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TOUT COMPRENDRE - Vers un embargo des Occidentaux sur le gaz et le pétrole russes?

En réponse à l'invasion de l'Ukraine, les pays occidentaux veulent renforcer leurs sanctions à l'encontre de Moscou. Une interdiction d'importation du gaz et pétrole russes est à l'étude, sans faire l'unanimité à ce stade.

Les Etats-Unis et l’Union européenne veulent accentuer la pression sur Moscou. Les pays occidentaux discutent depuis quelques jours de nouvelles sanctions contre la Russie, en réponse à l’invasion de l’Ukraine. Impensable il y a encore quelques jours, un embargo sur le gaz et le pétrole russes n’est désormais plus totalement exclu.

· Qui est pour, qui est contre?

Sous la pression croissante du Congrès qui prépare un projet en ce sens, l’administration Biden pousse auprès des Européens pour imposer cet embargo interdisant l’importation de pétrole et de gaz russes. Lundi, cette question a été évoquée lors d’une vidéoconférence entre Joe Biden, Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et le Premier ministre britannique Boris Johnson. Sans faire l'unanimité à ce stade.

Il faut dire que les répercussions d’une telle mesure seraient bien plus néfastes pour les pays européens particulièrement dépendants -quoi qu’à des degrés différents- des hydrocarbures russes, que pour les Etats-Unis.

Dans leurs communiqués respectifs publiés à l’issue des échanges entre les quatre dirigeants, la France et le Royaume-Uni se sont dits prêts à "renforcer les sanctions" et à "accentuer la pression" sur la Russie, sans pour autant évoquer la menace d’un embargo énergétique. Très dépendante du gaz russe, l’Allemagne n’a en revanche fait aucune mention d’éventuelles nouvelles sanctions. La veille, Olaf Scholz avait tenu à rappeler que les importations d’énergie fossile en provenance de Russie étaient "essentielles" pour la "vie quotidienne des citoyens" en Europe.

Soucieuse de ne pas fissurer plus que nécessaire la cohésion quasiment parfaite montrée jusqu’ici par les pays Occidentaux, la Maison Blanche temporise. Mais elle n’exclut pas une action unilatérale, faute de pouvoir s’entendre avec les Européens. Joe Biden n’a toutefois "pas pris de décision à ce stade", a assuré lundi Jen Psaki, porte-parole de l’exécutif américain.

De son côté, Agnès Pannier-Runacher a tenu à faire passer un message aux Etats-Unis ce mardi:

"C’est un peu facile de promouvoir des sanctions qui ne s’appliqueraient que sur un continent et qui ne feraient aucun dommage sur un autre continent", a dit sur BFM Business la ministre déléguée en charge de l'Industrie, ajoutant que l’enjeu était "de garder une solidarité européenne".

L'entourage de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a pour sa part indiqué que la France "décidera en temps et en heure si (elle) suit les Etats-Unis mais ce sera de toute façon une réponse unie" européenne. "L'Europe restera unie, cohérente et coordonnée pour tout type de décision", a-t-on insisté. "On comprend la position américaine" mais "ils ne sont pas du tout dans la même situation énergétique que la nôtre", a encore souligné cette source.

· L’Europe peut-elle se passer du gaz et pétrole russes?

En 2021, l’énergie représentait 62% des importations de l’UE en provenance de Russie. Moscou assure ainsi 20% des besoins de l’Europe en pétrole brut et 40% de ses besoins en gaz. A titre de comparaison, le pétrole russe ne représente que 3% des importations américaines.

Il existe néanmoins d’importantes disparités en Europe. Le pétrole russe ne pèse par exemple que 8% des importations du Royaume-Uni, contre 9% pour la France et près de 42% pour l’Allemagne. Moscou fournit par ailleurs 55% du gaz naturel importé outre-Rhin, contre 17% dans l’Hexagone.

Contraint par cette forte dépendance à la Russie, Berlin s’est prononcé dimanche contre une interdiction des importations de gaz, pétrole et charbon depuis la Russie. "Ca ne sert à rien si dans trois semaines on découvre que nous n’avons plus que quelques jours d’électricité en Allemagne et qu’il faut donc revenir sur ces sanctions", a expliqué la cheffe de la diplomatie, Annalena Baerbock.

