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TOUT COMPRENDRE - Comment le géant des cryptos FTX s'est-il retrouvé en faillite en quelques jours?

Considérée comme la deuxième plus grosse plateforme d'échanges de cryptomonnaies il y a une semaine, FTX a fait faillite en seulement quelques jours.

Avec ses compétences en trading, Samuel Bankman-Fried (SBF) a fondé la société de trading Alameda Research en 2017. L’entreprise, qui a misé sur l’achat de bitcoins aux Etats-Unis pour les revendre plus chers au Japon, gagne rapidement 20 millions de dollars. Puis en 2019, fort de son expérience dans les cryptomonnaies, SBF décide de lancer la plateforme d'échanges de cryptomonnaies FTX. Il y a une semaine encore, FTX était considérée comme la deuxième plus grosse plateforme d'échanges de cryptomonnaies, avec une valorisation de 32 milliards de dollars. Mais vendredi 11 novembre, la plateforme s'est placée sous le régime des faillites aux Etats-Unis, faisant plonger le marché des cryptomonnaies dans le rouge.

• Quels ont été les éléments déclencheurs?

Début novembre, le média spécialisé CoinDesk révèle que les 14,6 milliards de dollars d'actifs détenus par Alameda Research, la plateforme de trading de FTX, étaient principalement des ftt, le jeton lancé par FTX. Concrètement, cela veut dire que la société reposait principalement sur une cryptomonnaie, et qu’en cas de forte chute de celle-ci ou d'un sentiment de méfiance des investisseurs, Alameda Research risquait d’être insolvable. Un scénario qui peut rappeler le cas de la blockchain terra luna.

Dimanche 6 novembre, "CZ" a annoncé que sa plateforme - qui avait acquis environ 2,1 milliards de dollars américains en busd et en ftt à la suite d'une opération avec FTX - a décidé de se débarrasser de ses ftt. Quelques heures plus tard, on apprenait qu'un très gros transfert avait été effectué (plus de 20 millions de ftt, soit 530 millions de dollars). Un transfert qui a fait chuter le cours de cette cryptomonnaie FTT et a commencé à avoir un impact sur le marché des cryptos.

• Quel a été le rôle de Binance dans cette affaire?

Puis deux jours après l'annonce de Binance, FTX a cessé tout retrait possible de ses utilisateurs sur ses principaux portefeuilles, notamment sur les blockchains Ethereum, Solana et Tron. SBF a d’abord affirmé sur Twitter que "FTX allait bien", ainsi que les actifs de ses utilisateurs, avant de supprimer finalement ce tweet.

Quelques heures après, CZ a annoncé qu'il se positionnait pour racheter sa rivale, la plateforme FTX, évoquant "une importante pénurie de liquidités" sur cette plateforme. De fait, FTX a fait face à un retrait de plus de 6 milliards de dollars de cryptomonnaies sur sa plateforme en l'espace de 72 heures.

A ce moment-là, le marché des cryptomonnaie saluait la décision du patron de Binance, apparu comme un "sauveur" de l'écosystème, même si certains redoutaient qu'une telle volonté de rachat serait questionnée par le régulateur, en raison du quasi-monopole de Binance dans ce cas de figure.

Les questions autour de la volonté de rachat n'auront pas durer trop longtemps. Le lendemain, soit mercredi 9 novembre, Binance renonçait finalement à racheter la plateforme suite à un audit de FTX. C'est à ce moment-là que le marché des cryptomonnaies a plongé dans le rouge.

"Au début, notre espoir était de pouvoir aider les clients de FTX à fournir des liquidités, mais les problèmes échappent à notre contrôle ou dépassent notre capacité à aider", a indiqué Binance.

En effet, des doutes ont commencé à émerger sur des montages financiers hasardeux entre FTX et Alameda Research, avec probablement des conflits d'intérêts majeurs.

• En quoi la relation entre Alameda Research et FTX a fait chuter FTX?

Alors que les deux entités devaient rester distinctes, des liens étroits entre les deux structures commencent à être révélés par la presse.

"Alameda avait accumulé une importante 'position de marge' sur FTX, ce qui signifie essentiellement qu'elle avait emprunté des fonds à la bourse de cryptomonnaies", a indiqué Sam Bankman-Fried au New-York Times.

Pour FTX, la situation semble s'être dégradée au printemps dernier, lorsque Alameda Research a subi une série de pertes liées à des transactions durant le crypto-krach, notamment lorsque SBF se faisait passer pour un "sauveur" de l'écosystème. FTX aurait prêté jusqu’à jusqu'à 10 milliards de dollars à Alameda, alors que cette disposait de plus de 20 milliards de dollars d'actifs.

