Tech&Co
Gaming

Jusant, Chants of Sennaar ou encore Stray: quand le jeu vidéo français est perçu comme un art

Le jeu vidéo français ne cesse de faire parler de lui. De Jusant à Chants of Sennaar, de Flight Simulator à A Plague Tale, de Wartales à Stray, c'est une vision de la création qui est saluée à l'international.

Le talent français n’est plus à démontrer en jeu vidéo. Certes, celui-ci avait droit à son espace lors de la dernière Paris Games Week avec un coin Made in France, mais c'était sur ses terres. Néanmoins, à l'international aussi, les studios de l’Hexagone continuent de séduire les éditeurs étrangers comme les joueurs. Leur force? Une créativité, une patte artistique et un ton souvent différent, tout comme les thématiques que les développeurs tricolores abordent.

Si Ubisoft est souvent perçu comme la figure de proue du jeu vidéo à la française, Quantic Dream comme le plus créatif et à la pointe (Detroit Become Human, Heavy Rain), et Focus Entertainment comme celui qui a du flair (A Plague Tale), la flamme vient aussi des petits studios indépendants. Disséminés aux quatre coins de la France, ils sont capables de donner naissance à des titres aussi différents par le thème ou leur gameplay que Chants of Sennaar, autour du mythe de la tour de Babel, Sifu, qui revisite le jeu de kung-fu, Tchia, sur l'identité néo-calédonienne, et, avant eux, l'étrange Dead Cells au succès international.

Au cœur de la Paris Games Week
Au cœur de la Paris Games Week
24:44

Une séduction française

Depuis quelques années, ils savent taper dans l’oeil des plus grands éditeurs. Ce fut le cas de Life is Strange signé des Franciliens de Don’t Nod sous bannière Square Enix, des Montpelliérains de BlueTwelve dont Stray, meilleur jeu indépendant aux derniers Game Awards porté par Annapurna Interactive. Ou encore Asobo qui a aussi fait beaucoup parler de lui en concevant Flight Simulator pour Microsoft.

“Ce que nous aimons beaucoup dans les jeux français et dans le travail des développeurs français, c’est qu’ils considèrent le jeu vidéo comme une forme d’art”, confie à Tech&Co Guy Richards, directeur d’ID@Xbox.

Le programme d’aide à la création de jeu de Microsoft fête discrètement ses 10 ans et compte plus d’une centaine de studios indépendants français parmi les 5.000 développeurs partenaires. "Quand nous avons commencé ID@Xbox il y a 10 ans, notre volonté était d’aider les développeurs indépendants à apporter leurs jeux dans l’écosystème Xbox et sur la Xbox One à l’époque," se souvient Guy Richards. "Une aide financière, technique et dans la communication." Et parmi tous ceux-là, les Français sont perçus par Xbox comme "de très bons partenaires très enthousiastes".

Le Xbox Game Pass, l'opération séduction de Xbox

L’un des accélérateurs du programme ID@Xbox a indéniablement été le lancement du Xbox Game Pass en 2017. "Ça a transformé notre relation avec les développeurs indépendants", reconnaît-il. Dans l’abonnement Xbox Game Pass, on trouve de nombreux jeux vidéo français indépendants. Ce fut notamment le cas de Jusant, la petite perle de Don’t Nod sortie début octobre. "Et disponible dès le premier jour dans le Game Pass", se félicite le patron d’ID@Xbox.

"Don’t Nod nous a parlé du jeu Jusant et nous avons adoré ce que nous avons vu très tôt", se souvient Guy Richards, considérant le studio comme "l’un des développeurs emblématiques de la scène française" qui sait proposer "des expériences de gameplay intelligentes" avec "des histoires basées sur l'émotion".

"Nous avons eu l'opportunité de le faire venir dans le Game Pass dès sa sortie, de dévoiler le jeu lors de notre Xbox Showcase en juin", ajoute-t-il. "Et nous avons vu les critiques fantastiques de la presse, l’accueil des joueurs lors de la Paris Games Week. C'est une expérience très enrichissante."

