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Une manifestant tient une pancarte à l'effigie du président russe Vladimir Poutine lors d'une manifestation contre l'invasion militaire de la Russie en Ukraine, à Belgrade, le 6 mars 2022, 11 jours après l'invasion militaire de l'Ukraine par la Russie.

ANDREJ ISAKOVIC / AFP

Présidentielle en Russie: comment l'opposition à Poutine compte malgré tout faire entendre sa voix

Aller voter dimanche 17 mars à midi, s'habiller aux couleurs du drapeau anti-guerre, inscrire le nom de Navalny sur les bulletins de vote... Des opposants à Vladimir Poutine nous expliquent les initiatives prévues pour protester contre la réélection annoncée du maître du Kremlin.

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Si le Kremlin tente d'étouffer leurs voix, eux persistent à vouloir se faire entendre. À l'approche de l'élection présidentielle en Russie qui débute ce vendredi 15 mars, et se termine dimanche 17 mars, les intimidations envers l'opposition dite "hors système" se sont multipliées.

Leonid Volkov, un opposant russe en exil, a été victime mardi d'une agression à l'extérieur de son domicile en Lituanie. Quelques jours avant, l'ancien champion d'échecs Garry Kasparov, installé aux États-Unis, a été placé par le Kremlin sur la liste des "terroristes et extrémistes". Sans parler de la mort d'Alexeï Navalny, "l'ennemi public numéro un" du Kremlin et figure de l'opposition, le 16 février dernier, dans une colonie pénitentiaire de haute sécurité.

Vladimir Poutine "peut utiliser la répression pour donner l'impression que tout le monde le soutient, mais ce n'est pas la réalité, et la réalité viendra à un moment donné et le frappera", soutient Maxim Katz, un homme politique russe en exil classé "agent de l'étranger" par le Kremlin et désormais Youtubeur, auprès de BFMTV.com.

Présidentielle russe: du sur-mesure pour Poutine
Présidentielle russe: du sur-mesure pour Poutine
22:35

"Midi contre Poutine"

Aucun membre de l'opposition n'apparaîtra sur les bulletins de vote ce vendredi. L’indépendant Boris Nadejdine a été évincé début février par la commission électorale centrale, tout comme l'ancienne élue municipale pacifiste Ekaterina Dountsova, fin décembre.

Résultat, seuls trois candidats, fidèles au Kremlin, ont été autorisés à participer au scrutin: le nationaliste Leonid Slutsk, le communiste Nikolai Kharitonov et l'homme d'affaires Vladislav Davankov. Pas de quoi faire de l'ombre à Vladimir Poutine qui sera, sans aucun doute, largement réélu pour un nouveau mandat de six ans lors de cette élection qualifiée de "mascarade" par la veuve d'Alexeï Navalny, Ioulia Navalnaïa.

"Il y aura probablement entre 80 et 85% de vote pour Poutine", prévoit Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe à Moscou et chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques, contacté par BFMTV.com.

Malgré cela, l'opposition "hors système" ne baisse pas les bras et appelle à la mobilisation. "Toute l'opposition russe revendique conjointement le besoin d'illégitimer le régime de Poutine", affirme Mikhaïl Khodorkovski, un ancien oligarque russe et fervent opposant à Vladimir Poutine exilé à Londres depuis 2015, lors d'une conférence de presse à laquelle a assisté BFMTV.com ce mercredi.

Une mobilisation qui prend notamment la forme d'un mouvement intitulé "Midi contre Poutine". Le but? Que tous les opposants au gouvernement se rendent simultanément dans les bureaux de vote le dernier jour du scrutin, dimanche à midi. Cette initiative a été lancée par Maxim Reznik, un ancien membre du conseil municipal de Saint-Pétersbourg, avant d'être relayée par Alexeï Navalny avant sa mort sur X (ex-Twitter).

"J'aime l'idée que les électeurs anti-Poutine se rendent ensemble aux bureaux de vote à midi", écrivait-il le 1er février. "Cela pourrait être une forte démonstration du sentiment national. Les vrais électeurs contre la fiction du vote électronique."

Le militant anticorruption expliquait alors que cette action est "légale et sûre" étant donné que le gouvernement lui-même appelle les Russes à aller voter. "A midi, le taux de participation est déjà élevé, il y a beaucoup de monde et il est tout simplement impossible d'identifier ceux qui votent contre Poutine", affirmait-il alors.

Depuis sa mort, la fondation anti-corruption et sa veuve Ioulia Navalnaïa soutiennent ce mouvement, tout comme les autres figures de l'opposition.

Des initiatives plus ou moins risquées

"Notre objectif est que les gens se voient les uns les autres, qu'ils soient conscients qu'ils ne sont pas seuls, qu'ils ne sont pas marginalisés, qu'il y a beaucoup de personnes contre Poutine", explicite Mikhaïl Khodorkovski, anciennement première fortune de Russie, emprisonné en 2003 pendant dix ans pour "escroquerie à grande échelle" et "évasion fiscale".

Ce dernier suggère également, à "tous ceux qui osent, parce que c'est dangereux en soi", de "s'habiller aux couleurs du drapeau anti-guerre, en bleu et en blanc".

