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L'opéra Garnier, le 10 octobre 2023 à Paris, dont la devanture est recouvert d'une bâche publicitaire.

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Les bâches publicitaires sont-elles devenues indispensables pour financer les rénovations de monuments?

De nombreux monuments historiques voient leur devanture recouverte d'affiches géantes à Paris. Si elle n'est pas nouvelle, cette technique de financement par la publicité est devenue récurrente et un passage quasi-obligé lors de grands chantiers de restauration.

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Opéra Garnier, palais du Louvre, église de la Madeleine... Aux quatre coins de la capitale, sur certains des monuments les plus réputés de France, touristes et riverains font parfois l'étonnante découverte de publicités géantes.

Ces derniers disent au revoir pendant quelques semaines -voire plusieurs mois- aux sculptures et lettres d'or des devantures de monuments historiques en travaux, remplacées par des bâches publicitaires de grandes marques de prêt-à-porter ou de joaillerie, mesurant plusieurs dizaines de mètres carrés.

L'église parisienne de La Madeleine avait ainsi été recouverte pour isoler le travail des artisans qui s'affairaient sur sa façade principale. Jusque très récemment, puisqu'elle a été inaugurée ce mercredi 3 avril après trois années de travaux.

Si ce procédé de financement des travaux de rénovation des lieux emblématiques de la capitale via l'argent de ces mégacampagnes de pub n'est pas nouveau à Paris, il interroge sur la place de l'État et des entreprises privées dans la rénovation des édifices historiques.

Une bâche publicitaire, installée sur l'une des devanture du Carrousel du Louvre à Paris, le 30 septembre 2023.
Une bâche publicitaire, installée sur l'une des devanture du Carrousel du Louvre à Paris, le 30 septembre 2023. © BFMTV.com

Un encadrement strict

Régies par les codes de l'environnement et du patrimoine, les rénovations des monuments historiques sont soumises à des règles strictes. Le code de l’environnement interdit toute publicité sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques.

Toutefois, le code du patrimoine permet d'y déroger lorsque les bâches sont installées sur des échafaudages extérieurs, nécessaires à la réalisation de travaux, et lorsque les recettes publicitaires sont strictement et entièrement affectées au financement des rénovations concernées.

Une méthode que dénoncent aujourd'hui certains élus, comme Émile Meunier, conseiller de Paris écologiste et président de la commission d'urbanisme et du logement, auprès de BFMTV.com.

"On ne peut plus se balader sans être enjoins à consommer. Pour ces raisons-là, je suis contre la publicité, même pour financer les monuments historiques. Pour moi, ce sont des impôts qui doivent les financer", explique l'élu.

Un "désinvestissement public au profit du privé"?

Émile Meunier prône le "mécénat réglementé" ou un réel investissement de l'État, qu'il juge actuellement insuffisant, dans la prise en charge du coût des travaux. "On a fait comment pendant 500 ans?", questionne l'élu. Selon lui, "le fond du problème" réside dans un "désinvestissement public au profit du privé".

Un avis largement rejeté par le ministère de la Culture, qui assure auprès de BFMTV.com que la présence des bâches publicitaires "est toujours temporaire et justifiée".

Une bâche publicitaire installée sur la devanture d'un bâtiment de l'avenue de l'Opéra à Paris, le 30 septembre 2023.
Une bâche publicitaire installée sur la devanture d'un bâtiment de l'avenue de l'Opéra à Paris, le 30 septembre 2023. © BFMTV.com

Selon les chiffres fournis par le ministère de la Culture, 385 millions d'euros sont destinés aux travaux des monuments historiques en France cette année, dont 24 millions pour le territoire francilien.

Un chiffre suffisant? A titre de comparaison, le coût du chantier de la façade sud du palais Garnier, s'élèvait à 7,2 millions d'euros, et a été entièrement financé par "l’affichage publicitaire sur la bâche de la façade".

Un manque à gagner important pour Paris

Les travaux des devantures historiques parisiennes sont souvent longs et parfois chirurgicaux, à un point où l'arrêt complet d'un financement par la publicité serait aujourd’hui compliqué.

"Si on arrêtait tous les contrats de publicité commerciale dans la ville de Paris, je crois que c'est un manque à gagner de 100 à 180 millions d'euros par an", confie Émile Meunier.

Le président de la commission d'urbanisme et du logement au sein de la ville de Paris le reconnaît d'ailleurs, ce "choc budgétaire" n'est pas envisageable. En tout cas, pas dans l'immédiat.

"Du temporaire qui est assez récurrent"

Au-delà du financement, les opposants pointent du doigt des dispositifs, censés être temporaires, s'installer sur de longues périodes.

"C'est la troisième fois que l'opéra Garnier a une bâche en dix ans (...). Sachant qu'elle va rester en place un an ou deux, ça fait du temporaire qui est assez récurrent et long quand même", dénonce Thomas Bourgenot, chargé de plaidoyer auprès de l'association Résistance à l'Agression Publicitaire.

Une bâche publicitaire apposée sur un immeuble parisien, le 26 septembre 2023, sur les quais de scène dans le 6e arrondissement de la capitale.
Une bâche publicitaire apposée sur un immeuble parisien, le 26 septembre 2023, sur les quais de scène dans le 6e arrondissement de la capitale. © BFMTV.com

Selon lui, les monuments historiques deviennent, par ce procédé, notamment dans la capitale, "un terrain de jeu" pour les afficheurs et un moyen pour les grandes entreprises placardées sur les devantures des monuments français de "blanchir leur image".

Il poursuit: "Si elles payaient bien leurs impôts et ne faisaient pas d'optimisation fiscale agressive, on n'aurait peut-être pas besoin de ces bâches pour rénover les monuments historiques".

De son côté, Émile Meunier souffle: "On le paie sur la beauté de notre ville".

Alixan Lavorel