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La loi influenceurs a-t-elle vraiment mis fin aux mauvaises pratiques?

Le rapport d'application de la loi visant à encadrer le secteur des influenceurs, adoptée en juin dernier, a été présenté à l'Assemblée nationale ce mercredi. Les rapporteurs ont souligné que le nombre de créateurs contrôlés a plus que doublé en 2023, mais que les moyens alloués à ces enquêtes restent trop faibles.

Des contrôles qui augmentent, mais qui restent insuffisants. Les députés Arthur Delaporte (PS), Louise Morel (MoDem) et Stéphane Vojetta (Renaissance) présentaient ce mercredi 13 mars, à l'Assemblée nationale, le rapport d'application de la loi influenceurs, rédigé avec la députée LR Virginie Duby-Muller.

Cette loi, définitivement adoptée le 9 juin 2023, a créé une définition du métier d'influenceur, rappelé certaines obligations auxquelles sont soumis ces créateurs, comme le fait de signaler les collaborations commerciales qu'ils effectuent et en a créé de nouvelles, comme l'interdiction de faire la promotion de la chirurgie esthétique.

Quelques mois après son adoption, les députés ont cherché à faire le bilan de cette loi et des effets qu'elle a eu sur le secteur. Ils ont aussi fait le point sur les contrôles de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) visant les influenceurs.

96 influenceurs en "situation d'anomalie"

Selon des chiffres dévoilés ce mercredi, l'administration en charge de la répression des fraudes a contrôlé 212 influenceurs en 2023, contre 94 en 2022. Une hausse "qui témoigne de la capacité des pouvoirs public à se saisir de cette question", a souligné Arthur Delaporte. 96 d'entre eux étaient en "situation d'anomalie" et ont écopé, sous diverses formes, d'un rappel à la loi. Celui-ci peut être assorti d'une amende ou d'une publication, sur les réseaux sociaux de l'influenceur, avertissant ses abonnés qu'il a été rappelé à l'ordre par les autorités.

Un chiffre en progression donc, mais qui doit être mis en lien avec des signalements de consommateurs qui ont augmenté sur la plateforme dédiée Signal-conso. Il doit surtout être rapporté à l'immensité de la tâche: le ministère de l'Économie estime à 150.000 le nombre d'influenceurs en France - la plupart n'en vivant pas.

Des agents "livrés à eux-mêmes"

Actuellement, toutes les alertes sur Signal-conso ne donnent pas lieu à une enquête de la DGCCRF. "C'est problématique", a estimé Arthur Delaporte mercredi. Ces investigations sont "généralement" lancées lorsqu'un influenceur a fait l'objet de plusieurs signalements. Une situation qui s'explique principalement par les "moyens extrêmement faibles" dont dispose la DGCCRF pour mener à bien ses tâches, d'après le député du Calvados.

Comment encadrer les influenceurs ?
Comment encadrer les influenceurs ?
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Une "trentaine" d'agents travaille actuellement sur ce secteur (mais pas exclusivement): "c’est extrêmement faible par rapport aux enjeux" et "on a l’impression qu’ils sont livrés à eux-mêmes", a déploré Arthur Delaporte.

"J’ai de la compassion pour les pauvres agents qui font ce qu’ils peuvent et qui essaient d’écumer la mer", a-t-il poursuivi. L'une des principales recommandations du rapport d'application qui doit être publié ce mercredi est donc de renforcer les moyens, humains notamment, de la DGCCRF.

Une auto-régulation du secteur

En attendant, les rapporteurs se félicitent que les influenceurs, les agences et les marques prennent les devants pour développer de meilleures pratiques. "De manière assez surprenante, ce qu’on constate (…) c’est que le secteur s’est auto-assaini", a aussi affirmé Louise Morel.

Un phénomène qui s'observe par exemple par le succès du certificat de l'influence responsable que propose l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), un organisme d'autorégulation du secteur. Cette formation qui vise à exposer le cadre légal et déontologique de l'influence commerciale a connu un important succès en 2023, avec une multiplication par quatre du nombre de demandes pour le passer. Plus de 1.000 influenceurs avaient reçu ce certificat en septembre.

Arthur Delaporte a salué mercredi "les influenceurs eux-mêmes qui ont fait évoluer leurs pratiques". Selon une étude de l'agence d'influence marketing Reech publiée le 5 mars, 47% des influenceurs déclarent avoir changé de pratique concernant la mention explicite des partenariats rémunérés depuis l'adoption de cette loi.

Des négociations avec l'UE

Et ce, alors que certaines dispositions de cette loi doivent être réécrites, voire supprimées. Dans une lettre datée du 14 août, le commissaire européen Thierry Breton avait reproché au gouvernement d'avoir adopté et promulgué, avant l'avis de la Commission, ces dispositions visant à encadrer les influenceurs, certaines lui semblant "contredire" le cadre européen.

La France doit désormais négocier avec la Commission européenne, ce qui retarde aussi la publication des décrets nécessaires à l'application de certaines règles. Par exemple, une entreprise et un influenceur doivent, selon la loi, établir un contrat pour que celui-ci puisse effectuer une publicité à partir d'un seuil de rémunération dont le montant doit encore être défini.

"Le secteur préconise de toute façon à ses influenceurs de contractualiser. De fait, la loi a un effet, aujourd'hui c’est quasi-systématique", a assuré Arthur Delaporte.

"La loi influenceurs n'est pas en danger"

"Nous tenons à rassurer tout le monde. La loi influenceurs n’est pas en danger", malgré les remarques de la Commission européenne, a aussi déclaré Stéphane Vojetta. Le texte "doit être modifié à la marge" mais ne perdra "en aucun cas" son effectivité, a-t-il ajouté.

Les députés ont souligné la nécessité de garder "un cadre vivant" pour la régulation de sujets qui ont trait à la vie numérique, dont les pratiques évoluent rapidement. Ils souhaitent notamment se pencher sur la régulation des matchs sur Tiktok, où des utilisateurs, parfois mineurs, envoient des cadeaux virtuels - coûtant de l'argent réel - à des influenceurs. Cet encadrement pourrait être intégré à des textes déjà examinés ou faire l'objet d'un nouveau texte.

Sophie Cazaux