L'ancien oligarque russe en exil et figure de l'opposition Mikhaïl Khodorkovski s'adresse aux médias en marge d'un rassemblement de soutien à l'Ukraine, à l'occasion du deuxième anniversaire de l'invasion militaire de l'Ukraine par la Russie, à Helsinki, le 25 février 2024.
L'ancien oligarque russe en exil et figure de l'opposition Mikhaïl Khodorkovski s'adresse aux médias en marge d'un rassemblement de soutien à l'Ukraine, à l'occasion du deuxième anniversaire de l'invasion militaire de l'Ukraine par la Russie, à Helsinki, le 25 février 2024. © Heikki Saukkomaa / Lehtikuva / AFP

Si Maxim Katz pousse également ses plus de deux millions d'abonnés sur Youtube - majoritairement des Russes - à suivre le mouvement "midi contre Poutine", il dit "comprendre la peur de certaines personnes" face aux risques engendrés par le fait de révéler "faire partie de l'opposition".

Outre la symbolique du rassemblement, l'ancien chef adjoint de la campagne électorale d'Alexeï Navalny pour la mairie de Moscou, en 2013, souligne l'importance du bulletin de vote glissé dans l'urne. Contrairement à d'autres opposants, il appelle à voter pour un candidat en particulier: l'homme d'affaires Vladislav Davankov.

"Je ne l'aime pas mais on devrait le choisir parce qu'il est le seul à dire qu'il est pour la paix, et c'est la principale chose qui divise la société russe maintenant", argumente Maxim Katz, qui comme les autres opposants, reçoit des menaces régulières.

"Davankov représente ce qu'il y a de plus libéral en Russie actuellement. S'il obtient plus de 5%, et prend la seconde place, cela veut dire qu'une partie de l'électorat anti-guerre se mobilise et cherche une réponse politique", commente le directeur de l'Observatoire franco-russe, Arnaud Dubien.

Écrire Navalny sur le bulletin de vote

Mikhaïl Khodorkovski, comme Ioulia Navalnaïa, appellent quant à eux à plutôt écrire le nom de Navalny sur le bulletin de vote.

"J'invite les gens à traiter ces élections comme un événement politique, comme une action politique, une flash mob", image celui qui est placé sur la liste des "agents étrangers" ainsi que sur celle des personnes recherchées. Avec toujours le même objectif: "Montrer aux uns et aux autres que nous sommes nombreux, que nous sommes une majorité."

Une majorité remise en cause par le spécialiste Arnaud Dubien. "Entre deux-tiers et 80% des Russes approuvent l'action" de Vladimir Poutine, affirme-t-il, en s'appuyant sur les sondages réalisés par le centre Levada, une organisation classée "agent de l'étranger" et qu'il considère comme indépendante.

"Il y aura peut-être quelques coups d'éclat, mais rien de significatif, ce sera marginal. Les conditions pour une action coordonnée de protestation ne sont pas réunies", estime-t-il.

Le chercheur de l'Iris souligne également que "les forces de l'ordre seront très mobilisées" et qu'il "est hors de question pour Poutine de tolérer un mouvement de masse". "Et beaucoup d'opposants sont partis à l'étranger", ajoute-t-il. Une opposition qui, malgré son objectif commun, est de plus historiquement divisée.

Le vrai enjeu, selon lui, réside dans la participation, que le pouvoir espère forte. En 2018, le taux de participation était de 67,5%. "Si la participation est proche de 80%, ce ne sera pas crédible", raisonne Arnaud Dubien. "75%, c'est possible."

Les occidentaux appelés à ne pas reconnaître l'élection

"De toute évidence, la majorité de la société russe ne croit pas qu'il soit possible de destituer le président par le vote", déplore Maxim Katz. "C'est la raison pour laquelle beaucoup de gens choisissent de rester chez eux et de ne pas voter parce qu'ils pensent que c'est inutile", poursuit l'opposant, rappelant qu'il ne s'agit pas d'une "élection régulière".

Des milliers d'irrégularités avaient été signalées en 2018: des bourrages d’urnes, des votes multiples ou des entraves au travail des observateurs... L'opposition dénonce également la mainmise du Kremlin sur la commission électorale centrale.

Dans un bureau de vote à Saint-Petersbourg, au troisième jour des élections législatives en Russie, le 19 septembre 2021
Dans un bureau de vote à Saint-Petersbourg, au troisième jour des élections législatives en Russie, le 19 septembre 2021 © Olga MALTSEVA

Outre les appels à leurs concitoyens, les opposants interpellent aussi les pays occidentaux face à ces élections. "Nous demandons aux gouvernements occidentaux de déclarer les élections illégitimes ou du moins de ne pas reconnaître leur légitimité", répète Mikhaïl Khodorkovski devant la presse internationale, enjoignant ces pays à ne pas "répéter la même erreur" qu'en 2018.

"Ne pas reconnaître la légitimité de Poutine aura un effet psychologique considérable. La société russe est encore, dans une large mesure, orientée par les opinions de la communauté internationale", assure l'ancien PDG de la compagnie pétrolière Ioukos.

Si cette idée a été infiltrée dans les murs du Parlement européen par le député lituanien Andrius Kubilius, le politique Maxim Katz doute que cette requête soit entendue. "Même si je ne suis pas très doué en politique européenne, de ce que je vois, les politiques européens n'aiment pas les actions incisives", regrette-t-il. "Je pense que c'est une bonne idée, mais je crains qu'elle ne se réalise pas."

Juliette Brossault