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Données personnelles

Pourquoi la lutte contre les pédocriminels est si difficile sur Whatsapp ou Telegram

Ce 22 février, six hommes ont été arrêtés pour avoir échangé des centaines de milliers de fichiers pédopornographiques sur la messagerie russe ICQ.

Un total de 120 victimes, dont (au moins) 22 victimes françaises âgées de 3 à 15 ans. C'est ce qu'ont pu constater les gendarmes, à l'origine d'un coup de filet visant des pédocriminels français sur une messagerie instantanée russe, ICQ. Six hommes ont été mis en examen et placés en détention provisoire, suite à l'échange de quelque 900.000 fichiers pédopornographiques sur cette messagerie.

Comme l'expliquent les enquêteurs à BFMTV, des échanges sur des réseaux sociaux classiques ont été découverts dans un premier temps. Ils mettaient en scène des images d'enfants, par exemple en maillot de bain. Si ces clichés ne sont pas illicites en eux-mêmes, les corps des jeunes victimes étaient sexualisés dans les commentaires.

"Rapidement, nous avons glissé vers des messageries sécurisées [...], qui n'utilisent que des pseudonymes pour identifier leurs utilisateurs. C'est sur ces messageries que les individus partagent cette fois des fichiers illicites" déclare l'adjudant Damien, à la tête de la section de recherches d'Orléans auprès de BFMTV.

Le gendarme fait référence à ICQ, une messagerie populaire dans les pays occidentaux à la fin des années 90, depuis rachetée par une entreprise russe. Si elle ne chiffre pas les messages, comme peuvent le faire Whatsapp ou iMessage, elle dispose d'une spécificité probablement déterminante aux yeux des pédocriminels: elle n'impose pas de partager son numéro de téléphone avec les autres utilisateurs, qui n'ont alors accès qu'à un pseudonyme.

Whatsapp supprime 300.000 comptes chaque mois

Pour les autorités, l'absence de chiffrement ouvre une possibilité d'accéder aux échanges de la part de l'entreprise en charge du service. A condition que cette dernière, basée en Russie dans le cas d'ICQ, accepte de coopérer. Une information qui n'a pas été confirmée par les autorités françaises.

Si une partie des pédocriminels en ligne optent pour l’utilisation de moyens techniques plus poussés - notamment par le dark web, ils sont nombreux à tirer profit des messageries instantanées chiffrées les plus populaires, comme Whatsapp. Comme le rappelait la Commission européenne en 2022, l'application appartenant à Meta supprime chaque mois quelque 300.000 comptes soupçonnés d'être liés à réseaux pédocriminels.

Vers la fin du chiffrement ?
Vers la fin du chiffrement ?
27:23

Malgré l'ampleur de ces chiffres, ils ne concernent que les comptes dont l'activité douteuse a été détectée par la plateforme. Laissant craindre que les contenus illicites réellement échangés soient bien plus importants.

En raison du caractère chiffré des données (conversations, photos, vidéos etc.), Whatsapp ne peut que travailler sur un matériau très limité: les métadonnées. Autrement dit, les horaires de connexion, le nombre de messages envoyés, l'intégration d'un utilisateur à un groupe de discussion, ou la nature des messages envoyés (texte ou photo) selon leur taille, rappelait le site spécialisé Wired.

Des contraintes identiques s'appliquent à l'application Telegram, qui dispose d'options de chiffrement, également utilisée par des réseaux de pédocriminels.

Tentative de la Commission européenne

Pour les autorités, ce chiffrement est un obstacle majeur dans le cadre de certaines enquêtes. Faute de pouvoir venir à bout techniquement de ce chiffrement, les enquêteurs doivent travailler sur le web comme ils le feraient sur le terrain: en trompant les criminels pour les amener à les intégrer à ces groupes. Une pratique qui nécessite du temps et des moyens.

En 2022, la Commission européenne a travaillé sur un projet de règlement pour imposer à toutes les messageries chiffrées de briser ce chiffrement pour analyser l'ensemble des photos et vidéos qui s'échangent entre les utilisateurs. Suscitant aussitôt une levée de boucliers de la part des autorités européennes chargées de la protection des données personnelles, et des défenseurs du secret des correspondances, acquis en France depuis la Révolution.

Pour l'heure, la tendance est plutôt à une meilleure protection des données personnelles, allant de pair avec des difficultés accrues pour les enquêteurs. Ce 20 février, l'application Signal a annoncé qu'il était désormais possible de cacher son numéro de téléphone - comme sur ICQ - en plus de profiter du chiffrement de ses conversations.

De son côté, Apple a annoncé un protocole inédit de chiffrement pour iMessage, désigné par la marque comme le plus robuste du marché des messageries. Enfin, Facebook annonçait en décembre 2023 que le chiffrement de bout en bout allait être activé dans les prochaines semaines pour le milliard d'utilisateurs de son application Messenger. Ce qui permettra notamment de rendre cette dernière compatible avec Whatsapp, sous la contrainte de cette même Commission européenne.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co