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Police-Justice

Le "violeur de Tinder" de retour sur les applications... Quelles responsabilités pour les plateformes ?

Pourtant accusé de viols et d'agressions sexuelles par 17 femmes, Salim B., surnommé "le violeur de Tinder", continue de se créer des faux profils sur les applications de rencontre.

Quand "Samuel" arrive chez elle, ce soir de mars 2023, Rania* ne sait pas que l'homme, avec qui elle a "matché" sur Tinder, est visé par des accusations de viols et d'agressions par 17 femmes, rencontrées sur des applications de dating entre 2014 et 2016. Salim B., sous contrôle judiciaire, a pourtant réussi à se réinscrire sur la plateforme à plusieurs reprises, malgré les nombreux signalements contre lui. Car après deux ans de détention provisoire, celui que l'on surnomme "le violeur de Tinder" a été remis en liberté en novembre 2019.

Ce soir-là, "Samuel" et Rania se retrouvent chez la quarantenaire et partagent une bouteille de vin, ramené l'homme de 37 ans. Mais quelques minutes plus tard, elle commence à se sentir mal. À partir de ce moment, Rania n'a que "des bribes" de souvenirs. Elle se souvient de cet homme "nu", de son "insistance" pour avoir des relations sexuelles et du "souvenir glaçant de le voir au-dessus d'elle, la pénétrant", raconte-t-elle aux enquêteurs.

Puis, c'est le trou noir. À son réveil, prise d'un doute, elle fouille le téléphone de "Samuel". "À ce moment-là, elle remarque qu'il n'y a qu'une seule et unique application installée, Tinder, et des centaines de captures d'écran de profil de femmes trouvés sur l'application", explique son avocat, Me Philippe-Henry Honegger à BFMTV.com.

Les applis de rencontres comme modus operanti

Sentant que quelque chose cloche, elle contacte Tinder le lendemain et dénonce le faux profil de "Samuel". Après quelques recherches, c'est à travers des articles de presse qu'elle apprend qui est réellement l'homme avec qui elle a passé la soirée. Mais surtout, elle comprend que le modus operandi de Salim B. est le même avec toutes les femmes.

Selon les différents récits des plaignantes, l'homme, qui se présente souvent comme un photographe, contacte des femmes via des applications de rencontre - Tinder, Bumble, Feeld ou Fruitz - et leur propose un rendez-vous ou un shooting photo gratuit, avant de les violer ou de les agresser sexuellement. Et certaines d'entre elles, dont Rania, suspectent avoir été droguées au cours du rendez-vous.

Depuis, cette quarantenaire éprouve une grande colère contre le système judiciaire, mais également contre l'application de rencontre. Si elle a déposé plainte pour viol aggravé mi-juin, Rania et son avocat envisagent d'attaquer aussi Tinder pour mise en danger de la vie d'autrui.

"Il continue d'avoir des comptes sur Tinder alors qu'il est mis en cause pour 17 faits de viols et d'agression sexuelle qu'il a commis par le biais de cette application", déplore l'avocat.

Si Me Philippe-Henry Honegger veut bien reconnaître que l'application "n'est pas responsable à proprement parler de ces viols", il estime que "quand les faits sont répétés à ce point-là, la plateforme a un devoir vis-à-vis du client". "Prenez une jeune femme s'était fait violer après avoir rencontré un homme dans un bar. Le bar n'est pas responsable du viol. Mais si l'homme revient dans le bar et recommence à chaque fois avec des filles différentes et que les gérants sont au courant, ils doivent l'empêcher de revenir et prévenir les jeunes femmes", illustre l'avocat.

Faux profils en cascade

Le problème, c'est que cet homme n'a jamais vraiment quitté ces applications et continue de se créer des faux profils, selon Mathilde, qui a publié une vidéo sur son compte Instagram pour alerter les utilisatrices. "Faites très attention à vous, le violeur de Tinder est de retour sur les réseaux sociaux. Il se fait appeler Samuel sur Tinder, mais on l'a aussi déjà vu sur Bumble ou sur Fruitz", explique la jeune femme, qui signale à chaque fois ces comptes à Tinder.

