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Union européenne

Comment l'Europe s'organise pour réduire sa dépendance au gaz russe

L'Union européenne cherche à réduire sa dépendance au gaz russe en diversifiant ses sources d'approvisionnement. L'Italie a déjà engagé des discussions avec l'Algérie, tandis que l'Allemagne a annoncé la construction de deux terminaux de gaz naturel liquéfié.

Jamais l’Europe n’avait pris de sanctions aussi dures. Débranchement du système interbancaire Swift, gel des avoirs des oligarques et des actifs de la banque centrale… En réaction à l’invasion de l’Ukraine, les 27 ont pris des mesures drastiques contre la Russie avec l’objectif d’asphyxier l’économie du pays. Reste qu'un secteur, crucial pour Moscou, n'est pas concerné par la réponse de Bruxelles: l’énergie.

Cette exemption est révélatrice d’une des principales faiblesses de l’Union européenne, mise en lumière par le conflit actuel: sa dépendance aux hydrocarbures russes, et en particulier au gaz. Moscou fournit aujourd’hui 40% du gaz naturel de l’Europe, ce qui confère à la Russie le statut de premier fournisseur du continent devant la Norvège (24%) et l’Algérie (11%).

Une situation que l'UE promet de corriger à l'avenir: "Nous avons une dépendance au gaz et au pétrole russe. Nous allons la réduire aussi vite que possible, cela veut dire développer les énergies renouvelables et l’hydrogène. Mais il va y avoir des turbulences sur les marchés de l’énergie. Cela va augmenter les prix qui seront payés par les consommateurs", a reconnu le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell.

"Diversifier les sources d'approvisionnement"

Les Etats membres cherchent déjà des alternatives pour l’hiver prochain. Réunis lundi à Bruxelles, les ministres de l’Energie des 27 ont dit vouloir "se préparer à tous les scénarios", y compris celui d'une coupure du "robinet" par la Russie. La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a par ailleurs insisté sur la nécessité de "diversifier les sources d’approvisionnement".

"Il faut se préparer dès maintenant à la prochaine saison. Ça voudra dire accroître le gaz liquéfié, faire en sorte que les investissements importants soient faits très rapidement", a indiqué de son côté sur Europe 1 le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton.

Etats-Unis, Norvège, Canada, Iran, Australie, Qatar… L’Europe n’aura donc d’autres choix que de solliciter davantage les grands producteurs de gaz et de gaz liquide (GNL) si elle veut réduire sa dépendance au gaz russe. L’Italie a déjà pris les devants en prenant contact avec l’Algérie pour discuter d’une augmentation des livraisons. Le géant public algérien des hydrocarbures Sonatrach s’était d’ailleurs dit prêt à fournir davantage de gaz à l’UE en cas de baisse des exportations russes.

Mais ce renforcement des liens avec les autres pays producteurs ne suffira sans doute pas à remplacer totalement le gaz russe, notamment en raison des capacités limitées de l’offre. Selon une étude du centre de réflexion Bruegel relayée par Les Echos, l’Europe "devrait réduire sa demande d’au moins 10 à 15%" si elle décidait de se passer du gaz russe, quand bien même elle augmenterait ses importations en provenance d’autres pays. Sans compter que le coût d’approvisionnement serait bien plus élevé dans un contexte de fortes tensions sur les marchés de l'énergie.

L'Allemagne fait sauter le tabou du nucléaire

Se tourner vers les grands producteurs de GNL que sont les Etats-Unis, l’Australie et le Qatar présente aussi des limites techniques: "Pour alimenter l’Europe en gaz, soit on a des tuyaux, soit on a des terminaux de regazéification où on amène du gaz naturel liquéfié (GNL). Or ils sont tous pleins en ce moment, et on n’a pas assez de terminaux en Europe pour regazéifier le gaz liquéfié afin de remplacer les 40% de gaz russe," expliquait la semaine dernière le patron de TotalEnergies, Patrick Pouyanné.

Pour pallier ce manque d’infrastructures et réduire sa forte dépendance au gaz russe, l’Allemagne, qui a décidé de suspendre le projet de gazoduc Nord Stream 2, a annoncé dimanche la construction de deux nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié dans le nord du pays. Ceux-ci ne devraient cependant pas entrer en service avant 2026. Ce mardi 2 mars elle a également annoncé le déblocage de 1,5 milliard d'euros pour acheter du gaz naturel liquéfié.

Le ministre fédéral de l’Economie et du Climat, Robert Habeck, a en outre promis de ne pas s’opposer "idéologiquement" à une éventuelle utilisation de l’énergie nucléaire dans l’avenir. Concrètement, Berlin réfléchit désormais à reporter l’arrêt des trois dernières centrales nucléaires encore en activité. Un petit bouleversement dans un pays qui avait fait de la sortie du nucléaire une priorité de sa politique énergétique.

Toujours est-il que "le nucléaire ne nous aiderait pas pour l’hiver 2022/2023", a prévenu Robert Habeck, précisant que "les préparatifs des arrêts des réacteurs sont si avancés que la prolongation de leur activité poserait des problèmes majeurs en matière de sécurité et éventuellement de livraisons de combustible qui ne sont plus assurés".

Relance des centrales à charbon

L’Allemagne devrait donc continuer de miser en partie sur le charbon pour alimenter ses centrales électriques. Sur ce sujet, la guerre en Ukraine pourrait avoir rebattu les cartes alors que plusieurs voix s’élèvent pour réclamer la suspension de l’objectif de fin du charbon d’ici à 2030.

L’Italie, qui est avec l’Allemagne l’un des pays européens les plus dépendants au gaz russe envisage elle aussi la réouverture des centrales à charbon qui "pourrait être nécessaire pour combler une éventuelle pénurie dans l’immédiat", a prévenu lundi le chef du gouvernement Mario Draghi. De quoi donner un sérieux coup de frein à la transition énergétique.

"Nous nous préparons à une économie de guerre, en espérant ne pas y arriver", a déclaré sur Rai Radio1 le sous-secrétaire aux Affaires étrangères Manlio Di Stefano. "Se préparer à une économie de guerre signifie qu'en cas d'interruption de l'approvisionnement en gaz en provenance de Russie, l'Italie devra être prête à démarrer également les centrales à charbon", a-t-il ajouté.
https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco