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Pompes, bassins, pratiques agricoles... Comment limiter les inondations dans le Pas-de-Calais

Les wateringues dans le secteur des Moëres (illustration)

Les wateringues dans le secteur des Moëres (illustration) - PHILIPPE HUGUEN / ARCHIVES / AFP

Charriés par le changement climatique, les épisodes de pluie intenses qui se profilent dans le futur vont contraindre le territoire, durement touché en novembre 2023 et janvier 2024, à s'adapter autant que possible. Mais dans certains cas, la déclaration de zones inhabitables sera la seule solution.

Dans les maisons, dans les commerces, dans les écoles: il n'y a pas un endroit où l'eau ne s'est pas infiltrée. Il y a tout juste un mois, l'équivalent d'un mois de pluie s'est abattu sur le Pas-de-Calais en l'espace de quatre jours. Après les inondations de novembre, le terreau était fertile pour de nouvelles crues. Déjà saturés, les sols argileux n’ont pas pu absorber l'eau.

Résultat: 10.000 sinistrés. Si le niveau de l'eau a depuis retrouvé des allures habituelles, certains voient au loin se profiler le spectre de nouvelles crues et se demandent quand le "cycle infernal" reprendra.

Leur inquiétude est justifiée, de l'avis de Nicolas Bourgeois, expert en adaptation au changement climatique au centre de recherche Mayane. Les épisodes de pluie sont amenés à se reproduire, pas nécessairement plus souvent, mais avec une "intensité" semblable, tandis que le niveau de la mer va continuer de grimper et l'évaporation s'aggraver. Comment, dès lors, préparer le territoire face aux crues?

• Les wateringues, un dispositif à renforcer

Solidifier les installations existantes est la première des mesures à prendre, selon les spécialistes interrogés par BFMTV.com. En novembre comme en janvier, elles "sont progressivement devenus inopérantes" face à la répétition des épisodes pluvieux, constate Nicolas Bourgeois. Les bassins de rétention, par exemple, n'ont pas suffi.

Mais "le dispositif le plus important, c’est évidemment tout le dispositif des wateringues, qui s’est peu à peu élaboré au fil des siècles", resitue Francis Meilliez, géologue et professeur émérite à l’université de Lille.

Ce "linéaire de canaux", d’écluses et de pompes, répartis sur un territoire où le relief est quasi inexistant, permet de stocker l'eau, puis de l'évacuer vers la mer.

La gestion du niveau de l'eau dans les Wateringues (illustration).
La gestion du niveau de l'eau dans les Wateringues (illustration). © BFM Grand Littoral

Si ce système "fonctionne plutôt pas mal" d’ordinaire, il n'est pas proportionné pour accueillir autant d'eau qu'il en est tombé dernièrement. Bertrand Ringot, maire de Gravelines et directeur de l'Institution intercommunale des wateringues, reconnaissait en novembre que le matériel est vieillissant, ce qui complexifie l'écoulement de l'eau.

"On n'a pas investi suffisamment", a-t-il confessé à l'antenne de BFM Grand Littoral. Le budget a certes été "multiplié par sept en sept ans", mais "le besoin en termes d'entretien des canaux, de renouvellement des pompes" était trop grand. "On a des pompes qui ont plus de 50 à 60 ans. Il faut racheter de nouvelles pompes mais des pompes de ce type, c'est 2 millions d'euros."

Selon le géologue Francis Meilliez, il a peut-être également manqué "de l'anticipation sur la puissance des volumes à évacuer". Allan Turpin, lui, en est convaincu. Au moment des inondations, l'édile d'Ardres se décrivait comme "un maire en colère". Il aurait, selon lui, fallu vider "les canaux de transfert, les grands wateringues vers la mer" plus tôt.

L'élu assure que la sonnette d’alarme avait été tirée dès 2006, année où sa commune avait déjà subi les affres d'une submersion. "Il nous avait été promis des fossés de tamponnement, des bassins de tamponnement. (...) Il n'y en a toujours pas", se désespère-t-il. "On a l'impression qu'on ne nous écoute pas et qu'on nous laisse dans le danger", alerte celui qui envisageait de "porter plainte contre X sur la gestion de l'eau".

À l’instar des pompes, ces ouvrages de protection sont "souvent très coûteux, très longs à mettre en œuvre aussi", expose Nicolas Bourgeois, le directeur des opérations au centre de recherche Mayane. Ils sont nécessaires, mais ne pourront quoiqu'il arrive pas absorber toute l'eau. "À l’origine, on espérait contrôler la nature. Maintenant, on a bien compris que ça n’allait pas suffire."

Xavier Bertrand aimerait néanmoins que la région qu'il préside se dote de structures permettant que "l'eau s'évacue plus vite". Il faudra pour cela "une mobilisation financière de l'Europe, de l'État, ainsi que de sa propre collectivité". "Mais il faut aller vite et que les autorisations ne prennent pas des années", plaide l’élu.

Pas-de-Calais : des crues exceptionnelles - 07/11
Pas-de-Calais : des crues exceptionnelles - 07/11
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• Suivre l'exemple hollandais, une bonne idée?

Estimant que la France "a des leçons à prendre" des dernières intempéries, Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, a fait savoir début janvier que des études ont été entreprises "pour aller regarder ce que font nos voisins hollandais, belges".

"La façon dont les Hollandais travaillent, ça fait longtemps qu’on la connaît", tance Francis Meilliez. Selon le géologue, les deux cas ne sauraient être plus différents.

D'une part parce que, dans le Pas-de-Calais, "on est sur des microterritoires", rappelle-t-il, quand en Hollande le risque d'inondations inquiète deux tiers du pays. Par conséquent, "ils voient ça à une échelle un petit peu différente".

Et si le département est quasi plat, il existe du relief dans le Boulonnais, ce qui n'est pas le cas aux Pays-Bas. "Si le Boulonnais n’avait pas été là, on aurait eu une pluie banale qui aurait continué son trajet en remontant vers le nord-est", assure le spécialiste.

Ce pays, rappelle d'autre part Francis Melliez, ne dispose que de canaux. Puisqu’ils sont artificiels, il est possible pour les autorités locales de les entretenir, les approfondir voire de les élargir. En France, les travaux d'urgence entamés à la mi-janvier doivent déjà permettre de curer les voies artificielles, où les sédiments se sont agglomérés. Mais il serait "stupide" d'en faire de même dans les cours d'eau naturels puisque cela "réactiverait l’érosion en amont".

Ce que préconise l'enseignant, en revanche, c'est de repenser la dépression des Moëres, cet espace situé sous le niveau de la mer à cheval entre la France et la Belgique. Francis Melliez plaide pour un "aménagement de cet espace-là comme un bassin de rétention d’eau". Puis il faudrait "se donner les moyens pour le valoriser", via le tourisme notamment.

La communes d'Ardres inondée.
La communes d'Ardres inondée. © BFM Grand Littoral

• Des pratiques agricoles pour ralentir l'écoulement

Certaines méthodes agricoles et pratiques culturales peuvent s’avérer vertueuses en cas de crues.

"Le fait de rétablir des haies pour diviser un peu les parcelles, ne serait-ce que ça, faire les sillons dans le sens perpendiculaire de la pente", énumère Nicolas Bourgeois. En résumé, "tout ce qui permettra de ralentir l’écoulement". Les pâturages, par exemple, freinent davantage l'eau que les cultures.

Et l'expert en changement climatique d'expliciter: "Ralentir l'écoulement, c'est gagner du temps pour se préparer, en fait. C'est donner plus de temps à l'eau pour s'infiltrer". A contrario, "en lit majeur des cours d'eau, ce qui doit être fait doit plutôt permettre à l'eau de passer librement".

"Toutes les haies ont été arrachées pour pouvoir optimiser la mécanisation. Et aujourd'hui, on en voit les conséquences", déplore Francis Melliez. (...) "Ça fait des années qu'on le répète aux agriculteurs et à la FNSEA mais ils ne veulent pas comprendre."

Agroforesterie, conservation des arbres, paillage, "ce sont des techniques qui contribuent entre autres à limiter les ruissellements" et permettent de "stabiliser les sols", ajoute Nicolas Bourgeois.

Francis Melliez acquiesce: "Il faut que les agriculteurs et leurs organisations comprennent qu’il faut changer les pratiques".

• Des équipements pour mieux préparer sa maison

Mieux préparer le territoire aux crues est une chose, mieux préparer les habitants en est une autre. Nicolas Bourgeois affirme que l’État prône aujourd’hui "l’adaptation individuelle". L'idée: fournir à chacun les outils pour "protéger sa maison, son entreprise, de la montée de l’eau".

L’expert compte 4 à 5.000 euros de budget pour équiper une maison de barrières anti-infiltration, connues sous le nom de batardeaux. Du matériel, qui peut être recommandé par un expert lors d'une visite à un sinistré, permettant de protéger ses biens jusqu’à 1 mètre de haut.

"Vis-à-vis du coût des dommages, c’est très peu coûteux", relativise-t-il auprès de BFMTV.com, d’autant qu'à ce stade 80% de cette somme est prise en charge par le fonds Barnier.

Dans des communes comme Gravelines, le risque de crues nécessite plus largement de "repenser l'habitat", relève Bertrand Ringot, le maire de la ville. "J'ai une partie de ma commune qui est dans un plan de prévention des risques littoraux, où on ne peut plus construire des chambres à coucher au rez-de-chaussée".

• Déclarer des zones inhabitables

Emmanuel Macron l'a promis lors de sa conférence de presse, le 16 janvier, on "continuera à vivre à Dunkerque, à Calais, dans l'Audomarois comme dans le Montreuillois" dans les prochaines années malgré les aléas climatiques.

Lorsque le danger sera trop grand, il faudra cependant parfois se résoudre à déclarer des parcelles inhabitables dans certains secteurs, a précisé le chef de l'État. Car dans bien des communes du Pas-de-Calais, des quartiers ont été bâtis en zones inondables.

"Les deux tiers d’Ardres sont dans la plaine alluviale. Même chose pour Blendecques. En 70 ans, on a réussi à mettre dans ces plaines alluviales, c'est-à-dire les zones qui sont destinées à l’expansion des crues naturelles, des constructions, des maisons, des bâtiments publics, etc.", liste Francis Meilliez.

Les habitants déroutés face aux inondations résident souvent dans des "endroits où il n'aurait pas fallu construire", confirme Amandine Richaud-Crambes, urbaniste et ingénieure en environnement, au micro de BFMTV. Tout simplement parce qu’avant 1992, aucun texte n’encadrait les constructions en zones inondables.

"Il y a beaucoup de gens qui sont prêts à déménager. Et bien, il faut les encourager", soutient Francis Meilliez. Ces sinistrés pourront bénéficier d'un rachat amiable ou d'un rachat automatique.

Reste que le géologue s’inquiète des conséquences sur l'habitat du vaste plan de réindustrialisation porté par la région. Il sera, selon lui, impératif de faire "en sorte que les installations industrielles et les innombrables travailleurs puissent avoir un logement et puissent se déplacer au sec", qu'importe la météo.

Florian Bouhot Journaliste BFM Régions