Tous les jeux soutenus par le programme ID@Xbox ne finissent pas nécessairement dans le Game Pass. Mais être un jeu indé pris sous l’aile Xbox et intégré au Game Pass, cela a aussi des avantages pour les studios. "C'est une preuve de confiance de Xbox quant à la qualité de nos jeux", explique Quentin Lapeyre, game director de Shiro Games dont le jeu d'action-aventure Wartales arrive dans le Game Pass après une sortie préalable sur PC et Nintendo Switch.

Jusant et son acolyte, le Ballast, doivent grimper, grimper, grimper...
Jusant et son acolyte, le Ballast, doivent grimper, grimper, grimper... © Tech&Co

Pour le studio bordelais, tout a commencé il y a des années. "On leur avait montré notre catalogue des jeux des années à venir, dont Dune: Spice Wars et Wartales qui était en early access", se souvient-il. "Ils nous ont dit ‘Banco, on signe. Ça a l’air qualitatif’". Et Xbox a eu du flair avec un jeu qui affiche 91% d’avis favorables sur Steam.

Une aide à la notoriété plus que financière

Mais pour Shiro Games, pas question de voir ça comme une aide indispensable. "Ils ne nous aident pas dans la conception du jeu. Wartales était déjà bien avancé au moment où nous avons discuté," insiste Quentin Lapeyre. "On veut que le jeu soit indépendant financièrement. On voit surtout ID@Xbox comme un accompagnement pour toucher une nouvelle audience console grand public qui ne nous aurait peut-être pas remarqués, car on n’est pas assez gros et qu’elle a moins le réflexe d’aller dénicher des petites pépites indés dans les boutiques".

De l’aveu même du studio français, c’est en ça que sont utiles le Xbox Game Pass et le programme ID@Xbox: se faire connaître. "Avec le Game Pass, ils se disent ‘tiens, je vais tenter’ et c'est la qualité du jeu qui les fait rester ou non. Notre but, c’est qu’ils se disent un jour ‘Ah, c’est le dernier Shiro Games, ça doit être bien'", s’amuse-t-il, tout en admettant qu’il y a aussi un savant calcul à faire pour savoir s’il faut mettre tous ses jeux ou pas sur le service.

Chaque développeur qui accepte de confier son jeu au Game Pass sait qu’il ne va pas forcément y gagner tout de suite financièrement. C’est un pari, car Microsoft négocie au cas par cas. Il faut alors pour chacun anticiper le revenu et le manque à gagner potentiel. Jouer au jeu par l’intermédiaire du Game Pass ne veut pas dire l’acheter pour autant par la suite, même si les abonnés ont une remise sur le prix. Si le jeu fonctionne, ajoute des DLC, ce sera alors pour le studio. Sinon, il tombera dans les abysses du catalogue, priant pour surnager face à la déferlante de jeux qui arrivent fréquemment.

ID@Xbox: 4 milliards de dollars en 10 ans pour les développeurs

"On peut dire non à Microsoft si on ne veut pas que le jeu soit sur le Game Pass", assure Quentin Lapeyre. Et Guy Richards d’acquiescer: "Rien n’oblige un jeu ID@Xbox à finir au catalogue, c’est libre à chacun et deux choses différentes." Car un éditeur peut aussi négocier son jeu avec Playstation, Steam, Nintendo et bien d’autres. "On discute avec Xbox comme on discute avec d’autres plateformes. On est agnostique", martèle le directeur créatif de Shiro Games.

Tchia
Tchia © Awaceb

"Il y a des modèles économiques très différents, avec aussi Netflix et Apple qui arrivent. Tout ce qu’on veut garder, c’est que nos jeux soient autofinancés, on les pense pour les vendre avec ou sans eux. Si on a un deal, c’est tant mieux. Mais si on ne compte que sur eux, c’est trop risqué et on a vu beaucoup trop de gens qui créaient des jeux en pensant finir sur le Game Pass pour être rentables et qui se sont écroulés."

Avec ou sans les jeux français et leur touche si particulière sur la scène vidéoludique, le programme ID@Xbox continue de modifier aussi le devenir de l’industrie. En 10 ans, Microsoft a ainsi reversé plus de 4 milliards de dollars aux développeurs, qui ont tous profité plus ou moins de la force du Game Pass. Qu’on le veuille ou non, "le Netflix du jeu vidéo" existe bien. Il a tout autant changé la donne et le rapport du joueur au jeu vidéo, que celui des développeurs aux joueurs.

Melinda Davan-Soulas