BFMTV
Russie

Poutine et Prigojine lancés dans un étrange duel de déclarations à distance

Sans jamais se citer mutuellement, Vladimir Poutine et Evguéni Prigojine ont échangé lundi par déclarations interposées. Le président russe n'a annoncé aucune sanction vis-à-vis des hommes de Wagner, tandis que le chef de la milice a relativisé la rébellion avortée.

Comme une impression de flottement en Russie. Trois jours après la fin de la rébellion avortée de Wagner, Vladimir Poutine et Evguéni Prigojine ont échangé par messages interposés ce lundi, sans qu'aucun des deux hommes ne cite jamais le nom de l'autre.

Le bilan de ces deux déclarations, très attendues, étonne. Le chef de Wagner, dont on ignore toujours la localisation, nie toute volonté de s'en prendre au pouvoir russe et continue d'afficher une certaine insolence vis-à-vis du commandement militaire, dont Vladimir Poutine a ultimement la responsabilité. De son côté, le président russe n'a annoncé aucune disposition pour "punir les traîtres", comme il s'était engagé à le faire samedi au cours de la rébellion, ménageant même des voies de sortie pour les miliciens.

Ce mardi, les agences de presse russes ont annoncé que les poursuites contre Wagner ont été abandonnées et que la milice va remettre son matériel lourd à l'armée régulière.

Wagner épargné et même remercié par Poutine

Dans son intervention télévisée, Vladimir Poutine a minimisé le risque posé par les événements du week-end, estimant que "la rébellion armée aurait été maîtrisée" si elle avait continué son action en direction de Moscou, où l'état d'urgence antiterroriste avait été décrété.

Le président russe a également "remercié les soldats et les commandants de Wagner qui ont empêché le bain de sang et qui ont arrêté tout ça". Il a laissé trois options à ces hommes: "signer un contrat avec le ministère de la Défense" pour rejoindre l'armée régulière par exemple, rentrer "dans [leurs] familles et chez [leurs] proches" ou "partir en Biélorussie".

"Ma promesse sera tenue", a-t-il complété.

Pour Jérôme Clech, consultant défense pour BFMTV et enseignant en prospective et stratégie à Sciences Po, le fait que des hommes de Wagner rejoignent l'armée régulière "est possible" mais "extrêmement variable en fonction de la suite de Wagner qui est singulièrement mis en péril". Seule "une petite partie" le fera, assure quant à lui Marat Gabidullin, ancien membre de Wagner invité sur BFMTV.

Le président russe a en revanche eu des mots plus durs à l'encontre des "organisateurs de ces troubles", qu'il ne nomme pas mais dont il estime qu'ils "ont trahi leur pays et leur peuple".

"Ils sont tombés dans le piège tendu par les ennemis de la Russie. Les néonazis de Kiev ainsi que des traîtres nationalistes voulaient ce résultat, et que les soldats russes s'entretuent. Ils voulaient que notre société se divise, s'étouffe dans une guerre civile sanglante", a développé Vladimir Poutine, sans pour autant annoncer de sanctions.

Vladimir Poutine "impuissant"

Selon l'analyse de Paul Gogo, envoyé spécial de BFMTV à Moscou, le président russe "est apparu comme quelqu'un d'impuissant face à ces miliciens. Par le passé, on l'a connu [comme quelqu'un] qui gérait ces situations en réprimant, en envoyant des policiers chez des opposants, en envoyant des opposants en prison", à l'instar d'Alexeï Navalny, empoisonné en août 2020 puis condamné à neuf ans de prison en mars 2022.

Vladimir Poutine en a été réduit hier soir à dire aux miliciens "s'il vous plaît, rentrez dans le rang sinon on va devoir agir", sans même qu'on ne comprenne clairement de quoi ils sont menacés", estime Paul Gogo.

Selon Jérôme Clech, cette allocution est avant tout tournée vers l'Occident plus que vers l'intérieur", c'est-à-dire vers les Russes, et vise à "montrer une image d'unité (...) et de minimiser l'épisode Wagner pour consolider cette image écornée sur la scène internationale".

Comment Prigojine est passé de proche de Poutine à "traître à la nation"
Comment Prigojine est passé de proche de Poutine à "traître à la nation"
19:30

Prigojine relativise sa rébellion et critique l'armée

De son côté, Evguéni Prigojine s'est appliqué dans un message sonore de onze minutes à relativiser l'importance des événements du week-end, affirmant que le mouvement de troupe de Wagner vers Moscou n'avait "pas pour objectif de renverser le régime en place et le gouvernement légalement élu comme cela a été dit à maintes reprises".

"Nous avons fait demi-tour pour ne pas verser le sang de soldats russes", a-t-il une nouvelle fois affirmé, après avoir avancé cette explication samedi lors de l'annonce de l'arrêt de la rébellion.

Le fondateur de Wagner, dont on ignore s'il reste encore son chef à l'heure actuelle, s'est toutefois montré provocateur, comme il avait pu le faire à maintes reprises avant la rébellion, considérant que ses hommes et lui ont "donné un cours magistral sur la manière dont le 24 février 2022 [date du début de l'invasion russe en Ukraine, ndlr] aurait dû se dérouler".

Il estime par ailleurs que la facilité que ses hommes ont eu à remonter vers Moscou, en parcourant 780 kilomètres et en ne se heurtant qu'à peu de résistance, "a mis en lumière de graves problèmes de sécurité" en Russie.

"Nous avons démontré un haut niveau d'organisation qui devrait être celui de l'armée russe", a-t-il ajouté.

Des propos qui traduisent une confiance vis-à-vis de sa sécurité personnelle? Interrogé sur l'hypothèse d'une élimination d'Evguéni Prigojine ordonnée par le Kremlin, Marat Gabidullin se montre sceptique: "je n'imagine pas cela possible car Prigojine reste un homme utile à Poutine. Il ne faut pas oublier que son projet africain marche très bien", rappelle-t-il.

Environ 5000 soldats de Wagner sont toujours déployés pour développer l'influence russe sur le continent, principalement en République centrafricaine, au Mali, et en Lybie, ainsi que dans une vingtaine d'autres pays dont la Syrie.

Glenn Gillet