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"L'UE et la Russie n'ont pas intérêt à une partition de l'Ukraine"

Une photo du président déchu Viktor Ianoukovitch transpercée de fléchettes, sur la place Maïdan, à Kiev, le 25 février.

Une photo du président déchu Viktor Ianoukovitch transpercée de fléchettes, sur la place Maïdan, à Kiev, le 25 février. - -

La formation du gouvernement de transition reste attendue en Ukraine, où l'on craint une partition du pays liée aux divergences d'opinion, d'intérêts et de culture de la population, qui ne profiterait à aucun des acteurs de ce dossier.

Où va l'Ukraine? Trois jours après la destitution du président Viktor Ianoukovitch, toujours introuvable, l'Ukraine n'a pas encore de gouvernement de transition. Initialement annoncée pour mardi, sa formation a en effet été repoussée à jeudi. Les consultations se poursuivent donc jour et nuit pour cette première étape avant l'élection présidentielle anticipée, fixée au 25 mai prochain.

Dans l'attente, les craintes d'une partition du pays apparaissent, tant l'écart se creuse entre pro-Union européenne et pro-russes, ukrainophones et russophones, anti et pro-Ianoukovitch. Y a-t-il vraiment un risque de scission? Qui peut désormais incarner le pouvoir et rassembler la population? Quels sont les rôles de Bruxelles et Moscou? BFMTV.com a interrogé Isabelle Facon, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique.

Alors que l'opinion ukrainienne est divisée entre pro-UE et pro-russes, y a-t-il un réel risque de scission du pays?

Ce qui est sûr, c'est qu'il y a un risque de tensions puisque le mouvement est plutôt mené par des pro-européens. Tout dépendra de la suite des mesures qui seront prises. Il y a beaucoup de scénarios possibles.

Par exemple, des mesures comme celle qui revient sur le statut du russe comme deuxième langue officielle, prise dimanche par la Rada, peuvent donner l'impression que les nouveaux dirigeants désignent des coupables de l'intérieur. Ce n'était pas forcément la meilleure chose à faire, ou en tout cas, pas aussi tôt dans le processus, tant les équilibres sont encore très fluides. De même qu'un retour sur certains accords passés avec la Russie, pourrait faire que Moscou décide d'appuyer les aspirations autonomistes qui existent en Crimée. Mais pour l'instant, la Russie n'a pas intérêt à voir le pays se diviser. En revanche, elle appuie, depuis quelques jours, sur l'idée qu'une telle partition pourrait se produire.

Entre le retour de Ioulia Timochenko et les figures de l'opposition qui ont émergé pendant la mobilisation sur Maïdan, qui peut désormais incarner le pouvoir?

Ioulia Timochenko a assuré qu'elle n'était pas intéressée par le poste de Premier ministre, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne briguera pas la présidence. Toutefois, elle ne fait pas l'unanimité et n'incarne pas le renouveau. Les nationalistes, qui veulent marquer les distances avec Moscou, estiment qu'elle n'est pas à même de tenir tête à la Russie. Donc pour des raisons internes et externes, elle n'apparaît pas comme la meilleure candidate.

On peut supposer que l'actuel président par intérim et ancien chef des services secrets, Olexandre Tourtchinov, sera parmi les candidats. Il est membre du parti de Timochenko et a déjà été au pouvoir quand elle était Premier ministre. Arseni Iatseniouk, une des autres incarnations de Maïdan, pourrait également en être. Concernant l'ancien champion de boxe Vitali Klitschko, certains trouvent qu'il n'est pas crédible, d'autres si. Tout cela va dépendre de ce que le nouveau gouvernement va traduire des rapports de force réels entre les différentes composantes. Maintenant que l'objectif de chasser Ianoukovitch est atteint, des divisions peuvent apparaître.

La vie politique ukrainienne de ces dernières années nous a habitués à des bagarres, des difficultés à consolider les forces politiques dans des partis dignes de ce nom. Ce trait caractéristique ne peut pas avoir disparu du jour au lendemain.

