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"Ce n'est pas tricher avec la réalité": comment Google justifie l'utilisation de l'IA dans la photo

Alors que les fabricants commencent à vanter les mérites de leur photo à l'IA sur smartphone, Tech&Co a demandé à Michael Specht, photographe et responsable de la photo du Google Pixel, si l'IA ne truquait pas la réalité.

Honor, Xiaomi, Samsung, Motorola, Google… ils n’ont plus que ce mot à la bouche dès qu’il est question de photographie: l’intelligence artificielle. La photo à l’IA est devenue un argument aussi vendeur qu’interrogateur.

Pionnier en ce domaine, Google a, depuis son Pixel 2, associé photographie et IA dans sa proposition. Longtemps, il lui fut reproché de tromper la réalité pour la rendre plus belle. Mais n’est-ce pas ce que tous les utilisateurs de smartphones et adeptes des réseaux sociaux notamment recherchent désormais? Avoir le cliché parfait qui donne l’impression que leur vie est plus belle.

L’IA pour tromper la réalité et sa propre réalité, c’est un sujet qui interpelle même les intéressés. Michael Specht est en charge de l’équipe derrière l’appareil photo des Google Pixel depuis deux ans. Mais il est surtout et avant tout un photographe dans l’âme. "J’ai commencé par assouvir ma passion pour la photographie avec un appareil traditionnel avant d’utiliser aussi les nouvelles technologies d’image. Je mélange les deux, le film et la photo numérique, car ça me permet d’être plus créatif", explique-t-il à Tech&Co.

Du smartphone avec appareil photo à l'appareil photo intelligent dans le smartphone

Deux aspects qui pourraient paraître antinomiques, mais, selon le spécialiste américain, cela lui a permis de passer du photographe pro à l’ingénieur imagerie pour mieux apporter toute la qualité possible à l’appareil photo des smartphones Google. "Nous sommes passés d’un smartphone avec un appareil photo à un appareil photo intelligent qui fait téléphone. La photographie mobile a tellement évolué en 10 ans qu’il devient difficile de différencier une image prise avec un smartphone d’une photo avec un appareil dédié à 10.000 dollars", clame Michael Specht.

Michael Specht, le responsable de la photo du Google Pixel
Michael Specht, le responsable de la photo du Google Pixel © Google

La qualité des lentilles des smartphones s’est grandement améliorée tout autant que leur nombre s’est multiplié au dos des appareils - avec néanmoins un recul du temps où on atteignait les 4, 5 voire 6 capteurs. Pourtant, longtemps, Google a assuré qu’un seul capteur avec l’aide de l’IA suffirait à tout faire, avant de, lui aussi, rétropédaler pour passer à deux et désormais à trois afin d'ajouter un téléobjectif et un ultra-grand-angle.

L'ajout de l’IA dans le smartphone a apporté de multiples améliorations au fil du temps: fusion de plusieurs images pour avoir une composition globale parfaite, mode portrait avec le flou d’arrière-plan créé artificiellement, optimisation en basse lumière ou de nuit. Des innovations grâce à l’algorithme qui ont inspiré les smartphones concurrents, d’Apple à Samsung en passant par les fabricants chinois et autres.

Il est désormais possible de filmer en 4K avec une stabilisation de haut vol, d'ajouter des effets cinématographiques ou de prendre des photos qui remportent des concours internationaux.

Le Google Pixel 8 Pro
Le Google Pixel 8 Pro © Google

L'IA "pour faire authentique"

Merci l’IA et plus le talent? Pour Michael Specht, l’IA permet surtout de répondre à une contrainte de taille : tenir dans votre poche. "La physique contraint le matériel, donc on a beaucoup utilisé le logiciel pour améliorer l’usage", souligne-t-il, rappelant que l'objectif du Pixel reste de "faire authentique tout en permettant une liberté créative avec des outils d’édition puissants" comme la Gomme Magique ou l’Editeur magique.

Capturer des images parfaites sans effort, telle est la force des photophones à l'IA, Pixel en tête. "Avoir de belles images dans des conditions de lumière calamiteuses, traquer un sujet en mouvement, obtenir des couleurs et tons de peau qui ressemblent à la réalité: nous avons réussi tout cela au fil des années avec le Pixel", se félicite le patron de la photo chez Google.

"L’IA a rendu l’appareil photo plus accessible pour tous les utilisateurs, pour les accompagner dans leur expérience et rendre la photo plus authentique et fidèle au sentiment que vous avez ressenti lorsque vous l'avez prise".

Mais pour lui, l’IA générative a aussi des atouts après la prise de photo, en faisant gagner du temps d’édition en quelques clics grâce aux options de retouche proposées (Meilleur profil sur des photos de groupe, redimensionnement, effacement, déplacement, recomposition de la scène...). Photo truquée? Oui, mais pour la bonne cause.

Les Pixel vont continuer à faire appel à l’IA pour l’appareil photo. Car cela permet de produire des images et vidéos encore plus réalistes, notamment avec Real Tone qui permet de résoudre les biais de la peau pour que "la teinte de peau du sujet soit la plus fidèle à la réalité", souligne-t-il.

Et rappeler que l'IA, ce n'est pas seulement l'utilisation des outils de retouche ajoutés par Google. "Cela facilite la prise en main de la retouche d'image plus rapidement. On ne fait rien de plus que ce que Photoshop propose depuis des années," argue Michael Specht.

Google Pixel 7
Google Pixel 7 © Google

Le miroir d'une certaine réalité

L'IA trompe-t-elle notre vision de la réalité à force de tout retoucher? Pas plus que le reste, assure-t-il. Il admet que l'IA en photo a pu susciter un peu d'inquiétude sur son potentiel de manipulation. Néanmoins, il ne pense pas que poster des photos flatteuses de soi sur les réseaux ou retoucher son portrait à l'IA pour se montrer sous son meilleur jour soit une pratique si différente.

"Vous regardez une couverture de magazine, la photo a été plus ou moins retouchée pour être parfaite. Vous visionnez un documentaire animalier, évidemment qu'il a été édité et amélioré", rappelle le responsable Pixel. "Nous cherchons juste à rendre tout cela facile et simple dans un simple smartphone".

Photographe depuis toujours, il n'oppose pas appareil photo traditionnel à smartphone. "Il y a des moments où je veux utiliser mon appareil mirrorless, d'autres situations où j'aime avoir mon Pixel à portée de main", explique ce collectionneur d'appareils photo en tous genres. "Pour moi, l'IA donne du pouvoir aux smartphones et me permet de me dire que je n'ai pas besoin d'un appareil dédié pour prendre des photos. Car elle va compenser les lacunes de ces mini-caméras pour prendre certains types de clichés plus compliqués".

Selon lui, le meilleur appareil photo, "c'est celui que l'on a toujours avec soi", même s'il peut partir avec son smartphone et son appareil photo pro pour utiliser alternativement l'un ou l'autre. "Avec un smartphone, on dégaine à tout moment sans vraiment réfléchir", reconnaît-il. "Ce que j'aime avec un appareil traditionnel, c'est qu'il oblige à ralentir pour prendre des photos dans différents environnements, à son rythme et à réfléchir à ce que je veux immortaliser. Mais quand tu dois développer tes photos, ça coûte de l'argent donc tu as une approche de la photo de fait très différente. C'est une philosophie différente entre les deux."

Melinda Davan-Soulas