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Divertissement, production... Ce que le top 10 des youtubeurs les plus connus dit de nos goûts

Tibo InShape est devenu cette semaine le deuxième youtubeur le plus suivi en France. Qui se trouve dans le top 10 des vidéastes les plus populaires en France? Que montre ce classement de nos préférences sur la plateforme?

Cette semaine, le youtubeur Tibo InShape est devenu le deuxième créateur français le plus suivi sur la plateforme, dépassant Cyprien. Tibo InShape a plus de 14,6 millions d’abonnés, derrière Squeezie et ses 18,7 millions d’abonnés.

Selon l’agence de marketing d’influence Woô, le Top 10 des youtubeurs français les plus suivis est complété par les chaînes de Lama fâché, Michou, Amixem, Rémi Gaillard, Mcfly & Carlito, Inoxtag, Swan et Néo. L’agence a laissé de côté celle de Norman, mis en cause pour des faits de viols sur mineur, qui se classe à la quatrième position, entre Cyprien et Lama fâché. Que peut-on déduire des préférences des Français sur Youtube à partir de ce classement? BFMTV.com a posé la question à plusieurs experts.

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Le divertissement, catégorie reine sur la plateforme

Ces chaînes ont en commun de faire la part belle au divertissement. Plus précisément, "le feat and fun est le format à la mode aujourd’hui", souligne Corentin Gaillard, doctorant en sciences de l'information et de la communication qui rédige une thèse sur les youtubeurs et les streameurs. "Qui est l’imposteur" de Squeezie, "24 heures dans une maison sous-marine" d’Amixem, "Stand-up de merde" de Mcfly & Carlito… Autant de vidéos où des youtubeurs invitent d’autres personnes pour des concepts reposant notamment sur une bonne dose d’humour.

Pour le youtubeur Adam Bros, spécialiste de la culture numérique, il n’est pas étonnant que ces chaînes qui engrangent des millions d’abonnés soient majoritairement basées sur le divertissement. Il s’agit d’une catégorie qui "touche une population plus large que le gaming ou la beauté par exemple. Tout le monde se divertit et les goûts sont assez homogènes en termes de divertissement".

Cette tendance se constate d’ailleurs au niveau mondial, selon Franck Rebillard, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université Sorbonne Nouvelle. Le co-auteur du livre La Machine Youtube (C&F) cite une étude publiée en 2020 par des chercheurs des universités d’Amsterdam, de Barcelone et du Queensland. En analysant les données issues de 36 millions de chaînes à l’échelle de la planète, ils ont constaté que la catégorie divertissement représentait 24% des chaînes sur YouTube et y captait 31% des vues et 28% des abonnés, devant la musique, le lifestyle et le gaming.

Des chaînes très professionnelles

Les dix youtubeurs les plus suivis en France ont également eu tendance ces dernières années à privilégier des vidéos très produites, avec des décors changeants, des équipes de tournage… Certains ont d’ailleurs témoigné de la pression que représente le fait de publier chaque semaine des vidéos avec un tel budget.

"Si les grosses productions dominent dans le top 20, c’est parce que les youtubeurs qui en font partie se disent, 'il faut que je fasse plus que la moyenne'. Et le public se dit, 'tu peux pas nous proposer que des trucs dans ta chambre'", décrypte Adam Bros.

Mais pour Corentin Gaillard, le public français n’attend pas nécessairement de ces youtubeurs des contenus qui repoussent toujours plus les limites de ce qui se fait sur la plateforme. "Il y a beaucoup de vidéos de Michou, d’Inoxtag ou d’Amixem qui ne sont pas de grosses productions", observe-t-il. Ce sont ces contenus où les créateurs sont seuls devant la caméra et réagissent aux pires objets trouvés sur Ebay, répondent aux questions de leurs abonnés, ou même devinent des saveurs de chips. Ce dernier exemple vient de la chaîne de Mcfly et Carlito, qui ont décidé de faire moins de vidéos très produites après un burn-out pour le premier.

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Le public semble toutefois apprécier un certain professionnalisme. "La qualité technique de la vidéo est importante, sur le montage, la captation d’images ou du son", nuance Corentin Gaillard. En effet, même pour des formats plus posés, les youtubeurs les plus suivis disposent de studios, d’un éclairage professionnel, de monteurs…

"Pour du contenu divertissement et qui ne demande pas d’effort intellectuel comme de la vulgarisation, il est important que l’utilisateur soit confortable pour consommer ce contenu. Il faut que ça corresponde aux codes auxquels il est habitué", car le public a appris à être exigeant", observe Corentin Gaillard. Pour Franck Rebillard, cette demande de professionnalisme passe aussi par "une régularité dans le format et la publication", qui permettent de fidéliser le public.

Une certaine inertie dans le classement

Pourtant, plusieurs youtubeurs de ce top 10 ne publient pas régulièrement, voire presque plus. C’est le cas de Norman, de Rémi Gaillard ou encore de Cyprien. En revanche, ces trois vidéastes ont en commun d’être présents sur la plateforme depuis plus de dix ans. Comment expliquer que d’autres n’aient pas pris leur place? Pour Adam Bros, cela montre qu’il y a peu de désabonnements sur YouTube. Franck Rebillard y voit aussi les effets de la "loi des avantages cumulés".

