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La France Insoumise

Un an après les législatives, le mariage agité de la Nupes tient toujours

Les députés de la Nupes le 21 juin 2022

Les députés de la Nupes le 21 juin 2022 - BFMTV

Un an après le second tour des législatives, l'alliance des gauches tient toujours. Si certaines déclarations publiques donnent une image de division, en interne on assure que le groupe vit bien.

C'est un moment dont le député écologiste Benjamin Lucas parle encore avec une "grande émotion". Voilà quasiment un an jour pour jour que 150 députés de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) ont fait leur entrée à l'Assemblée nationale.

"Ce n'est pas rien parce qu'à ce moment-là, nous avons relevé le drapeau de la gauche après des années de divisions", s'enthousiasme l'élu Génération.s de l'Essonne. Partis en ordre dispersé lors de la présidentielle d'avril 2022, communistes, écologistes, socialistes et insoumis ont su se rassembler derrière une même bannière pour les législatives.

"Ne pas laisser les mains libres à Emmanuel Macron"

Entre-temps, Jean-Luc Mélenchon avait écrasé le rapport de force avec les autres candidats de gauche. Pas assez pour participer au second tour de la joute élyséenne, mais suffisant pour pousser ses adversaires d'hier à l'union derrière La France insoumise, qui a obtenu plus du double de sièges de chacun de ses partenaires.

Si le tribun n'est pas devenu Premier ministre par la suite, comme le promettait le slogan de campagne de la Nupes, la coalition a contribué à mettre en difficulté le camp présidentiel, arrivé en position de majorité relative à l'Assemblée. Benjamin Lucas s'en gargarise: "Cette entrée à 150 a permis de ne pas laisser les mains libres à Emmanuel Macron en ce début de quinquennat". Le Rassemblement national, et ses 88 députés - un score historique - y est aussi pour quelque chose.

D'ailleurs, certains, moins convaincus, préfèrent voir l'autre côté de la pièce. "Force est de constater qu'on n’a pas réussi l'objectif d'être majoritaire", dit par exemple le député communiste Yannick Monnet, estimant que "l'espace de rassemblement" actuel "doit s'agrandir davantage". Un discours à l'image du patron de sa formation, Fabien Roussel.

"On n'a pas déchiré la photo de 2022"

La preuve aussi que les débats qui étaient déjà là aux prémices de la Nupes ne se sont pas refermés. Mais, en un an, la coalition "s'est renforcée", veut croire l'insoumis Christophe Bex.

À l'occasion de cet anniversaire, il a prévu de ressortir deux photos, illustrant selon lui, la "continuité" de la Nupes. La première remonte au 21 juin 2022, soit deux jours après le second tour des législatives. Des députés des quatre chapelles de l'alliance prennent la pose devant le Palais Bourbon.

L'autre cliché, daté du 8 juin 2023, lui ressemble. La gauche est de nouveau unie sur les marches de l'Assemblée nationale. Tous font alors "le serment" d'"agir sans relâche" pour mettre fin à la réforme des retraites, qu'ils ont combattue par de nombreux moyens ces derniers mois.

"Personne ne fait la tronche, tous les responsables de groupe sont là. On n'a pas déchiré la photo de 2022, au contraire, elle s'est renforcée!", salue Christophe Bex.

Les 4 groupes votent 7 fois sur 10 la même chose

Si les deux photos donnent une impression identique, la situation n'est plus du tout la même, à entendre l'insoumis Hadrien Clouet.

"En juin 2022, ce sont des gens mutuellement inconnus qui posaient ensemble. Désormais, il y a des liens d'amitié qui se sont forgés et qui rendent notre projet encore plus crédible", estime le député de Haute-Garonne.

La bonne entente se traduit par des votes régulièrement similaires. Les socialistes, par exemple, se sont prononcés 77% du temps comme les écologistes, 72% pour les insoumis et 64% comme les communistes depuis le début de la XVIe législature, selon le site datan.fr.

"On vote ensemble 7 fois sur 10, c'est donc la preuve que [notre alliance] est efficace, mais aussi que ce n'est pas homogène, on peut avoir des nuances", relève Arthur Delaporte, porte-parole du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. Les députés de son camp ont par exemple voté favorablement le projet de loi sur l'accélération des énergies renouvelables, contrairement aux autres forces de gauche.

