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Police-Justice

Procès du "violeur de Tinder": la défense inaudible de Salim Berrada face à ses accusatrices

Au huitième jour de son procès, Salim Berrada a eu une dernière occasion de s'expliquer sur les 17 plaintes déposées contre lui pour viols et agressions sexuelles.

C'était la dernière occasion pour lui de s'expliquer. Après dix-sept interrogatoires, menés pour chaque plainte déposée, Salim Berrada a été entendu une dernière fois, ce mercredi 27 mars, au huitième jour de son procès. Mais comme depuis sa mise en examen, le 13 octobre 2016, sa version n'a pas bougé d'un iota: "Je n'ai jamais drogué personne. Je n'ai jamais eu de mode opératoire pour violer personne. Qu'on le comprenne", a-t-il inlassablement répété derrière la porte vitrée de son box.

Pourtant, c'est pour treize viols et quatre agressions sexuelles, commis entre 2014 et 2016 que le photographe de 38 ans est jugé depuis deux semaines devant la cour criminelle de Paris.

Tout au long du procès, ces 17 femmes ont livré, à quelques détails près, des récits quasiment identiques. Toutes décrivent ce fameux mode opératoire, très bien rodé, qui débute par une prise de contacts sur une application de rencontre ou sur un réseau social, une séance photo, payante ou offerte, dans son studio du 20e arrondissement de Paris, un ou plusieurs verres d’alcool consommés, une suspicion de soumission chimique et un rapport sexuel non consenti, souvent d’une très grande violence.

"Je veux réellement comprendre"

"Je ne sais pas si on vous a vu évoluer au cours de l'audience", débute le président avant d'entamer l'interrogatoire récapitulatif de l'accusé. "Vous avez été entendu à 17 reprises. Est-ce que vous avez appris quelque chose à cette audience?", lui demande-t-il.

"J'apprends des choses et mon cheminement continue a avoir lieu", assure Salim Berrada. "J'ai écouté avec attention chaque témoignage. Pour comprendre, car je veux réellement comprendre, saisir pleinement ce qu'elles disent avoir subi, ce qu'elles prétendent avoir enduré ", poursuit l'accusé. "Qu’est-ce que vous voulez comprendre? Leur attitude à elles ou votre personnalité à vous?", enchaîne le président. "Les deux", répond-t-il immédiatement.

"Je cherche à comprendre ce qui m'a amené à me retrouver devant vous, à répondre de 17 accusations, alors que rien dans ma vie ne pouvait laisser le présager", poursuit Salim Berrada.

Une volonté de "compréhension" qui a sonné, l'espace de quelques secondes, comme une prise de conscience. Mais très vite, l'accusé reprend sa ligne de défense: "Il y a des personnes ici dont je suis convaincu du mal-être, de leur croyance que je suis un violeur, que je les ai drogué. D'autres mentent, je le sais, j'en suis persuadé. Mais elles pensent réellement dire la vérité et servir une cause qui est noble et que ça vaut la peine de mentir", explique Salim Berrada.

"Il y a des personnes qui ont couché avec moi pour faire bonne figure alors qu'elles n'en avaient pas réellement envie. Il y en a qui a qui ont couché avec moi pour avoir leurs photos et quand elles n'ont pas eu les photos, elles disent avoir subi un abus", donne-t-il comme explication.

"Vous estimez avoir eu un comportement immoral plus qu'illégal, c'est ça?", l'interroge le président. "Plus qu'immoral. Abject. Par exemple Charline*, j'ai couché avec elle alors qu'elle était très jeune. Elle m'admirait. Et je l'ai jetée dehors comme un malpropre", estime l'accusé.

"J'ai l'impression qu'on parle de quelqu'un d'autre"

D'ailleurs, pour Salim Berrada, le procès "s’est concentré sur des choses qui (lui) paraissent loin de la réalité". "Quand je lis la presse, j'ai l'impression qu'on parle de quelqu'un d'autre : un être machiavélique, un monstre. Tout ça est loin de la réalité. J’étais un homme parfaitement égoïste, qui n’a pensé qu’à lui-même", poursuit-il. "Pourtant, votre façon de procéder est quasiment identique pour les unes et les autres", lui rappelle le président.

Mais Salim Berrada a réponse à tout. Il faut dire que son comportement détonne. L'accusé connaît son dossier sur le bout des doigts. Depuis le début du procès, il écoute attentivement les témoignages, ne rate pas une miette des débats, prend des notes frénétiquement, intervient pour rectifier des dates, ou des faits.

Les rencontres se déroulent toujours dans son studio du 20e arrondissement ? "C’était juste par facilité, on faisait les photos chez moi, c'est devenu une habitude". Les traces de drogue ou d'antihistaminiques retrouvés dans les cheveux de la moitié des plaignantes ? "Les effets ne sont pas complètement les mêmes entre la drogue et les antihistaminiques. D'ailleurs les quantités retrouvées chez les plaignantes ne sont pas les mêmes", répond Salim Berrada, rappelant que c'est une molécule que l'on retrouve dans des médicaments comme le Fervex ou le Dolirhume, en vente libre. L'accusé connaît son dossier à tel point qu'il est capable de citer quelle molécule a été retrouvée chez qui et dans quelle quantité.

Sur les viols et les agressions sexuelles que les plaignantes dénoncent ? "C’est possible de ne pas se rappeler, parce qu’on a bu, on peut se poser légitimement la question, mais ce qu'elles dénoncent ne s'est pas passé", martèle l'accusé.

"Est-ce que vous reconnaissez des relations sexuelles non consenties ?", lui demande une dernière fois l'avocat général. "Non, je ne le reconnais pas", martèle Salim Berrada.

"Le sexe est un outil pour parvenir à ses fins"

Pourtant, les experts, eux, ont une tout autre lecture. Ce mercredi, deux psychiatres et une psychologue se sont succédés à la barre pour livrer les résultats de leurs expertises. Et les trois médecins donnent une lecture assez similaire de l'accusé. Tous décrivent une personnalité "narcissique", "autocentrée", dotée d'une "perversité", mais surtout "peu empathique" et "manipulateur".

"Lui-même reconnaît que dans le cadre de relations sentimentales et sexuelles, il peut être manipulateur, rechercher l'emprise sur l'autre et réussir par le jeu de son charme et de sa sociabilité. Obtenir in fine le consentement de l'autre pour assouvir ses besoins personnels", relate David Touitou, expert psychiatre qui l'a rencontré en 2017.

"Il explique qu'il n'a pas hésité à les manipuler pour les rencontrer, qu’il faisait tout ce qu’il jugeait utile pour arriver au consentement de ces jeunes femmes, qu’il a manœuvré", décrit de son côté Elisabeth Cedile, psychologue, qui l'a expertisé en 2016.

Car selon les trois spécialistes, Salim Berrada n'a pas d'addiction à la sexualité, mais plutôt au "chemin" mis en place pour assouvir ses besoins. "Son addiction ne repose pas sur la sexualité en elle-même, mais sur la stratégie pour arriver à ses fins", explique Elisabeth Cedile. "Le sexe est un outil pour obtenir ce qu'il veut, c'est-à-dire posséder pour rejeter ensuite", ajoute-t-elle. "Tout est bon pour lui pour obtenir un consentement -superficiel-, coûte que coûte", ajoute David Touitou.

Pour le docteur Vincent Mahe, expert psychiatre, Salim Berrada est dans "une forme de donjuanisme". Il a chez lui une sorte de "collectionnisme, une séduction tous azimuts". "Est-ce qu’on n’est pas plutôt dans de la prédation que dans la séduction?", demande l’avocat général aux trois experts.

"Il y a la séduction classique et il y a la séduction telle que Salim Berrada se la représente. Pour lui, c’est réussir à obtenir ce que l’on veut", explique Vincent Mahe.

Et la soumission chimique? C'est aussi une façon de ne pas se voir réellement comme violeur, estime Elisabeth Cedile: "ça nettoie cette image, ça lui permet de rester dans une autopersuasion qu’il ne franchit pas la limite avec ces femmes".

Salim Berrada pourrait-il récidiver? Pour le docteur Vincent Mahe, le risque est "très important". "Ce qui est inquiétant, c’est le nombre de victimes et la récidive alors qu'il était sous contrôle judiciaire", explique-t-il. Le photographe encourt jusqu'à vingt ans de réclusion criminelle. Le verdict est attendu vendredi 29 mars.

*Le prénom a été changé.

Manon Aublanc