"À partir du moment où on a un grand nombre d'abonnés, l’effet de recommandation par l’entourage va être démultiplié. 5.000 abonnés qui parlent à deux personnes de leur entourage chacun, ce n’est pas le même ordre de grandeur qu’un million d'abonnés qui en parlent à deux personnes de leur entourage", explique-t-il.

"Par ailleurs, l’algorithme de recommandation de Youtube est basé sur le nombre de visionnages, donc quelqu’un dont les vidéos sont largement vues va être davantage recommandé que d’autres", développe le spécialiste de la socio-économie des plateformes.

En clair, ceux qui sont déjà populaires vont être plus mis en avant que les autres.

Des "rendez-vous immanquables"

Adam Bros décrit aussi ce phénomène mais l’explique autrement. Il remarque que les vidéos les plus mises en avant par l’algorithme du réseau social sont les plus longues. "Youtube est en train de prendre la place de la télé dans la consommation des gens, on regarde en faisant la vaisselle, en mangeant. Ce ne sont plus des vidéos de 3-4 minutes qu’on regarde en passant comme au début, aujourd'hui, ça, c'est Tiktok", développe le youtubeur. Cette longueur, cumulée à un nombre de chaînes immense sur la plateforme, fait que "le public, pour la première fois, ne peut plus regarder toutes les vidéos des chaînes auxquelles il est abonné".

"Donc on choisit les rendez-vous immanquables, comme les vidéos de Squeezie. On sait que ça va en parler au bureau le lundi, on veut faire partie de la discussion sociale. Ce sont ces vidéos qui créent ce sentiment d’urgence, de fomo (fear of missing out, soit la peur de rater un événement, NDLR), qui marchent le mieux", affirme le vidéaste.

Pour autant, Michou et Inoxtag, arrivés un peu plus récemment sur la plateforme (en 2015), ont réussi à se hisser jusqu’au top 10. Franck Rebillard l’explique entre autres par le fait qu’ils ont collaboré avec des vidéastes "plus installés". Michou et Tibo InShape ont tourné plusieurs vidéos ensemble, tout comme Inoxtag et Squeezie par exemple. Une manière d’être vu par plusieurs communautés à la fois.

Les femmes, grandes absentes du top 10

Difficile enfin, lorsqu’on regarde ce top 10 et même au-delà, de ne pas être frappé par l’absence de femmes parmi les youtubeurs français les plus populaires. "Les femmes galèrent toujours à être dans les vidéos plus vues, dans les tendances", déplore Amélie Lenoir, co-présidente de l’association Les Internettes, qui promeut la création féminine sur Youtube. "En décembre, Youtube a publié le top 10 des vidéos les plus vues en 2023, et ce n’était que des vidéos d’hommes. La seule vidéo dans laquelle une femme apparaissait était celle de Mcfly et Carlito", souligne-t-elle. Il s’agissait de la vidéo "Auto-roast", dans laquelle participait Jenny Letellier. Amélie Lenoir regrette aussi que beaucoup des vidéos feat and fun qui marchent très bien sur la plateforme se fassent avec "zéro femme".

Comment expliquer cette absence? Franck Rebillard soulève deux points. "On sait que sociologiquement, la socialisation au genre féminin va plutôt porter les femmes à un type d’expression, qui va plutôt relever de l’intime. On peut imaginer que beaucoup de femmes qui s’expriment sur Youtube le font dans des espaces plus restreints, dans lequel c'est le partage de la parole, la compréhension mutuelle, qui va être recherchée, plutôt que de s’exprimer auprès d’une masse de gens", juge le sociologue. À l’inverse, "dans la socialisation au genre masculin, on amène les personnes à prendre la parole fort, à vouloir être écoutés par un grand nombre".

Puis, "à partir du moment où elles connaissent un certain succès, les femmes très souvent sont l’objet de dénigrement en ligne. Donc ça peut amener les personnes qui souhaiteraient gagner en importance et en visibilité à être plus prudentes et à s’auto-limiter", ajoute Franck Rebillard.

Plusieurs métriques intéressantes

Pour faire face à ces problématiques, l’association d’Amélie Lenoir voudrait "une vraie modération du côté de Youtube", pour protéger les femmes du cyberharcèlement sexiste. Elle souhaiterait aussi que l’algorithme de Youtube mette plus en avant les vidéos de femmes: " on avait remarqué que quand on regarde la vidéo d’un homme, ce qui est recommandé à côté c’est des vidéos d’hommes". Les Internettes demandent également aux youtubeurs de "mettre en place plus de recherches de femmes avec qui collaborer. Elles existent, elles sont là!".

Il est aussi important de souligner que le nombre d’abonnés n’est pas la seule métrique intéressante sur Youtube. Adam Bros juge que le nombre de vues au quotidien peut montrer un dynamisme dans l’instant présent, tout comme le taux d’engagement (le ratio likes/commentaires et nombre de vues), mais aussi, de manière moins concrète, "les discussions qu’il y a autour d’une chaîne".

"Léna Situations est beaucoup plus présente qu’un Cyprien, sur la plateforme et dans le quotidien des personnes. Quand elle fait son vlog d’août, une bonne partie de Youtube entend parler de ça. Même si son nombre d’abonnés n’est pas aussi important, elle va avoir une visibilité importante", estime aussi Corentin Gaillard.

Sophie Cazaux