En effet, CoinDesk avait révélé que les 14,6 milliards de dollars d'actifs d'Alameda étaient principalement détenus en ftt. Suite à cette révélation, la patronne d'Alameda Research avait indiquait que la société disposait de 10 milliards de dollars d'actifs supplémentaires, pour rassurer les investisseurs. Par ailleurs, selon le Wall Street Journal, Alameda Research aurait profité d'informations internes pour acheter 18 tokens pour 60 millions de dollars juste avant leur listing sur FTX, ce qui s'apparente à un délit d'initié.

• FTX a fait faillite, quelle est la procédure en cours?

L'abandon du projet de reprise de FTX par son concurrent Binance a obligé FTX à chercher en urgence des investisseurs capables de lui apporter 8 milliards de dollars de capitaux frais. En vain jusqu'à présent. La plateforme a annoncé vendredi 11 novembre se placer sous la protection de la loi américaine sur les faillites.

"FTX Trading et approximativement 130 compagnies affiliées à FTX Group ont débuté la procédure volontaire du 'chapter 11' (de la loi sur les faillites)", afin d'"évaluer et de monétiser (leurs) actifs", a annoncé la société.

Dans le même temps, SBF a démissionné. L'objectif est de pouvoir mettre en place "une procédure de retour des investissements maximal pour les investisseurs", a affirmé John J. Ray III, qui a remplacé SBF à la tête du groupe.

Dans sa demande de procédure de sauvegarde, FTX a déclaré que ses actifs représentent entre 10 et 50 milliards de dollars, son passif se situant dans la même fourchette. Selon un nouveau judiciaire publié lundi, FTX compte plus d'un million de créanciers. En parallèle, selon Bloomberg, la fortune de SBF, au départ estimée à 16 millards de dollars, s'est évaporée en quelques jours.

Selon un document déposé jeudi 17 novembre par les avocats de FTX, SBF essayerait de destabiliser le dossier du chapitre 11, en bloquant les actifs aux Bahamas. Le document souligne notamment que "dans des messages privés postés sur Twitter, SBF a révélé son objectif de "gagner une bataille juridictionnelle contre le Delaware" pour que toute procédure se déroule aux Bahamas.

Ces révélations devraient alimenter les tensions entre les Etats-Unis et les Bahamas. En effet, FTX fait l'objet d'une enquête de la Securities Exchange Commission (la SEC, le gendarme financier américain) et du département de la Justice à New York. De même, la police des Bahamas, paradis fiscal qui abrite le siège de FTX, enquête depuis dimanche dernier sur FTX.

Dans une interview accordée au New York Times, l'ex patron de FTX n'a pas précisé où il se situait précisément pour des raisons de sécurité.

Par ailleurs, la commission des services financiers de la Chambre des représentants aux Etats-Unis tiendra une audience au mois de décembre à la suite de la faillité du géant. Elle s'attend à entendre "les entreprises et les personnes concernées, les entreprises et les personnes impliquées, y compris Sam Bankman-Fried, Alameda Research, Binance, FTX, et les entités liées".

• En quoi les déclarations du nouveau patron de FTX sont un coup de tonnerre?

Prenant ses fonctions dès le vendredi matin pour remplacer Samuel Bankman-Fried (SBF) à la suite de la faillite de FTX, John J. Ray III, a fait des déclarations fracassantes dans un nouveau document judiciaire déposé jeudi 18 novembre auprès d'un tribunal des faillites du Delaware. John J. Ray III n’est pas n’importe qui: fort de 40 ans d’expériences, l'homme a notamment dirigé différentes restructurations d’entreprises et supervisé certaines liquidations liées à des scandales financiers dont l'affaire bien connue d'Eron qui a éclaté en 2001.

"Jamais dans ma carrière je n'ai vu un échec aussi complet des mécanismes de contrôle d'une entreprise et une absence aussi flagrante d'informations financières fiables comme cela s'est produit", a déclaré ce dernier.

Par ailleurs, le document fait état des liens étroits entre Alameda Research et FTX, les deux entités fondées par SBF, qui étaient censées être distinctes. Par exemple, on apprend que la société Alameda Research a prêté 3,3 milliards de dollars à SBF, plus précisément 2,3 milliards à la société Paper Bird détenue par SBF et un prêt accordé directement à SBF de 1 milliard de dollars. De même, la "fair values" des cryptomonnaies détenues par FTX est de 659.000 dollars alors que SBF avait parlé de 5,5 milliards de dollars.

