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Nouvelle-Calédonie: le blocage de Tiktok, une première dans une démocratie occidentale?

Le gouvernement a décidé de bloquer Tiktok en Nouvelle-Calédonie. Une mesure inédite, du moins dans les démocraties occidentales.

C'est une mesure aussi forte que symbolique: depuis quelques heures, les habitants de Nouvelle-Calédonie, où ont lieu de violentes émeutes, n'ont plus aucun accès aux contenus de Tiktok, le réseau social chinois. L'interdiction de Tiktok a ainsi été annoncée par le Premier ministre Gabriel attal ce 15 mai.

Contacté par Tech&Co, le gouvernement a refusé d'apporter des précisions sur ce qui justifie cette interdiction. Si aucune raison n'a donc officiellement été avancée, la supposée utilisation de la plateforme pour promouvoir les destructions et coordonner les émeutiers, ainsi que des risques d'ingérence étrangère, pourraient figurer parmi les motivations.

Le blocage d'accès aux réseaux sociaux en cas de crise et de manifestations avait déjà été évoqué en 2023 par Emmanuel Macron, qui n'excluait pas cette hypothèse lors des émeutes faisant suite à la mort de Nahel. Ce qui avait alors provoqué de vives réactions, notamment au sein de l'opposition.

Azerbaïdjan, Somalie ou Pakistan

Si l'idée d'un tel blocage avait rapidement été abandonnée au cours de l'été 2023, le gouvernement évoque le régime d'état d'urgence dans le cadre des émeutes en Nouvelle-Calédonie. Un régime qui permet selon la loi de bloquer des services de communication en cas de menace terroriste.

Selon le service de VPN Surfshark, qui a documenté l'ensemble des blocages de réseaux sociaux depuis une décennie, plusieurs pays ont récemment été amenés à bloquer Tiktok, officiellement pour limiter le risque de violences qui seraient alimentées par la plateforme chinoise.

On compte ainsi la Jordanie, qui a bloqué Tiktok fin 2022 après des émeutes, mais également l'Azerbaïdjan et l'Arménie, dans le cadre du conflit lié au Haut-Karabakh, là encore en 2022. En 2023, le Sénégal a pris une décision analogue pour lutter contre des dissidents du pouvoir, au même titre que la Somalie, là encore dans le cadre de manifestations anti-gouvernementales.

Des blocages de Tiktok qui se sont régulièrement accompagnés de blocages d'autres réseaux sociaux, comme Twitter, Facebook ou Instagram, par exemple en Russie, au moment de l'invasion de l'Ukraine, ou encore au Pakistan, lors de manifestations anti-France, ainsi qu'en Iran, là encore dans le cadre de manifestations.

"Bloquer un réseau social, c’est d’habitude le quotidien d’un régime autoritaire ou d’une dictature", déplore de son côté Eric Bothorel, député de la majorité et spécialiste des questions numériques, auprès de Tech&Co.

"Je suis toujours très inquiet quant à l’effet boomerang que cela peut générer. On alimente de fait le narratif de ceux qui utilisent l’idée que les libertés sont bafouées", poursuit l'élu. Qui ajoute d'emblée: "Il faut souhaiter que le lien entre le réseau social et les évènements du moment soit clairement établi sinon le bénéfice-risque d’une telle mesure pourrait être malheureusement défavorable".

Interrogé par Tech&Co concernant le caractère inédit de cette mesure et le risque de créer un précédent, le cabinet de Gabriel Attal n'a pas souhaité faire de commentaire.

Cadre juridique spécifique

En Europe, le seul blocage d'une plateforme sociale qui a été envisagé concerne l'Espagne. Dans le pays, un juge avait ordonné le blocage de Telegram, dans un contexte bien différent: il était alors reproché à l'application de ne pas faire respecter le droit d'auteur. Mais la justice a finalement fait volte-face quelques jours plus tard, en raison du caractère "disproportionné" de la mesure.

En Nouvelle-Calédonie, le blocage de Tiktok est rendu possible par un cadre juridique spécifique de l'archipel. En métropole, une telle décision relèverait du droit européen, et ne pourrait donc pas être décidée seule par la France. Techniquement, cette "interdiction" passe par l'unique opérateur du pays (Mobilis), qui bloque l'accès aux serveurs de la plateforme à quiconque tente de se connecter.

Une mesure qui peut par ailleurs être contournée en utilisant un VPN, un logiciel -légal- qui permet de simuler une connexion par un autre pays. Auprès de Tech&Co, le service ProtonVPN évoque une hausse de 150% d'inscriptions à son service au cours des dernières heures. Selon l'outil Google Trends, les recherches liées au mot-clé VPN sont également en hausse en Nouvelle-Calédonie.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co