de licenciements dans les équipes. Celle-ci a permis entre autres à la plateforme de laisser la porte grande ouverte à des comptes de propagande russes, ukrainiens et chinois mais aussi à des théories complotistes.

Des signaleurs de confiance à trouver

C'est l'un des autres enjeux liés à la modération des contenus: avoir des "signaleurs de confiance" partout en Europe pour aider à signaler aux plateformes les contenus qui doivent être bannis en priorité.

Et si en France, la plateforme Pharos compte bien assurer ce poste, dans les autres pays, les moyens alloués à la mise en place d'un système équivalent sont parfois bien différents. Des plateformes dédiées ne sont d'ailleurs pas forcément mises en place, ce type de problématique étant généralement géré par les polices locales ou bien par des centres "pour un internet plus sûr", présents par exemple au Portugal ou en Grèce.

Pas d'obligation de répondre aux réquisitions

L'une des grandes volontés du DSA est de mieux protéger les internautes contre la haine en ligne. Un principe de taille qui se confronte toutefois à un gros obstacle: les plateformes n'ont pas toujours l'obligation de collaborer avec les autorités.

Lors des cas les plus graves, avec par exemple des contenus illicites ou du cyberharcèlement, les autorités peuvent envoyer une réquisition judiciaire aux plateformes concernées par les faits constatés. Objectif: obtenir l’adresse IP du propriétaire du compte afin de l'identifier.

Mais même avec l'arrivée du DSA, les plateformes n'ont toujours aucune obligation de collaborer avec les autorités locales, si celles-ci ne sont pas situées dans le même pays. Basées pour la quasi-totalité à l'étranger, les différentes plateformes, en particulier les réseaux sociaux, n'ont donc pas d'impératif de réponse à une réquisition judiciaire venant des autorités françaises.

"A ce stade, le DSA ne change rien sur cet aspect sauf qu'il apporte des sanctions pour les plateformes qui seraient de mauvaise composition. Mais dans les faits, l'immense majorité des plateformes collaborent déjà", nuance Alexandre Archambault, autre avocat en droit numérique.

Toujours pas de responsable légal

Le DSA, de la même manière que le RPGD, ne demande aux plateformes que d'avoir un "point de contact" dans chaque pays, et non pas un représentant légal, qui pourrait se retrouver confronter aux tribunaux. Une limite considérable, régulièrement dénoncée, lors de la mise en cause des plateformes au niveau local.

"Le responsable légal, c'est lui qui reçoit les amendes et est convoqué. Le point de contact est simplement une boîte postale à qui envoyer les demandes", synthétise Alexandre Archambault.

De quoi complexifier la mise en oeuvre efficace du DSA sur le continent. L'Union européenne pourrait d'ailleurs être forcée d'ajuster ses règles au fur et à mesure des trous dans la raquette débusqués, surtout pour un sujet - les nouvelles technologies - toujours en proie à de perpétuelles évolutions.

Julie Ragot