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Vie numérique

Fouiller dans le téléphone de ses enfants? Ce qu’en pensent les psychologues

Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté et de la Ville affirme que les parents ont le droit de fouiller dans le téléphone de leurs enfants. Les psychologues déconseillent cette pratique, et privilégient le dialogue.

C'est une séquence qui a suscité beaucoup de réactions: mardi 23 avril, la secrétaire d'Etat chargée de la Citoyenneté et de la Ville Sabrina Agresti-Roubache a appelé sur France 2 les parents à réimposer leur autorité, afin de lutter contre la violence juvénile. "Parents, reprenez confiance en vous, l’autorité, c’est vous!", a-t-elle lancé.

"Quelque chose me frappe depuis ces dernières années, c'est de penser qu'un adolescent a une vie privée. Un adolescent est un mineur. Donc les parents ont le droit de fouiller dans le téléphone, chercher quelque chose dans la chambre s'il y a des stupéfiants par exemple", poursuit-elle.

Pour appuyer son propos, la secrétaire d’État s’est présentée comme la "maman d’une ado" et a assuré que "non seulement" elle "surveille", mais se "mêle", "protège" et "sanctionne s’il y a un problème". "Il faut protéger cette jeunesse des réseaux sociaux qui sont une arme de destruction massive", a-t-elle alerté.

Équilibre entre vie privée, et protection de l'enfant

Chez les psychologues, les déclarations de la Secrétaire d'État n'ont pas été très bien accueillies. "Les enfants ont le droit à la vie privée, c'est même une obligation", rappelle Vanessa Lalo, psychologue clinicienne, spécialiste des pratiques numériques. En effet, comme le rappelle Anne-Claire Lejeune, avocate pénaliste, "Le droit de la vie privée est consacré dans les textes internationaux, avec l'article 16 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, mais aussi dans le Code civil." L'article 9 rappelle que "chacun a le droit au respect de sa vie privée".

Peut-on fouiller dans le smartphone de son enfant?
Peut-on fouiller dans le smartphone de son enfant?
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Mais entre respect de la vie privée, et protection de l'enfant par ses parents, la frontière est fine. "C’est le rôle des parents de mettre des règles, d’empêcher que les enfants se rendent sur certains sites", reconnaît Laurent Boyet, président de l’association Les Papillons. "Mais cela doit être fait avec le consentement de l'enfant". 

Un constat partagé par Vanessa Lalo. "Fouiller un téléphone, c’est très intrusif. Aujourd'hui, il y a de plus en plus d'injonctions pour traquer ses enfants", déplore-t-elle. En effet, depuis plusieurs années, des applications permettent aux parents de surveiller leur enfant, allant de la simple protection à l’espionnage total. Certains outils offrent ainsi une géolocalisation en direct de l’enfant. Quatre parents sur dix ont déjà utilisé un logiciel d'espionnage de leur enfant, selon une enquête Ipsos diffusée début 2022 pour l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique ainsi que l'Unaf. Dans deux tiers des cas, les enfants n'étaient pas au courant.

Une pratique malsaine

Une pratique qui n'est pas sans risque. "Ce n'est pas sain pour l'enfant", tranche la psychologue. En effet, le respect de la vie privée est crucial pour le développement de l’autonomie et de la confiance chez les jeunes. "Rompre cette confiance, c'est envoyer un mauvais signal, voire détériorer la relation parent-enfant."

En effet, un contrôle intrusif peut entraîner plus de dissimulations de la part de l’enfant. Il peut par exemple créer des dossiers sécurisés ou cacher des photos. Les leviers pour contourner les interdictions sont nombreux.

"Le risque, c’est d'encourager les enfants à contrarier les parents en cachant plus d’informations", détaille Vanessa Lalo. Et les conséquences sur le développement de l'enfant peuvent être désastreuses. Isolement, manque d’estime de soi, perte de confiance, peur du dialogue avec l’autorité parentale… La liste est longue.

Privilégier le dialogue

Pour autant, rien ne sert de rester les bras croisés. "Si on soupçonne que l’enfant rencontre des problèmes ou qu’il a besoin d’un cadre, c’est envisageable", poursuit la spécialiste des pratiques numériques. En revanche, il ne faut pas le faire de manière arbitraire. "Le meilleur moyen de le protéger, c’est de dialoguer et de créer un lien de confiance avec lui." Il s'agit davantage d'un accompagnement et d'une éducation à l'écran, donc, que d'un contrôle.

"L’enfant doit se sentir en sécurité, sentir qu'il peut avoir une personne ressource vers laquelle se confier en cas de besoin", abonde Céline Tavereti, accompagnatrice parentale et présidente de l’association En devenir, sur le plateau de BFM Stories.

Vanessa Lalo conseille de discuter avec son enfant et de s'intéresser à ses usages sur internet. Ce dernier peut par exemple montrer comment il se sert de son téléphone, les influenceurs qu’il suit, éventuellement quelques messages. Le tout, avec le consentement du principal intéressé.

Si les contenus préférés de l'enfant sont peu, ou pas, qualitatifs, les parents peuvent leur conseiller certaines publications. "Il faut être force de proposition et conseiller des influenceurs à suivre, des jeux vidéos ou des publications pour orienter la consommation numérique des plus jeunes."

Salomé Ferraris