"Nous sommes prêts à payer un prix économique très très élevé" mais "si demain, en Allemagne ou en Europe, les lumières s’éteignent, ça ne va pas arrêter les chars", a-t-elle ajouté.

· Quelles conséquences pour la Russie?

Les exportations d’hydrocarbures sont essentielles pour l’économie russe. Les flux de pétrole et de gaz représentent près de la moitié de ses exportations et plus de 15% du PIB du pays.

Dans le détail, le gaz a généré 50 milliards de dollars de recettes pour la Russie l’an passé, contre 110 milliards de dollars pour le pétrole brut et 70 milliards pour les produits pétroliers raffinés.

· Comment réagit la Russie face à la menace des Occidentaux?

La Russie a mis en garde lundi sur les "conséquences catastrophiques" pour le marché du pétrole en cas d’embargo. "Il est impossible de remplacer rapidement les volumes de pétrole russe sur le marché européen, il faudra plus d’un an, et cela deviendra beaucoup plus cher pour les consommateurs européens", a prévenu le vice-Premier ministre russe, Alexander Novak, évoquant un baril à "plus de 300 dollars" si les pays occidentaux mettaient leur menace à exécution.

Moscou a par ailleurs menacé d’interrompre les livraisons de son gazoduc Nord Stream 1 vers l’Allemagne en cas de nouvelles sanctions occidentales :

"En raison des accusations infondées portées contre la Russie concernant la crise énergétique en Europe et l’imposition d’une interdiction sur le Nord Stream 2, nous avons tout à fait le droit de prendre une décision correspondante et d’imposer un embargo sur les livraisons de gaz via le gazoduc Nord Stream 1", a indiqué Alexander Novak.

· Quelles alternatives pour l’Europe?

Face à l’ampleur de la crise avec la Russie, l’Europe cherche déjà à diversifier son approvisionnement en gaz pour l'hiver prochain. Les 27 devraient notamment solliciter davantage leurs autres fournisseurs que les Etats-Unis, le Canada, la Norvège, l’Algérie ou encore le Qatar.

Problème, rien ne dit que l’offre sera suffisante pour compenser une éventuelle interruption des livraisons de gaz russe en Europe. D’ailleurs, une étude du centre de réflexion Bruegel estime que l'UE "devrait réduire sa demande d’au moins 10 à 15%" si elle décidait de se passer du gaz russe, quand bien même elle augmenterait ses importations en provenance d’autres pays.

Autre problème: le manque de terminaux de regazéification sur le continent risque de limiter l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) des Etats-Unis, de l’Australie ou du Qatar. C’est pourquoi l’Allemagne a annoncé la construction de deux nouveaux terminaux qui ne devraient cependant pas entrer en service avant 2026.

Berlin envisage de surcroît de reporter l’arrêt de trois de ses centrales nucléaires, tandis que l’Italie, également très dépendante de la Russie, n’exclut pas de relancer des centrales à charbon. En France, Bruno Le Maire a appelé à "faire beaucoup plus attention à nos consommations d’énergie". La semaine dernière, 'Agence internationale de l'énergie assurait que baisser la température d'1°C des foyers permettrait à l'Europe d'économiser environ 10 milliards de mètres cubes de gaz en un an, soit un peu moins de 10% des importations russes en Europe.

· Quelles conséquences sur les marchés?

La seule perspective d’un embargo sur le pétrole russe des Etats-Unis et de l’Europe a rendu les marchés particulièrement nerveux lundi. Le baril de Brent de la mer du Nord a ainsi frôlé les 140 dollars en début de séance, avant de redescendre. Ce mardi matin, il poursuivait sa hausse, au-dessus des 125 dollars, contre 104 dollars il y a une semaine.

Le prix du gaz naturel a quant à lui atteint un nouveau record historique lundi sur le marché européen. La crainte de perturbations des exportations en provenance de Russie a fait grimper temporairement la référence du marché en Europe, le TTF néerlandais, 345 euros le mégawattheure (MWh).

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco