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Des personnes déposent des fleurs le 16 octobre 2023 devant la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras en hommage au professeur Dominique Bernard assassiné trois jours plus tôt

Denis Charlet © 2019 AFP

"Il a un couteau les gars": à Arras, récit d'un vendredi où le terrorisme frappa de nouveau l'école

Récit d'une attaque qui a fait un mort et trois blessés. Et plongé la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras dans l'épouvante.

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C'est la dernière heure de cours de la matinée à la cité scolaire Gambetta-Carnot. On est vendredi, bientôt le week-end; une perspective qui fait déjà frémir d'impatience certains élèves. Il est 11 heures passées de quelques minutes quand une alarme retentit. Pas l'alarme des exercices anti-incendie, mais l'alarme anti-intrusion.

Une sonnerie qui, dans un premier temps, n'inquiète pas les élèves. Ils pensent qu'il s'agit d'un exercice, comme ceux organisés tous les ans. Le proviseur les a d'ailleurs prévenus la semaine dernière: des tests auront lieu prochainement. "On a pris ça à la légère", reconnaîtra un peu plus tard pour BFMTV Marius, un lycéen de terminale.

Les enseignants, eux aussi, n'imaginent alors pas une seconde qu'il puisse s'agir d'autre chose que d'un exercice. "Un collègue m'a demandé: 'est-ce que vous êtes aussi confiné?' Je lui dis: 'non, on n'est pas confiné, ça doit être un exercice'", confiera à BFMTV, après l'attaque, Fabien Dufay, professeur d'éducation physique et sportive (EPS) qui faisait cours à ce moment à l'extérieur de l'établissement.

Mais comme le prévoit le plan particulier de mise en sûreté (PPMS), en cas d'attentat-intrusion, les élèves doivent être confinés. C'est donc le cas des quelque 1600 collégiens et lycéens de cet établissement scolaire. Dont ceux de la classe de Marius, alors en cours d'EPS. Cloîtrés dans les vestiaires du gymnase, fermés à clé.

"On ne devait pas être visibles des fenêtres (...), ne pas faire de bruit", racontera encore Marius.

"On l'a vu courir après le prof avec un couteau"

Mais rapidement, enseignants comme élèves comprennent qu'il ne s'agit pas d'un exercice, qu'il se passe quelque chose de grave, de très grave. Marius ne sait pas exactement de quoi il s'agit mais il réalise lui aussi que c'est sérieux. "On a commencé à recevoir des messages de ce qui avait pu se passer, des vidéos. On a compris." Le pire s'est produit.

"J'ai d'autres collègues qui m'ont dit qu'un collègue est blessé, qu'un collègue est décédé", se souviendra Fabien Dufay.

Un enseignant vient en effet d'être tué. Il s'agit de Dominique Bernard, un professeur de lettres de 57 ans. Il était 11 heures, il sortait du lycée avec trois autres personnes quand l'assaillant lui a violemment asséné plusieurs coups de couteau. Un enseignant d'EPS qui tente de lui porter secours est lui aussi blessé au visage. Une attaque qui se produit sous les yeux d'élèves en classe.

"Là, on l'a vu courir après le prof avec un couteau", décrira une élève sur France inter. "Il lui a mis un coup de couteau dans la gorge."
Des militaires devant le lycée Gambetta, à Arras
Des militaires devant le lycée Gambetta, à Arras © AFP

Une autre ajoute l'avoir vu se tenir la gorge "avec les mains en sang". Avant même que l'alarme ne retentisse, des élèves se retranchent dans leur classe. "On a fermé les fenêtres, on a fermé les volets, on a barricadé les portes", poursuit la lycéenne qui fera part de son effroi sur France inter.

Le professeur d'EPS blessé parvient à échapper à l'assaillant grâce à un assistant d'éducation. Ils pensent trouver refuge à l'intérieur de l'établissement. Mais l'attaquant les suit. Un cauchemar. D'autant que des élèves sont présents dans la cour.

"On se dirigeait vers la cantine et là on a vu notre prof de sport en sang", confiera, bouleversé, un élève à France 3 Hauts-de-France. "Il nous disait d'appeler la police et d'aller se cacher."

"Il est en train de poignarder des gens!"

L'agresseur a pénétré l'établissement et y déambule. Il cherche le bureau du proviseur, détaillera Jean-François Ricard, le procureur de la République antiterroriste, lors d'une conférence de presse donnée quatre jours plus tard.

