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Transports

Le tunnel sous la Manche fête ses 30 ans: quels défis pour les prochaines années?

Pour Getlink son gestionnaire, l'ouverture à la concurrence dans le transport de passagers est la priorité. Mais malgré les annonces, la concrétisation des ambitions sera longue, coûteuse et complexe.

Le 6 mai 1994 était inauguré le Tunnel sous la Manche qui fête donc ce ce lundi le trentième anniversaire de sa mise en service.

Ce jour-là, une première navette ferroviaire avec à son bord la reine d’Angleterre Elisabeth II et le Président de la République française François Mitterrand, "ouvrait la voie à ce qui allait révolutionner les échanges entre la France et le Royaume-Uni", se souvient Getlink qui est concessionnaire du tunnel jusqu'en 2086 via sa filiale Eurotunnel.

Yann Leriche, directeur général de Getlink - 23/02
Yann Leriche, directeur général de Getlink - 23/02
7:43

Le Tunnel sous la Manche c'est un tunnel ferroviaire de 50,5 km de long sous la Manche, reliant Coquelles dans le Pas-de-Calais à Folkestone dans le Kent (Royaume-Uni). Le centre-ville de Paris est à 2h15 de celui de Londres.

Les trains de voyageurs sont exploités par Eurostar, une entreprise où la SNCF est actionnaire majoritaire complètement dissociée de Getlink. Eurostar est en réalité un client de Getlink.

Croisée des chemins

Le tunnel voit également passer des voitures grâce aux navettes "Shuttle" opérées par Getlink et des camions.

Il aura au final, coûté 100 milliards de francs (20,5 milliards d'euros en tenant compte de l'inflation), pour un coût initialement annoncé de 30 milliards de francs.

"Un demi-milliard de voyageurs a emprunté le Tunnel sous la Manche en trente ans. Il facilite les échanges commerciaux, et représente aujourd’hui 25% de la valeur des marchandises transitant entre l’Europe continentale et le Royaume-Uni", rappelle Getlink.

Néanmoins, le Tunnel est aujourd'hui à la croisée des chemins, notamment suite au Brexit et à la crise du covid. Au bord du gouffre à la fin des années 1990 puis en 2020/2021, le trafic s'est nettement redressé depuis mais l'objectif est de trouver de nouvelles sources de revenus.

Un objectif qui passe par plus de concurrence sous le tunnel avec l'arrivée de nouveaux acteurs. Getlink le souhaite depuis des années mais c'est un investissement dans un nouveau système d’alimentation électrique permettant une montée en puissance du trafic jusqu’à 1.000 trains par jour contre 400 aujourd'hui qui devrait accélérer les choses.

"Eurotunnel vise une nouvelle accélération avec le doublement à 10 ans des liaisons directes à grande vitesse depuis Londres via le Tunnel sous la Manche, par exemple entre Londres et Cologne, Londres et Francfort, Londres et Zurich ou Londres et Genève. Qu’il s’agisse du renforcement des services de l’exploitant actuel ou de l’arrivée de nouveaux opérateurs sur les destinations existantes ou de nouvelles dessertes", explique le groupe.

Passer de 400 à 1.000 trains par jour

Alors que le train attire aujourd'hui en masse, cette possibilité technique aiguise les appétits de nombreux acteurs. Et certains ont déjà annoncé des projets.

Evolyn, un consortium piloté par Mobico (ex-British National Express), un transporteur britannique dont la famille espagnole Cosmen est le principal actionnaire, a annoncé avoir commandé à Alstom 12 trains à grande vitesse afin de lancer d'ici à 2026 un service commercial.

Problème, Alstom dément toute commande et même tout contrat, attendant que cet acteur "soit en mesure d'assurer le financement du projet" peut-on lire dans un communiqué.

L'espagnol Renfe a également affiché des ambitions tandis que la société Heurotrain dit vouloir faire circuler des trains depuis les Pays-Bas vers Londres et Paris à partir de fin 2027 (via Anvers et Bruxelles).

Quinze trains circuleraient par jour, dans les deux sens. D’autres noms de concurrents potentiels ont également circulé, comme celui de Virgin du milliardaire Richard Branson, mais rien de concret pour le moment.

2026, 2027... constituent néanmoins des objectifs très ambitieux voires irréalistes pour les experts du ferroviaire. Entrer sur ce marché est encore plus complexe et coûteux que d'attaquer les marchés traditionnels du ferroviaire, notamment pour des nouveaux entrants.

Beaucoup d'annonces mais rien de concret

Comme tout projet ferroviaire, l'investissement est massif, notamment du côté du matériel roulant qui est long à fabriquer, le tout dans un contexte de grandes tensions du côté des constructeurs de trains.

Et fabriquer des trains n'est pas le seul problème. Il faut les homologuer. "Nous sommes sur des spécifications techniques d'interopérabilité bien particulières", nous explique un expert car la rame doit pouvoir circuler en Belgique, en France, dans le tunnel, et au Royaume-Uni, soit autant de réglementations différentes. "Il n'y a rien de disponible à court ou moyen terme", estime-t-il.

Compte tendu des coûts d'entrée sur le marché et d'exploitation (péages, électricité), il sera par ailleurs difficile pour d'éventuels concurrents de jouer la carte du prix. De quoi permettre à Eurostar de profiter encore quelques années de son monopole même si la filiale de la SNCF doit gérer ses propres difficultés.

La compagnie doit composer avec sa flotte de trains actuelle (majoritairement fournis par l'allemand Siemens) et n'a pas signé de nouvelles commandes (la dernière date de 2014). Ce qui limite un peu son potentiel pour profiter de la hausse du trafic.

Elle doit également gérer une certaine pénurie de conducteurs français à cause du niveau d'anglais désormais exigé et des compétences techniques très élevées.

Le Tunnel sous la Manche: quelques chiffres

-Coût de la construction: 20,5 milliards d'euros

-500 millions de voyageurs transportés en 30 ans

-1,2 million de camions transportés en 2023

-2,2 millions de voitures transportées en 2023

-10,7 millions de passagers Eurostar en 2023 (+29% en un an)

-400 trains par jour

-Le chiffre d’affaires consolidé du groupe pour l’exercice 2023 s’élève à 1,829 milliard d’euros.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business