"Des désaccords féconds plutôt que stériles"

De la même façon, les communistes se sont prononcés pour le projet de loi sur la relance du nucléaire, à l'inverse des insoumis et des écologistes qui ont voté contre. Si le sujet a souvent alimenté les divisions à gauche, l'accord programmatique de la Nupes a permis de "faire en sorte que les désaccords soient féconds plutôt que stériles", estime la députée écologiste Sandra Regol. "Si on n'avait pas eu ce débat-là [au préalable], il y aurait peut-être eu de la tension, mais ça s'est hyper bien passé".

"C'est ça qui change les choses", confirme Arthur Delaporte.

Malgré ces divergences, "on a considéré que les gauches irréconciliables n'étaient pas la solution. On est passés des gauches fratricides aux gauches qui se respectent".

Certes, les chiffres des votes en commun ne marquent pas une différence spectaculaire par rapport à la précédente législature: dans une disposition politique totalement différente (pas de groupe écologiste, seulement 17 députés LFI contre 30 pour les socialistes), les élus du PS votaient régulièrement comme leurs homologues communistes (71%) et insoumis (65%), toujours selon le site datan.fr.

Mais, "ce qui a augmenté, c'est moins le vote que la proposition commune", souligne Hadrien Clouet.

"Avant, on se tirait les coudes, maintenant, on dépose des amendements et des propositions de loi ensemble". "Ça, c'est nouveau", souligne le parlementaire insoumis, qui confie travailler avec "5 collègues hors LFI actuellement".

Un "mariage" avec "des soubresauts"

La socialiste Christine Pirès Beaune nuance le constat de ses camarades. Ces un an du second tour des législatives? "Ce que ça m'évoque, c'est que le mariage est difficile. On ne parle pas de divorce, mais on ne peut pas parler de mariage sans soubresauts", dit la députée du Puy-de-Dôme.

"Ce n'est pas forcément de la mauvaise volonté, mais on pourrait beaucoup plus se concerter", estime-t-elle, précisant que "ces soubresauts sont davantage liés à des problèmes d’agenda que des problèmes sur le fond".

Sa métaphore rappelle que la Nupes n'a pas toujours donné une image d'unité. Barbecues, "Gauche des allocs", Adrien Quatennens, "droit à la paresse", "Nupes dépassée": de nombreuses polémiques ont agité l'alliance, depuis sa création. Le tout donnant une image en contraste avec le bon fonctionnement parlementaire d'un point de vue comptable.

Dans ces passes d'armes, Fabien Roussel est une figure centrale. Sans, pour autant, que ses partenaires ne s'en émeuvent plus que ça. "Qu’il y ait des individualités qui puissent exister en se disant je peux taper sur mes camarades c’est une loi de la politique qui a toujours existé et on ne la changera pas", désamorce le député écologiste Benjamin Lucas.

En ce sens, Sandra Regol "dissocie le travail qu'[elle] fai[t] avec [s]es collègues communistes des déclarations provocatrices" du secrétaire national du Parti communiste français. "On travaille bien, je n'ai pas du tout cette impression de quelque chose de conflictuel".

Un avenir en question

Si le communiste franchit parfois les limites pour ses détracteurs, c'est surtout autour des questions stratégiques que les tensions affleurent. En première ligne: les prochaines élections européennes, en 2024. Les insoumis poussent pour une liste commune et vont même jusqu'à mettre l'avenir de l'alliance dans la balance, quitte à surjouer les enjeux.

"L’absence d’accord, c’est la fin de la Nupes?", a demandé 20 minutes à Jean-Luc Mélenchon, récemment. Réponse du leader de LFI: "C'est possible". Pour l'instant chacun reste sur sa position. Les écologistes sont les plus catégoriques, leur patronne, Marine Tondelier, allant même jusqu'à qualifier les insoumis de "forceurs".

Comme les socialistes, ils continuent d'affirmer qu'une élection européenne menée chacun dans son couloir n'impliquerait pas la fin de l'alliance à l'Assemblée, tout autant qu'elle n'empêcherait pas de se rassembler sur les autres scrutins, comme les municipales de 2026. Un bon signe pour l'album photo de la Nupes?

Baptiste Farge et Théophile Magoria