Si certains élèves confinés ignorent la gravité des événements, d'autres assistent à la suite de l'attaque. Notamment ceux dans les classes situées aux étages supérieurs; les fenêtres donnent directement sur l'entrée et la cour.

"Il rentre", dit un lycéen stupéfait qui assiste à la scène, diffusée sur les réseaux sociaux. "Mais y'a des élèves!" ajoute une autre, abasourdie.

"On a tous couru dans les salles. On pensait à notre vie, vraiment", raconte un élève à France 3 Hauts-de-France.

Des enquêteurs de la police judiciaire devant le lycée Gambetta après la mort d'un enseignant poignardé lors d'un attentat islamiste, le 13 octobre 2023 à Arras, dans le Pas-de-Calais
Des enquêteurs de la police judiciaire devant le lycée Gambetta après la mort d'un enseignant poignardé lors d'un attentat islamiste, le 13 octobre 2023 à Arras, dans le Pas-de-Calais © Ludovic MARIN © 2019 AFP

Une scène inconcevable, impossible: l'assaillant est là, dans la cour. Plusieurs membres du personnel tentent de lui faire barrage. L'un saisit une chaise et essaie de le repousser. C'est Christian, un agent d'entretien qui déjeunait au moment de l'intrusion. Un "mouvement de foule" l'a alerté quelques minutes plus tôt quand des collégiens, qui n'étaient à ce moment-là pas en classe, se sont précipités vers le lycée.

"On s'est levé pour aller voir ce qu'il se passait", témoignera Christian pour BFMTV. "On croyait voir une bagarre entre élèves (...) Mais là, j'ai une collègue qui s'est mise à crier:

'Il y a un homme avec un couteau, il faut s'enfermer, il est en train de poignarder des gens!'"

Il prend une chaise "sans réfléchir"

L'assaillant tente à nouveau d'attaquer le professeur de sport qui avait réussi à lui échapper quelques minutes plus tôt. Christian prend alors une chaise et, "sans réfléchir", sort dans la cour, "un peu pour le contenir car on savait que la police allait arriver".

"On voulait gagner du temps pour qu'il évite d'aller au réfectoire ou qu'il aille côté lycée", expliquera encore Christian.

Mais Christian trébuche sur une bordure d'arbre au milieu de la cour et tombe. Alors que l'assaillant va lui "sauter dessus", un agent technique lui vient en aide. Sidération des élèves.

"Il a un couteau les gars, il a un couteau!" lance un élève, choqué par la scène filmée et diffusée sur les réseaux sociaux.

L'agent technique ramasse la chaise, tente de le freiner mais il chute lui aussi. Au sol, l'attaquant le frappe alors de plusieurs coups de couteau. L'homme sera grièvement blessé mais ses jours ne sont aujourd'hui plus en danger - tous comme les deux autres blessés.

"T'es professeur d'histoire?"

Un enseignant, qui a lui aussi tenté de s'interposer, raconte. "J'ai voulu intervenir en lui demandant d'arrêter", témoignera plus tard au micro de BFMTV Martin Doussau, professeur de philosophie.

"J'ai été poursuivi par l'agresseur qui m'a demandé si j'étais professeur d'histoire: 'T'es professeur d'histoire, t'es professeur d'histoire?'"

Une attitude qui lui rappelle immédiatement un terrible précédent, lorsqu'en 2020, le professeur d'histoire-géographie Samuel Paty était assassiné à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).

Des personnes déposent des fleurs le 16 octobre 2023 devant la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras en hommage au professeur Dominique Bernard assassiné trois jours plus tôt
Des personnes déposent des fleurs le 16 octobre 2023 devant la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras en hommage au professeur Dominique Bernard assassiné trois jours plus tôt © Denis Charlet © 2019 AFP

Martin Doussau parvient quant à lui à échapper à l'agresseur en se réfugiant avec un autre membre du personnel derrière une porte vitrée où ils se barricadent. Il voit alors l'assaillant retourner auprès de l'agent qu'il a précédemment blessé et discuter avec lui, sa victime à genoux.

Puis l'attaquant semble vouloir quitter les lieux mais rebrousse chemin à l'arrivée des forces de l'ordre. Sans tirer un seul coup coup de feu, les policiers l'interpellent, couteaux aux mains, et l'immobilisent avec un taser.

Le professeur de philosophie ne découvrira "l'horreur" qu'en sortant de son abri. Son collègue "sous un drap". En tout, l'attaque n'aura duré que quelques minutes.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV