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Transports

"C'est la première fois qu'on nous reproche des prix bas": la SNCF se défend de faire du dumping en Espagne avec Ouigo

Le gouvernement espagnol s'inquiète de la stratégie agressive de la compagnie ferroviaire en Espagne et parle de "concurrence déloyale".

C'est un succès qui commence à irriter. En 2021, la SNCF lançait ses TGV lowcost Ouigo en Espagne entre Madrid et Barcelone. Dans un pays où le train a toujours été très cher et réservé aux clients business, les prix cassés de l'opérateur (à partir de 9 euros sur 87% des trains) font rapidement mouche.

Presque trois ans plus tard, et la mise en place de nouvelles lignes dans le pays, Ouigo Espagne revendique 20% de parts de marché, 10 millions de clients, et un taux d'occupation des trains proche de 90%. Et se félicite d'avoir dopé l'usage du train, fait fondre les prix tout en obligeant la concurrence à s'aligner.

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La Renfe (l'opérateur public espagnol), ancien partenaire de la SNCF sur les liaisons entre les deux pays, a ainsi du lancer sa propre offre lowcost tandis qu'un troisième opérateur à bas prix s'est invité dans la danse: Iryo.

"Extermination de la concurrence"

Mais pour Oscar Puente, le ministre espagnol des transports, la SNCF irait trop loin.

"Ce n’est pas raisonnable, la concurrence doit être loyale et ne pas entrer dans des pratiques qui conduisent à l’extermination de l’adversaire", explique le ministre dans El Mundo, accusant donc à demi-mot Ouigo de faire du dumping, une accusation grave.

Il estime que la stratégie de la SNCF en Espagne se fait à perte, avec un déficit de 95 millions d'euros en trois ans, "pas très raisonnable", remarque-t-il.

Surtout, Oscar Puente dénonce des conditions d'accès au marché très différentes entre la France et l'Espagne. Ainsi, si la SNCF n'aurait eu aucune difficulté à pénétrer le marché espagnol du rail, et exploiter la ligne la plus rentable (Madrid-Barcelone), pour la Renfe, le lancement des opérations en France a été plus que compliqué.

"Il n’y a pas de réciprocité, ils ne nous ont rien facilité", regrette Oscar Puente.

En effet, la Renfe aura mis presque deux ans à boucler son projet après avoir souvent lutté contre la compagnie française et l'administration.

Car une chose est claire: de nombreux freins découragent les nouveaux entrants en France, des freins qui protègent la SNCF. Un constat fait par le régulateur des transports, l'ART.

L'homologation du matériel roulant constitue pour un nouvel entrant qui possède déjà ses trains à grande vitesse, à l'image de Trenitalia ou de la Renfe, une première épreuve de taille.

Accusations contestées

Il faut donc adapter techniquement les rames. En 2021, l'agrément que la Renfe a déposé auprès de la SNCF a ainsi été retoqué en raison "d'interférences électromagnétiques" que provoqueraient ses rames, pourtant conçues sur le même modèle que le TGV, sur le rail français. De quoi retarder son projet de plus d'un an.

L'affaire a même tourné à la crise diplomatique entre Paris et Madrid. Sans parler du coût des péages, les plus élevés d'Europe.

Et ce n'est pas terminé. Si l'opérateur espagnol a bien lancé deux liaisons à grande vitesse depuis la France vers l'Espagne, il peine à attaquer le très juteux Paris-Lyon qu'il espérait lancer cet été pour les Jeux olympiques.

Ces accusations agacent la SNCF. Lors d'une conférence de presse de déminage, Hélène Valenzuela, directrice générale de Ouigo Espagne les conteste: "Nous ne recevons pas de subventions de la France et nous maintiendrons les prix bas", souligne-t-elle. "Notre politique tarifaire fonctionne et est un élément structurant de notre offre. Elle ne changera pas".

Si elle reconnaît que l'activité est en pertes en 2021 et 2022, elle précise que l'équilibre financier sera atteint en 2024 et dit ne pas comprendre les plaintes du gouvernement espagnol.

Pas de subvention et un développement conforme pour Ouigo Espagne

Selon nos informations, la trajectoire financière de Ouigo en Espagne est celle qui était prévue et l'objectif d'équilibre financier est de 4 ans minimum. Attaquer un nouveau marché demande en effet de lourds investissements, notamment en publicité. Trenitalia en sait quelque chose. En France, l'opérateur italien est dans le rouge pour sa première année d'exploitation complète en 2022 avec une perte non confirmée de 34,5 millions d'euros.

De son côté, Alain Krakovitch, directeur TGV-Intercités, salue "le succès de Ouigo Espagne" et rappelle que "50% des utilisateurs n'avaient jamais pris le train auparavant" tandis que tous les opérateurs, Renfe inclus, ont vu leur trafic augmenter depuis l'arrivée de Ouigo.

Sur les accusations du ministre espagnol, il ironise. "C'est la première fois qu'on nous reproche des prix bas".

La défense de la SNCF irrite en tout cas le ministre espagnol: "j'en tiendrai compte lors de la prochaine réunion lorsque vous me demanderez de réduire la redevance que vous payez à l'ADIF" (le gestionnaire espagnol du rail).

Le développement en France de la Renfe bridé?

Ouigo Espagne rappelle de son côté qu'il "allait payer 1 milliard d'euros" au cours des dix prochaines années, conformément à l'accord-cadre passé.

L'opérateur rappelle qu'il a investi par ailleurs plus de 700 millions d'euros, "sans aucune subvention".

Enfin, concernant les accusations de blocages d'accès au marché français, Alain Krakovitch rejette la responsabilité sur son concurrent et sur Talgo, le constructeur de sa nouvelle flotte de trains trains à grande vitesse, dont cinq à destination de la France.

"Renfe et Talgo ont choisi de travailler avec une équipe de techniciens de sécurité autres que celle avec laquelle la SNCF avait l'habitude de travailler. Pas étonnant que ça les prenne plus de temps pour approuver les nouveaux trains. Nous travaillons avec les équipes Talgo et Renfe pour résoudre ces problèmes et homologuer les trains", dit-il selon des propos repris par El Economista.

"Il m’est difficile de comprendre les accusations dont nous faisons l’objet alors que tout est très réglementé, contractualisé et transparent", poursuit-il. Ambiance.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business