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"Ça peut donner envie de voter Le Pen": Gérald Darmanin sous pression face à la crise de Lampedusa

Le ministre de l'Intérieur qui veut jouer la carte de la "fermeté" sur le dossier des migrants doit jongler entre les critiques de la droite et l'extrême droite, à l'approche du projet de loi immigration et à quelques mois des européennes.

Un goût d'épreuve. Gérald Darmanin, qui a rencontré ce lundi soir son homologue italien à Rome, joue très gros. À neuf mois des élections européennes et avant un projet de loi immigration qui s'annonce à haut risque à l'Assemblée nationale, le ministre de l'Intérieur n'a pas le droit à l'erreur sur Lampedusa.

"On sent que la gestion des événements va avoir un énorme coût symbolique. Il faut qu'on faut la jouer finement entre un principe de réalité et un contexte politique compliqué", résume un député Renaissance auprès de BFMTV.com.

Une crise qui arrive sur fond de bisbilles entre droite et macronie

Interrogé sur l'opportunité d'accueillir une partie des 8500 personnes arrivées sur l'île italienne entre lundi et mercredi dernier, le locataire de la place Beauvau a d'ailleurs veillé à mettre les points sur les i sur Cnews ce lundi matin.

"La France va aider l'Italie à tenir sa frontière pour empêcher les gens d'arriver", a expliqué le ministre tout en ouvrant la porte aux "demandeurs d'asile" persécutées pour des raisons politiques", à qui des papiers ne peuvent être refusés.

Comprendre: pas question de donner la moindre prise aux critiques de la droite et de l'extrême droite sur le volet migratoire, souvent vu comme le talon d'achille d'Emmanuel Macron.

Une mauvaise copie pour Darmanin?

D'autant moins dans le contexte d'un projet de loi sur la politique migratoire de la France qui ne convient pas à la droite, dont a pourtant désespérément besoin la majorité en l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale. Impossible également de se passer des voix du Sénat à majorité LR qui va être le premier à s'emparer de ce texte à l'automne.

"On des milliers de personnes qui sont arrivées à Lampedusa et on nous dit que la copie du ministre qui ne souhaite pas rendre plus difficile l'accès à notre pays est la bonne?", feint de s'interroger le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse.

"Si rien ne change, on ne le comprendrait pas"

À droite, on espère tout haut que la situation qui secoue l'Italie et relance l'épineuse question de la répartition des demandes d'asile change la donne politique. Pour l'instant, aucune des propositions avancées par les ténors du mouvement n'ont suscité l'intérêt du gouvernement, à l'instar d'un référendum sur les questions migratoires.

"C'est sûr que si rien ne change dans les propositions du ministre après cette catastrophe, on ne le comprendrait pas", a expliqué le patron de la commission des lois du Sénat sur CNews ce lundi.

Officiellement, pas question de changer de pied pour les proches du ministre qui continuent de croire que la situation à Lampedusa ne remet pas en cause l'équilibre du texte.

"On ne touche pas" au projet de loi immigration

Pour l'instant, le projet de loi vise donc toujours à durcir les conditions d'application des obligations de quitter le territoire français (OQTF) tout en créant un titre de séjour métiers en tensions pour les travailleurs sans papiers dans des secteurs qui peinent à recruter.

"Si on change de posture en enlevant le titre de séjour totalement des débats, en ne le mettant même pas dans une circulaire, on aura perdu notre pari. Donc on n'y touche pas", résume un cadre macroniste.

Pas question non plus de donner raison au "y'a qu'à, faut qu'on", dixit la députée Marie Guévenoux.

"On voit bien que les déclarations d'intentions de certains ne suffisent pas. C'est ce qu'a fait Giorgia Meloni pour gagner et regardez ce que ça donne. Nous, on revendique l'équilibre", tance cette élue, proche de Gérald Darmanin.

Bardella et Maréchal en embuscade

Élue à la tête de l'Italie sur la promesse d'un "blocus naval" pour empêcher les migrants venant de Libye d'arriver en Italie, la présidente du Conseil qui représente la formation post-fasciste Fratelli d'Italia, est d'ailleurs rattrapée par la réalité.

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Tout un symbole à neuf mois des élections européennes, qui devrait notamment mettre sur la table la question des politiques migratoires, loin du probable positionnement de Renaissance.

Parmi ceux qui devraient s'arrimer à cette thématique: Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national et Marion Maréchal, qui représentera Reconquête, et qui se revendique proche de Giorgia Meloni, en dépit d'un bilan peu flatteur.

Meloni "nous rend encore plus crédible"

Plus de 42.000 personnes sont arrivées par la Méditerranée sur le territoire italien entre janvier et avril 2023, contre environ 11.000 sur toute l'année 2022, selon Rome. À ces chiffres, s'ajoutent désormais les 8500 migrants arrivés à Lampedusa la semaine dernière, soit l'équivalent de l'ensemble de la population de cette petite île de 20 km².

"C'est bon pour Gérald Darmanin. Ça montre que les solutions faciles, ça n'existe pas, même quand on s'appelle Jordan Bardella ou Marine Le Pen. Ça nous rend encore plus crédible", veut croire un familier des allées du pouvoir.

"Tout faire pour que Lampedusa ne devienne pas un échec collectif"

Giorgia Meloni avait déjà changé de stratégie l'hiver dernier et lancé la création de centaines de places d'accueil de migrants, très loin de ses promesses de campagne.

"Ça peut donner aussi envie de voter Le Pen au niveau européen parce que ça montre aussi que ce n'est un pays tout seul qui peut agir", nuance cependant un député macroniste.

"On doit tout faire pour que Lampedusa ne devienne pas un échec collectif, donc tendre la main tout en étant ferme et ne pas nourrir une histoire qui nous suit pendant des mois jusqu'aux européennes", décrypte encore un ex-collaborateur du ministre de l'Intérieur.

Le cauchemar de l'Ocean viking

Dans les rangs de l'exécutif, certains ont gardé un mauvais souvenir de l'Ocean viking en novembre dernier. Gérald Darmanin avait alors eu des mots très durs contre la Première ministre italienne qui avait refusé d'accueillir ce bateau avec à son bord 230 migrants. La France avait fini par ouvrir son port de Toulon, au grand dam du Rassemblement national qui avait accablé le ministre de critiques.

Le dirigeant avait alors serré les dents. La suite de l'affaire n'avait guère été plus facile à gérer pour lui, entre fugues de certains mineurs, régularisation de migrants et difficultés administratives.

"Il n'avait pas le choix, l'accueil de l'Ocean viking était une demande du président et la gestion des migrants ensuite dépendait de la justice ou des départements", analyse un bon connaisseur du dossier.

Darmanin "pas tort" de se payer Meloni

Quelques mois plus tard, le patron de la place Beauvau avait rendu la monnaie de sa pièce à Rome. L'ex-maire de Tourcoing avait tancé sur RMC Giorgia Meloni, l'accusant d'être "incapable de régler les problèmes migratoires sur lesquels elle a été élue", ouvrant une crise diplomatique. La pression était finalement retombée après la visite de l'Italienne à l'Élysée en juin dernier.

"À l'époque, tout ça ne faisait pas bon effet mais avec le recul, il n'avait pas tort. Il a marqué des points de façon subliminale", analyse un député LR. De quoi espérer arriver en position de force à Rome pour le ministre et éviter un scénario politique loin d'être à son avantage.

Marie-Pierre Bourgeois