De même, le document révèle que la société ne disposait même pas d'un service de comptabilié, tout étant "externalisé". La société n'avait pas non plus une gestion centralisée de sa propre trésorerie. Par ailleurs, alors que FTX est soupçonnée d'avoir utilisé les fonds de ses clients pour venir en aide à Alameda Research au printemps dernier, les fonds des clients auraient également été utilisés par plusieurs employés pour se payer des maisons aux Bahamas.

• Les utilisateurs vont-il pouvoir un jour récupérer leurs fonds?

Les utilisateurs de FTX, en plus d'avoir leurs fonds bloqués, n'ont pas été au bout de leur surprise: le week-end après l'annonce de la faillie, un hack a eu lieu sur FTX.

La société spécialisée Elliptic a indiqué samedi que "seulement 24 heures après le dépôt de bilan (...), les portefeuilles de FTX ont été vidés de plus de 663 millions de dollars". Plus précisément, "477 millions de dollars auraient été volés, tandis que le reste aurait été transféré dans un stockage sécurisé par FTX elle-même", précise Elliptic. La plateforme met "tout en oeuvre pour sécuriser tous les actifs", après ces transactions non autorisées a indiqué sur Twitter Ryne Miller, responsable juridique de FTX.

La situation semble à ce jour bien plus complexe que lors de la faillite de Mt Gox en 2014. Après la mise sous faillite de la société et le hack de la plateforme, de plus en plus d'informations émergent sur la santé financière de FTX. Il est de plus en plus probable que les utilisateurs ne récupèrent, au bout d'un long processus, qu'une petite partie de leurs actifs. Ce dimanche, la police des Bahamas, qui abrite le siège de FTX, a indiqué enquêter sur la plateforme FTX.

"A la lumière de l'effondrement de FTX à l'échelle mondiale et de la liquidation provisoire de FTX Digital Markets Ltd, une équipe d'enquêteurs financiers de la Direction des enquêtes sur les crimes financiers travaille en étroite collaboration avec la Commission de sécurité des Bahamas pour enquêter sur toute faute criminelle", a indiqué la police des Bahamas dans un communiqué publié sur sa page Facebook.

• Quelles conséquences sur le marché des cryptomonnaies et les plateformes d'échanges?

Le manque de transparence de FTX, jusque là considérée comme l'une des plateformes les plus en vogue du marché voire la deuxième du secteur derière Binance, et en lien étroit avec les régulateurs, pourrait inciter les autorités de plusieurs pays à durcir l'encadrement des cryptomonnaies, en particulier aux Etats-Unis.

Cela "suggère, au minimum, un manque de transparence de la part de FTX et, au pire, que les fonds déposés par les clients ont été mis en jeu pour des paris que faisait FTX", explicite Bradley Duke, du fonds ETC Group.

Dans ce contexte, Binance a indiqué qu'elle allait publier ses réserves de cryptomonnaies de manière plus transparente, incitant d'autres plateformes à faire de même. Ce lundi, Binance a par ailleurs annoncé la création d'un fonds d'urgence commun pour l'écosystème des cryptomonnaies. Ce fonds pourrait aider les sociétés qui font face à une crise de liquité importante.

"Nous avons vraiment besoin de régulation, il faut que ce soit fait correctement, il faut que ce soit fait de manière stable", a déclaré Changpeng Zhao en marge du sommet du G20 à Bali.

La crise de FTX met par ailleurs en alerte de nombreuses autorités internationales, qui demandent une régulation plus rapide et scrite des cryptomonnaies.

"Les événements récents sur les marchés des crypto (...) ont mis en évidence les risques pour les investisseurs et les consommateurs associés aux nouvelles classes d'actifs et activités lorsqu'ils ne sont pas accompagnés de garde-fous solides", a déclaré lundi le vice-président de la Fed chargé de la supervision bancaire, Michael Barr.

De même, la faillite de FTX instaure un sentiment de méfiance des utilisateurs vis-à-vis des plateformes d'échanges de cryptomonnaies (ou exchanges). Certains utilisateurs cherchent notamment à retirer leurs fonds de certains exchanges, afin de les placer sur des portefeuilles "cold wallet" considérés comme plus sûrs.

A ce jour, de plus en plus de plateformes d'échanges centralisées et de sociétés (Genesis, BlockFi, Coinhouse...) se retrouvent dans la tourmente.

Pauline Armandet