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Émeutes en Nouvelle-Calédonie: pourquoi l'Azerbaïdjan est accusé "d'ingérence" par Darmanin

Des drapeaux du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS) lors d'une manifestation à Nouméa contre l'élargissement du corps électoral pour les prochaines élections provinciales, le 13 avril 2024 en Nouvelle-Calédonie

Des drapeaux du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS) lors d'une manifestation à Nouméa contre l'élargissement du corps électoral pour les prochaines élections provinciales, le 13 avril 2024 en Nouvelle-Calédonie - Theo Rouby © 2019 AFP

Si aucun lien direct n'a été établi entre les émeutes qui ont éclaté en Nouvelle-Calédonie et l'Azerbaïdjan, ce pays qui affiche son soutien à la lutte indépendantiste kanak est accusé par Paris "d'ingérence".

Au milieu des drapeaux kanaks brandis par les indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, quelques drapeaux arborant une lune et une étoile blanche sur trois bandes horizontales bleue, rouge et verte flottent au vent.. Un drapeau qui n'est autre que celui de l'Azerbaïdjan, un pays au carrefour de l’Europe et de l’Asie, à 14.000 kilomètres du territoire français du Pacifique.

Ce pays, dirigé par l'autoritaire lham Aliyev au pouvoir depuis plus de vingt ans, a été accusé ce jeudi 16 mai par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, "d'ingérence" en Nouvelle-Calédonie.

L'archipel est en proie à des violences depuis lundi qui ont dégénéré en émeutes, faisant jusqu'ici cinq morts dont deux gendarmes et trois jeunes Calédoniens ainsi que de nombreux blessés. L'état d'urgence est entré en vigueur ce mercredi et l'armée va être déployée ce jeudi au niveau des ports et de l'aéroport.

Gérald Darmanin a assuré ce jeudi matin sur France 2 que l'implication de ce pays du Caucase à Nouméa n'était pas un "fantasme mais une réalité". Il a toutefois précisé qu'"aucun pays n'accède à la violence en Nouvelle-Calédonie, la France est souveraine chez elle et c'est tant mieux".

De même, le haut-commissaire de Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, a estimé lors d'une conférence de presse tenue cette nuit (heure de Paris) qu'il n'y avait pas d'ingérence extérieure "dans le contexte qui nous occupe depuis quelques jours".

"Une ingérence extrêmement néfaste"

Aucun lien n'a donc été établi entre cette "spirale de violence", comme dénoncée par les autorités, et Bakou mais le ministre de l'Intérieur assure que "l'ingérence" est une "réalité". Des accusations d'ingérence jugées "infondées" par l'Azerbaïdjan.

"Je regrette qu'une partie des leaders indépendantistes calédoniens aient fait un deal avec l'Azerbaïdjan, c'est incontestable", a souligné Gérald Darmanin ce jeudi.

Le ministre fait référence au mémorandum de coopération signé entre le Congrès de la Nouvelle-Calédonie et l’Assemblée nationale de l’Azerbaïdjan le 18 avril dernier. Une élue du groupe indépendantiste UC-FLNKS, Omayra Naisseline, s'est rendue -sur habilitation du président du Congrés Roch Wamytan- dans ce pays pro-russe pour acter un texte visant à développer les relations entre les deux chambres. Cela notamment en matière de culture, d’enseignement et de politique.

Lors de ce voyage tous frais payés, elle avait ouvertement remercié Bakou de son "soutien à cette lutte du peuple kanak". Outre l'indignation des loyalistes qui avaient assuré que cet accord "n'avait fait l'objet d'aucune concertation", le ministre de l'Intérieur avait déjà parlé d'une "ingérence extrêmement néfaste".

Il s'était dit "profondément" choqué, il avait qualifié ce partenariat "d'opportuniste", et avait regretté que certains indépendantistes "voient dans l'Azerbaïdjan une planche de salut".

Le lien entre les indépendantistes calédoniens et Bakou a commencé à se tisser en 2019 d'après le président du Congrès de ce territoire, Roch Wamytan. Il a expliqué, à la chaîne Nouvelle-Calédonie La Première, qu'ils "se sont accrochés" lorsque le président Ilham Aliyev a défendu "le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le droit des peuples colonisés à maîtriser leur destin" lors de la prise de la présidence du Mouvement des non-alignés par son pays.

Mais ce n'est que le 6 juillet 2023 que l'Azerbaïdjan s'est impliqué à bras-le-corps dans le combat des Kanaks via la création du Groupe d’initiative de Bakou (GIB).

Ce groupe, qui réunit des représentants de mouvements anti-colonialistes des Outre-mer, multiplie depuis les messages de soutiens aux indépendantistes kanaks et dénonce "le colonialisme" français à coups de hashtag et de vidéos postées sur les réseaux sociaux.

Le Haut-Karabakh au coeur des tensions entre Paris et Bakou

Mais quel est l'intérêt de l'Azerbaïdjan de s'immiscer dans les affaires de ce territoire français? Mener une "stratégie de représailles", répond l'analyste en relations internationales Bastien Vandendyck, spécialiste du Pacifique Sud interrogé par France Info, avant le déclenchement des émeutes.

En effet, le ton monte depuis des mois entre la France et l'Azerbaïdjan qui reproche à Paris son soutien à l'Arménie dans le cadre du conflit dans le Haut-Karabakh. Emmanuel Macron avait lui-même condamné en septembre 2023 "avec la plus grande fermeté le recours à la force par l'Azerbaïdjan" dans ce territoire du Caucase peuplé majoritairement d'Arméniens et avait "réitéré son attachement et son soutien à l'intégrité territoriale de l'Arménie".

Arménie : avec les réfugiés du Haut-Karabagh
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19:35

De quoi déplaire à Bakou. Depuis, "le but est de gêner la France dans sa souveraineté. L’Azerbaïdjan ne s'intéresse pas vraiment à la cause indépendantiste. Il soutient le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste, NDLR) pour renforcer les dissensions sociopolitiques en Nouvelle-Calédonie", analyse le spécialiste Bastien Vandendyck.

Accusant la France de mener une politique allant "contre l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Azerbaïdjan", la commission des Affaires étrangères du parlement azerbaïdjanais a recommandé en janvier de couper tout lien économique avec Paris et d'expulser les entreprises françaises, dont Total.

Le pays du Caucase a multiplié les opérations de déstabilisation contre la France. En novembre dernier, Paris a accusé des acteurs liés à l'Azerbaïdjan d'avoir mené fin juillet une campagne de manipulation de l'information visant à porter atteinte à la réputation de la France dans sa capacité à accueillir les Jeux olympiques 2024.

Puis en décembre, Bakou est soupçonné d'avoir fait passer des espionnes -fichés par Paris pour leur proximité avec les services de renseignement azerbaïdjanais comme le révélait alors Europe 1- pour des journalistes, lors de la visite du ministre des Armées Sébastien Lecornu, en Nouvelle-Calédonie.

Juliette Brossault