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Haine en ligne: pourquoi Twitter et Facebook peuvent difficilement être poursuivis en justice

La justice française a ordonné lundi une médiation entre Twitter et des associations de lutte contre les discriminations, qui avaient assigné en mai le réseau social pour "inaction face à la haine en ligne"

La justice française a ordonné lundi une médiation entre Twitter et des associations de lutte contre les discriminations, qui avaient assigné en mai le réseau social pour "inaction face à la haine en ligne" - DENIS CHARLET © 2019 AFP

Le rôle des réseaux sociaux - Facebook, Twitter, Youtube et Whatsapp - dans l'assassinat de Samuel Paty, professeur d'histoire décapité vendredi dans les Yvelines, fait l'objet d'une enquête. Leurs représentants ont ce mardi matin été convoqués par Marlène Schiappa.

Les réseaux sociaux ont-ils servi de catalyseur à l'attentat islamiste perpétré vendredi à Conflans-Sainte-Honorine? Le récit des faits qui ont amené à la mort de Samuel Paty étant émaillé de publications, vidéos, commentaires et partages sur Facebook, Twitter ou encore WhatsApp, une enquête a été ouverte pour déterminer le rôle de ces différentes plateformes. Les responsables de ces réseaux sociaux étaient par ailleurs convoqués ce matin par Marlène Schiappa, place Beauvau.

Au lendemain de cet attentat, l'exécutif planche sur des moyens de renforcer la répression des faits liés plus ou moins directement à la menace terroriste. Ces mesures auront nécessairement un volet numérique et devraient se décliner à l'encontre des "comportements, notamment sur Internet, incitant à la haine ou appelant à commettre des crimes ou délits", d'après une note du garde des sceaux, consultée par Le Monde.

L'absence de représentaux légaux

Pour Richard Malka, l'avocat de "Charlie Hebdo", l'une des priorités dans l'état actuel des choses tient à obliger les plateformes et moteurs de recherche à avoir une domiciliation en France et donc un représentant légal, physique et responsable. Faute de quoi, ils ne peuvent être attaqués en justice et demeurent en situation d'"impunité totale", a-t-il avancé le 19 octobre au micro de RTL.

À nouveau sollicité au sujet de ce "problème central", Richard Malka a précisé sur le plateau de C à vous qu'il s'agissait de remédier à une impasse: "Vous pouvez faire toutes les lois que vous voulez. Si vous n'avez personne à poursuivre techniquement, pratiquement, il ne se passe rien. Vous n'allez pas poursuivre quelqu'un qui est à New York ! D'autant plus que le premier amendement s'y applique."

Les plus grands réseaux sociaux américains sont bel et bien dépourvus de représentaux légaux en France.

"Dans le cas des GAFA, tout est compliqué par la manière dont ils se répartissent les rôles entre les entités, les structures locales n’ayant prétendument pas de contrôle sur la plateforme", rappelle Jean-Baptiste Soufron, avocat au barreau de Paris.
"L'idée de Richard Malka serait un plus appréciable", juge-t-il ainsi. "La responsabilité civile et pénale des plateformes peut déjà être mise en œuvre aujourd'hui mais difficilement. Et dans le cas qui nous concerne, elle aurait dû être engagée, les vidéos initiales ayant été signalées, sans succès. Les personnes les ayant diffusées n'étaient pas anonymes, ce qui devrait également entraîner leur responsabilité."

Engager la responsabilité des plateformes

"La responsabilité des réseaux sociaux est aussi rarement engagée en raison de l'immaturité des acteurs français et européens, qui rechignent à aller la rechercher. À cela s'ajoute une sorte de fascination pour ces entreprises technologiques qui sont vues comme des ovnis dans des pays où les dirigeants politiques et industriels ne s'intéressent pas sérieusement aux sujets de souveraineté numérique", poursuit Jean-Baptiste Soufron, en soulignant que ces réseaux ne consacrent "que peu d'énergie aux questions de modération".

En la matière, l'attentat survenu à Conflans-Sainte-Honorine n'est que partiellement concerné par ces questions de modération, les premiers contenus diffusés à propos du professeur l'ayant été sur des boucles privées. D'après une information BFMTV, le père de famille, auteur de la vidéo dans lequel il s'indignait du cours sur les caricatures animé par Samuel Paty, et le terroriste présumé ont par ailleurs échangé en privé via la messagerie WhatsApp dans les jours précédant l'attentat.

Selon les premiers éléments de l’enquête, c'est néanmoins bien l’emballement provoqué par les vidéos virales d’un parent d’élève appelant à la démission du professeur qui a contribué à faire de Samuel Paty une cible. “Les choses ont démarré sur les réseaux sociaux et se sont terminées sur les réseaux sociaux”, a souligné Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement en référence au fait que l’assaillant a publié des images de la dépouille de l’enseignant sur Twitter pour revendiquer son acte.

Un dispositif juridique de lutte contre la haine sur les réseaux sociaux est ainsi attendu ces prochaines semaines. "Il s’agit de voir comment on peut améliorer l’articulation entre les différents services”, a d’ailleurs observé Marlène Schiappa ce lundi à Nanterre, en faisant notamment référence aux réseaux sociaux et à la plateforme de signalement Pharos, après une réunion avec les responsables des services de police et les patrons de la police et de la gendarmerie. De manière générale, il s'agira d’étudier de nouvelles dispositions pour renforcer la lutte contre “le cyberislamisme”, selon l'expression de la ministre.

https://twitter.com/Elsa_Trujillo_?s=09 Elsa Trujillo Journaliste BFM Tech