Toujours en fuite et introuvable, le président déchu Viktor Ianoukovitch peut-il malgré tout revenir?

Cela parait extrêmement difficile. L'armée, dans son ensemble, a décidé qu'elle ne se mêlerait pas de cette affaire. De son côté, la police semble être revenue à des positions plus classiques d'allégeance au pouvoir par interim. Le principal soutien d'un éventuel retour de Viktor Ianoukovitch au pouvoir serait une décision russe d'intervenir pour imposer son retour, mais Moscou ne semble pas dans cette logique.

Ces derniers temps, Vladimir Poutine donnait l'impression de prendre ses distances avec le président ukrainien destitué. De toute façon, Ianoukovitch a déçu les Russes depuis qu'il est au pouvoir, aussi bien du point de vue des relations russo-ukrainiennes et de leurs objectifs, que pour son manque de fermeté face aux manifestants depuis le début de la crise.

Vladimir Poutine reste très silencieux depuis la récente accélération des événements en Ukraine. Pourquoi?

En raison des Jeux olympiques de Sotchi. Mais de façon générale, il n'y a pas de stratégie russe très claire pour le moment. Les Russes naviguent à vue, comme tout le monde dans ce dossier. Ils attendent de voir les équilibres sur place. L'idée que Ioulia Timochenko puisse reprendre du poil de la bête dans la vie politique intérieure ne semble pas leur déplaire, puisqu'ils arrivaient à travailler avec elle lorsqu'elle était Premier ministre.

Vladimir Poutine essaie, de toute évidence, de voir qui des différentes forces en présence dans ce partage du pouvoir peut l'emporter. Il n'a pas intérêt de se précipiter pour se prononcer, tant que ce gouvernement n'est pas en place.

L'Ukraine est-elle devenue un enjeu dans les relations entre l'Union européenne et la Russie?

Elle l'était déjà, bien que le cadre initial, lié à l'abandon provisoire de l'accord d'association avec l'Union européenne, ait été largement dépassé depuis, et elle l'est toujours. Il est certain que la crise ukrainienne a renforcé la mauvaise ambiance qui existait déjà entre les Occidentaux et la Russie. Aujourd'hui, le rapport de force demeure assez déséquilibré en défaveur de l'UE, qui a attendu des événements dramatiques avant de se mobiliser comme force de médiation. De son côté, la Russie garde beaucoup de cartes dans le jeu ukrainien, même si ses dirigeants n'ont pas compris toute la crise, ce qui fait qu'elle se retrouve dans une situation qu'elle n'avait pas anticipé.

Côté diplomatie, beaucoup de hauts responsables européens ont souligné que des passerelles devaient être maintenues entre l'UE et la Russie pour régler le cas ukrainien. Mais la Russie présente les choses comme étant le fruit d'une rivalité politique, ce qui n'arrange pas les choses.

Par ailleurs, la Russie est capable de jouer la nuisance quand ses intérêts sont en question et dispose de moyens de pression, par le gaz, l'aide financière, les coopérations importantes avec des entreprises dans l'Est du pays. L'UE, au-delà de sa mobilisation tout à fait louable au plus fort de la crise, n'a pas de vraie stratégie sur le voisinage et connait moins les réalités du terrain. Mais malgré leurs différences de position, la Russie et l'UE n'ont, ni l'une ni l'autre, intérêt à une destabilisation et une partition de l'Ukraine.

L'Ukraine est au bord de la faillite. Dans une telle situation d'incertitude politique, qui peut l'aider financièrement?

Poutine n'a pas exclu de continuer à verser l'aide russe telle qu'elle était promise, en fonction de la nature du gouvernement. Même si l'Europe fera sûrement un effort financier, il serait bienvenu, pour l'aspect politique des choses, que la Russie soit partie prenante. Cependant, la balle est aussi dans le camp des autorités ukrainiennes par interim qui doivent envoyer à la Russie un message qui ne soit pas trop hostile.

Propos recueillis par Adrienne Sigel