"Dès que son profil est supprimé, il en refait un autre, sous un autre nom, et il recommence le même schéma à chaque fois", déplore Mathilde auprès de BFMTV.

Et cette Marseillaise d'une trentaine d'années n'est pas la seule à traquer les profils de Salim B. sur les sites de rencontre. Que ce soit sur Instagram ou sur Twitter, d'autres jeunes femmes en ont aussi fait leur cheval de bataille, publiant des dizaines et des dizaines de captures d'écran de faux profils, qu'elles attribuent à Salim B., sous les noms de Samuel, Amir, Sami, Adam, Raph ou encore Lyam.

Pour autant, Mathilde estime que les plateformes font le maximum. "Plusieurs applications, dont Tinder et Fruitz, m'ont contacté pour me demander de leur communiquer les faux comptes de Salim B. que j'avais repérés. A chaque fois, elles les ont immédiatement supprimées", raconte-t-elle. Contacté par BFMTV.com, Tinder confirme être au courant de la situation, expliquant "qu'à chaque signalement, cet utilisateur a été banni de la plateforme", explique un porte-parole.

"Nous travaillons continuellement à l'amélioration de nos systèmes afin d'empêcher des individus aux comportements inappropriés d'accéder à notre plateforme", ajoute Tinder.

Pour éviter la création de faux profils, Tinder "utilise une combinaison d'outils automatisés et de modération humaine", poursuit le porte-parole. Parmi ces mesures, la vérification photo, qui compare les clichés publiés sur son profil avec ceux présents sur l'application, mais également la vérification par “selfie photo" et "selfie vidéo", qui permet de prouver leur identité et l’authenticité d'un profil. Le site de rencontre travaille aussi à une vérification d'identité par le biais d'un document officiel, qui devrait arriver "dans les trimestres à venir", ajoute ce porte-parole. 

Les algorithmes sous-utilisés

Mais ces mesures n'ont visiblement pas empêché Salim B. de se recréer plusieurs profils. Selon Me Philippe-Henry Honegger, Salim B. s'est réinscrit "à plusieurs reprises, parfois sous la même fausse identité, utilisant à chaque fois les mêmes photos, qui sont des photos volées".

Et selon lui, Tinder sait parfaitement que ce sont des photos volées. "Ils ont les moyens de les repérer avec des algorithmes qu'ils possèdent déjà. Mais ils ne les utilisent pas pour ces photos en question", regrette l'avocat. Pour lui, il s'agit d'un "manquement", car "on est dans la mise en danger de la vie d'autrui".

"C'est ce manquement qui met les femmes en danger", estime Me Philippe-Henry Honegger.

Tinder - et les autres plateformes - risque-t-il vraiment quelque chose en cas de plainte pour "mise en danger de la vie d'autrui" ? "La responsabilité d'une plateforme peut être engagée si la justice considère qu'elle est coautrice ou complice de la réalisation d'un délit ou d'un crime", explique à BFMTV Me Merav Griguer, avocate spécialiste des réseaux sociaux et de la protection des données.

Pour ça, il faudrait établir que l'application "met à disposition des potentiels violeurs des outils ou des moyens leur permettant de commettre ces faits", estime Me Griguer.

"Mais c'est difficile à démontrer, ce n'est pas l'objectif d'une plateforme de rencontre. En revanche, ces applications ne peuvent pas ignorer les risques inhérents à leurs outils", estime Me Griguer.

Mais "là où la responsabilité des plateformes pourrait être engagée, c'est si elles n'utilisent pas des outils et des technologies de pointe existantes, notamment en matière de reconnaissance faciale", poursuit l'avocate, confirmant les propos de son confrère.

"Ces plateformes savent recourir à des technologies de pointe pour développer leur modèle. Elles doivent également le faire pour assurer la protection de leurs utilisateurs et gagner leur confiance", plaide Me Merav Griguer.

En attendant le procès de Salim B., et des mesures supplémentaires des plateformes, Mathilde et d'autres utilisatrices continuent leur veille, avec une démarche claire: "Si on ne se protège pas entre nous, qui va nous protéger?".

* Le prénom a été modifié.

Manon Aublanc