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Réforme des retraites: le mouvement social fait le plein mais les tensions montent d'un cran

Des manifestants fuient les tirs de gaz lacrymogène en marge d'une manifestation contre les retraites le 23 mars 2023 à Paris

Des manifestants fuient les tirs de gaz lacrymogène en marge d'une manifestation contre les retraites le 23 mars 2023 à Paris - Charly TRIBALLEAU © 2019 AFP

De nombreux incidents ont émaillé la neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Le gouvernement les a dénoncées par l'intermédiaire de Gérald Darmanin ou Élisabeth Borne. Pour autant, le mouvement social est loin de s'amoindrir, comme l'espérait l'exécutif.

Un commissariat pris pour cible à Lorient, un tribunal caillassé à Nantes, le porche de l'hôtel de ville de Bordeaux incendié, des dégradations et saccages à Paris... Les tensions sont montées d'un cran ce jeudi à l'occasion de la 9e journée de mobilisation contre la réforme des retraites.

Il s'agissait des premières grèves et manifestations organisées à l'appel de l'intersyndicale, depuis que le gouvernement a utilisé l'article 49.3 de la Constitution, pour faire passer son projet de loi, sans vote des députés à l'Assemblée nationale. Cette décision, prise jeudi dernier par l'exécutif, a entraîné un durcissement du mouvement.

"Mettre à bas l'État"

Désormais, des rassemblements ont lieu chaque soir dans le pays, avec des scènes de violences des forces de l'ordre et des black blocks. Pour l'instant, l'exécutif continue de dénoncer les débordements, sans changer d'un iota sa position sur la réforme des retraites.

Gérald Darmanin était à la préfecture de police de Paris ce jeudi. Après les incidents dans la capitale, notamment vers l'Opéra Garnier durant la soirée, le ministre de l'Intérieur a concentré ses attaques sur "les casseurs".

"Souvent venus de l'extrême gauche", ces derniers "veulent mettre à bas l'État, tuer des policiers et s'en prendre finalement à nos institutions", a estimé le patron de la place Bauveau.

Très actif, il avait tapoté quelques signes sur Twitter dans la journée pour déplorer d'"inacceptables attaques et dégradations contre la sous-préfecture et le commissariat de Lorient". Au total, 457 personnes ont été interpellées en France et 441 policiers et gendarmes blessés, a expliqué Gérald Darmanin sur CNews ce vendredi.

"Stratégie de la chienlit"

En droite ligne de Gérald Darmanin, Élisabeth Borne a, elle, rappelé la position du gouvernement. "Manifester et faire entendre des désaccords est un droit" mais "les violences et dégradations auxquelles nous avons assisté aujourd’hui sont inacceptables". Et de rappeler, comme elle fait depuis quelques jours, sa "reconnaissance aux forces de l'ordre et de secours mobilisées."

"On pourrait penser que dans un calcul cynique, le gouvernement espère que les débordements se retourneront contre les organisations syndicales et le mouvement", analyse Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique sur BFMTV. Une "stratégie de la chienlit", en somme.

Des débordements qui ne profitent à personne

Loin d'apaiser les tensions, le président a multiplié les sorties salées, évoquant une "foule" qui "n'est pas légitime" face au "peuple qui s'exprime à travers ses élus", ou comparant les violences actuelles à l'assaut du Capitole aux États-Unis en janvier 2021. En retour, les slogans ciblant le chef de l'État sont de plus en plus nombreux dans les cortèges de manifestants.

Pour Matthieu Croissandeau, la journée de jeudi marque "une impuissance" du camp présidentiel. Alors qu'Emmanuel Macron s'est targué "d'avoir pour priorité l'ordre républicain", les policiers et gendarmes sont "incapables de gérer les casseurs", souligne -t-il.

Pour autant, ces débordements ne profitent à personne. Surtout pas aux syndicats qui ont réussi jusqu'ici à organiser des mobilisations dans le calme et peuvent s'appuyer sur le succès de ce jeudi pour la suite: entre 1,089 et 3,5 millions de manifestants ont battu le pavé en France, selon les décomptes respectifs de la police et des centrales. Une nouvelle journée de manifestations est prévue le 28 mars.

L'exécutif va devoir "trouver autre chose"

Néanmoins, Laurent Berger fait passer un message.

"Jusqu'au bout, il va falloir garder l'opinion [...] c'est notre pépite", a déclaré le patron de la CFDT ce jeudi, appelant à des "actions non-violentes qui n'handicapent pas le quotidien des citoyens".

Invité de TF1, Jean-Luc Mélenchon a regretté que "les formes d'action" violentes "invisibilisent" le mouvement pacifique. Avant de nuancer en en référence au report de l'âge légal de départ à la retraite:

"Le sujet, c'est deux ans de vie libre ou deux ans de vie contrainte par le travail qu'il faudra faire en plus. Par conséquent, il ne faut pas être surpris que les gens s'inquiètent."

Avant la journée de jeudi, l'opinion soutenait largement le mouvement social. Selon un sondage Elabe pour BFMTV publié ce mercredi 65% des Français souhaitent que la mobilisation continue et 44% même veulent qu'elle se durcisse. Les syndicats peuvent s'appuyer sur la dernière journée d'action pour la suite. De son côté, l'exécutif en a pour ses frais: la contestation est loin de s'essouffler.

"Il va falloir trouver autre chose. Le gouvernement ne pourra pas continuer très longtemps à faire comme si de rien n'était et puis surtout: plus il attend plus c'est difficile", conclut Matthieu Croissandeau.

Baptiste Farge